Ils veulent être entendus. Treize organisations professionnelles et sociétés savantes [1] représentant 800.000 soignants viennent de publier un « avis éthique commun » intitulé « Donner la mort peut-il être considéré comme un soin ? ». Leur réponse est claire : non.
La subversion de la notion de soin
Le dernier avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) relatif à la fin de vie « acte un changement majeur d’approche en envisageant une légalisation d’une forme de mort médicalement administrée », dénoncent les soignants (cf. Audition au Sénat : le président du CCNE justifie le suicide assisté). « Cette recommandation, proposée au nom de la primauté nouvelle du principe d’autonomie sur le principe de solidarité questionne fondamentalement la pratique et l’éthique soignantes », soulignent-ils.
En effet, « les organisations soignantes cosignataires estiment qu’une telle légalisation conduirait inévitablement le législateur à subvertir la notion même de soin telle qu’elle est communément admise aujourd’hui », avertissent-ils. Or, « cette acception de la démarche soignante fonde et éclaire aujourd’hui des prises en charge complexes, au cours desquelles les demandes de mort comme les demandes de vie sont intimement mêlées et motivent l’engagement soignant au service de la personne soignée ».
Regarder la réalité en face
Si « une forme de mort administrée était légalisée », les soignants se retrouveraient dans une position impossible. En effet, comment concilier d’une part « la primauté de la demande collective de vie sur la volonté individuelle du patient dans le cas de soins prodigués aux auteurs d’une tentative de suicide », et, d’autre part, « la primauté de la volonté individuelle de mort sur la demande collective de vie dans le cadre d’une euthanasie ou d’un suicide assisté ? »
En outre, les premières barrières seront inéluctablement amenées à sauter les unes après les autres. « La mise en œuvre de garde-fous législatifs, manifestement provisoires en raison de la force du principe d’égalité, comme rappelé par le CCNE, ne parviendrait pas, à terme, à endiguer les menaces que l’injonction de mort ferait peser sur les personnes les plus vulnérables ». C’est ce que l’on observe aujourd’hui dans tous les pays ayant légalisé l’euthanasie, notent les soignants. Pourtant « ces publics vulnérables sont aujourd’hui trop largement absents des réflexions menées, déplorent-ils, enfants, personnes dépendantes, personnes atteintes de troubles cognitifs ou psychiatriques, personnes en situation de précarité, etc. »
Le soignant doit soigner et la mort n’est pas un soin
« Actuellement, aucun pays n’a légalisé une forme de mort administrée sans insérer dans le processus la participation d’un soignant, que ce soit pour réaliser l’acte lui-même (euthanasie), pour réaliser la prescription d’un produit létal (suicide assisté modèle Oregon) ou pour réaliser une évaluation et une validation de la demande (suicide assisté modèle Suisse) », analysent les soignants.
« L’ensemble des professionnels interrogés refusent catégoriquement la démarche euthanasique, et spécifiquement les actes de préparation, de mise en place et d’administration d’une substance létale », indique l’avis. Si le soignant n’a pas à administrer la substance létale, l’opposition des soignants est « différente ». Toutefois un consensus demeure : que ce soit une euthanasie ou un suicide assisté, « ces procédés ne peuvent pas être assimilés à un soin ». Ils doivent donc « être matériellement séparés de la pratique soignante ».
Lucides sur le futur législatif, les soignants « demandent au Gouvernement et aux Parlementaires, s’ils décident de faire évoluer la loi, de laisser le monde du soin à l’écart de toute implication dans une forme de mort administrée ». Affirmant qu’ils « continueront d’accompagner toutes les personnes soignées de manière inconditionnelle », ils appellent également le législateur « à adopter une lecture systémique et de long terme ». Améliorer « significativement » le cadre d’accompagnement des personnes en fin de vie doit figurer parmi les priorités.
Il y a dix jours, Le Monde publiait de son côté une tribune de 500 « professionnels de santé » se déclarant favorables à l’euthanasie[2]. 500 professionnels dont 332 aujourd’hui à la retraite. Des signataires loin de la vie professionnelle et des conséquences qu’entrainerait une évolution de la loi actuelle pour les soignants, à la différence des 800.000 qui ont choisi d’unir leurs voix (cf. Claire Fourcade : « Je suis médecin, la mort n’est pas mon métier »).
[1] 2SPP : Société Française de Soins Palliatifs Pédiatriques ; AFSOS : Association Francophone des Soins Oncologiques de Support ; ANFIPA : Association Nationale Française des Infirmier.e.s en Pratique Avancée ; CLAROMED : Association pour la Clarification du Rôle du Médecin dans le contexte des fins de vie ; CNPG : Conseil National Professionnel de Gériatrie ; CNPI : Conseil National Professionnel Infirmier ; FNEHAD : Fédération Nationale des Établissements d’Hospitalisation à Domicile ; MCOOR : Association Nationale des Médecins Coordonnateurs en EHPAD et du Secteur médico-social ; SFAP : Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs ; SFC : Société Française du Cancer ; SFGG : Société Française de Gériatrie et Gérontologie ; SNPI : Syndicat National des Professionnels Infirmiers Groupe de Soins Palliatifs ; UNICANCER (Fédération des centres de lutte contre le cancer)
[2] Le Monde, Fin de