Euthanasie : « plus nous parlons de la fin de vie et des soins palliatifs, moins les Français adhèrent »

12 Mar, 2024

Fin janvier, le Collectif pour le respect de la médecine (CORM) a été auditionné à l’Assemblée nationale par le groupe d’étude sur la fin de vie, présidé par Olivier Falorni (cf. Fin de vie : un processus construit pour aboutir à légaliser l’euthanasie ?). A cette occasion, ses membres ont rappelé leur opposition à la légalisation de l’euthanasie comme au suicide assisté. Ils ont également révélé le résultat d’un sondage IFOP [1] réalisé en janvier 2024, selon lequel seule 59 % de la population souhaite désormais la légalisation de l’euthanasie et/ou du suicide assisté.

Alors qu’un projet de loi devrait être examiné à l’Assemblée nationale le 27 mai (cf. Fin de vie : une « loi de rassemblement » qui suscite la colère), la société française ne semble pas aussi prête à légaliser l’euthanasie que ses partisans veulent le faire croire.

« Proposer une nouvelle loi alors que la loi existante n’est pas appliquée équitablement » ?

Les soins palliatifs sont « des soins essentiels pour les personnes en fin de vie », mais le constat est unanime : les structures sont encore trop peu nombreuses (cf. « L’enjeu n’est même plus de développer les soins palliatifs. Il s’agit d’éviter leur écroulement »). « Aujourd’hui, en France, 500 personnes meurent tous les jours sans avoir eu accès aux soins palliatifs, alors qu’elles avaient besoin d’être accompagnées » souligne Claire Fourcade, la présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP).

Face à ce constat, le CORM regrette l’absence de « chance » donnée à la loi Claeys-Leonetti. « Il est paradoxal de vouloir proposer une nouvelle loi alors que la loi existante n’est pas appliquée équitablement sur le territoire national, en particulier pour ce qui concerne les soins palliatifs » relève le collectif (cf. Pas de nouvelle loi avant de développer les soins palliatifs ?).

Quand l’exécutif décidera-t-il d’aller au-delà de « l’affichage politique » ? La stratégie décennale sur les soins palliatifs était prévue pour janvier (cf. Plan décennal soins palliatifs, douleurs et fin de vie : renforcer la médecine de la douleur). Alors que nous sommes mi-mars, rien n’a pourtant été fait. Les paroles seront-elles un jour suivies d’effet ? (cf. Fin de vie : « Ce n’est pas en baptisant stratégie ce qui était auparavant appelé plan que se fait une politique volontariste »)

« La société se tient au chevet des personnes malades et fragiles »

Le CORM rappelle également que ce qui fonde la relation entre le patient et le médecin est la confiance. Elle est essentielle et doit être « synonyme de solidarité et d’inclusion ». Elle signifie que « toute la société se tient au chevet des personnes malades et fragiles » souligne le collectif (cf. Une société vraiment fraternelle : le « modèle français » de la fin de vie). Que deviendrait le monde de la santé, déjà si mal en point, si l’interdit de tuer est transgressé et l’alliance rompue ? (cf. Euthanasie ou suicide assisté : « une brèche dans un rempart de sagesse »)

La mission des professionnels de santé est de prendre soin de la personne qui souffre. « La médecine a toujours su se dépasser pour trouver des réponses à la souffrance des patients » insiste le collectif (cf. Maladie de Charcot : combiner « la technicité et l’humanité» au lieu de légaliser l’euthanasie). Or, l’une des conséquences possibles de la légalisation de l’euthanasie pourrait être « l’arrêt des recherches de traitement pour des maladies aujourd’hui incurables » s’inquiète le CORM. L’interdit de tuer pousse les soignants à la créativité. Saurons-nous sauver cette « promesse de non abandon » si précieuse ?

« Le seul garde-fou possible est de ne pas ouvrir cette possibilité »

La légalisation de l’euthanasie sèmera le trouble chez de nombreuses personnes en fin de vie ou malades. « Avec cette évolution, la société enverrait un message choquant à toutes les personnes vulnérables », laissant penser que leur vie ne vaudrait pas la peine, alerte le CORM (cf. Fin de vie : attention au message envoyé aux personnes vulnérables).

« Il est impossible de vouloir légaliser l’euthanasie ou le suicide assisté au nom de la libre détermination, et en même temps de conditionner cette liberté à des critères » avertit le collectif. Comme le montrent les pays qui ont autorisé cette pratique, la légalisation de l’euthanasie entrainera nécessairement des élargissements successifs (cf. Euthanasie : la pente glissante). L’offre suscite la demande. « Le seul garde-fou possible est de ne pas ouvrir cette possibilité » soulignent ses membres.

59 % de la population souhaite la légalisation de l’euthanasie et/ou du suicide assisté

Interrogés sur le projet de loi sur la fin de vie, seule 59 % de la population dit souhaiter la légalisation de l’euthanasie et/ou du suicide assisté pour les personnes en fin de vie qui le demandent, indique le sondage IFOP réalisé à la demande du collectif. Moins de 50 % des jeunes de 18 à 35 ans sont favorables à cette évolution de la loi.

Des sondages sur la fin de vie avaient déjà été effectués auparavant (cf. Fin de vie : connaître la réalité avant de se prononcer). Selon un premier sondage, réalisé par l’IFOP pour l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD) en octobre 2022, avant le début de la convention citoyenne, 78 % des Français « encouragent un changement de la loi avec la légalisation de l’euthanasie ou du suicide médicalement assisté ».

En mars 2023, dans un deuxième sondage IFOP, réalisé cette fois pour le Journal du Dimanche (JDD) [2], 70 % des Français se disaient favorables à la proposition de la convention citoyenne de promouvoir une « aide active à mourir » (cf. Fin de vie : La Convention citoyenne rend sa copie).

Avant ces deux sondages, un autre sondage IFOP, paru en juillet 2022, annonçait même que 92 % des Français seraient favorables à l’euthanasie (cf. Fin de vie : les sondages « ne procurent jamais une vérité de l’opinion »).

L’opinion favorable à « l’aide active à mourir » semble ainsi avoir largement reculé. « Une chute considérable qui montre que plus nous parlons de la fin de vie et des soins palliatifs, moins les Français adhèrent à ce projet » souligne le CORM.

A défaut d’être entendue par le Gouvernement (cf. Projet de loi fin de vie : les soignants ont l’impression de se « faire marcher dessus »), la voix des soignants aurait-elle trouvé un écho favorable parmi la population ? (cf. 800.000 soignants s’opposent à l’euthanasie)

Ne nous laissons pas imposer des réponses idéologiques

Les réponses des Français avaient aussi montré par le passé une « méconnaissance du sujet de la fin de vie ». Ainsi, une étude de l’Institut BVA, réalisée en septembre 2022 à la demande du ministère de la Santé, avait révélé que seuls 51 % se considéraient bien informés des « modalités de la fin de vie en France » (cf. Fin de vie : que pensent les Français ?).

Depuis, la convention citoyenne a déposé ses conclusions (cf. Fin de vie : La Convention citoyenne rend sa copie), l’Assemblée nationale et le Sénat leurs rapports (cf. Fin de vie : les réticences du Sénat). Les contours du projet de loi ont été révélés (cf. « Une forme de nihilisme désormais présent au sein même de l’Etat » : après l’IVG, Emmanuel Macron reprend le dossier de la fin de vie). La presse et la télévision, se sont, elles-aussi, emparées du sujet (cf. « Le prochain voyage » : quand le service public fait la promotion du suicide assisté). De nombreuses voix se sont fait entendre, entre pression des militants (cf. Fin de vie : 18 députés mettent la pression sur le nouveau Gouvernement) et réponses des professionnels de santé, de personnes malades ou de leurs proches (cf. « Etre regardés, soulagés, accompagnés, mais pas tués »).

Le risque est imminent. Le débat est complexe, les enjeux sont considérables. Ne nous laissons pas imposer des réponses idéologiques (cf. Fin de vie : combattre résolument « la rumeur eugéniste qui s’amplifie »). Mesurons les chances que représentent les soins palliatifs, et les dangers de l’euthanasie comme du suicide assisté.

Entre mourir et souffrir, il existe d’autres possibilités. L’interdit de tuer doit rester le ciment de notre société, et l’accompagnement bienveillant mis en œuvre jusqu’aux derniers souffles de vie (cf. « L’interdit fondamental d’ôter la vie, quelles que soient les circonstances »).

 

[1] L’enquête a été menée auprès d’un échantillon de 1016 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. Les interviews ont été réalisées par questionnaire auto-administré en ligne du 17 au 18 janvier 2024.

[2] Sondage IFOP réalisé les 30 et 31 mars 2023 auprès d’un échantillon de 1010 personnes âgées de 18 ans et plus

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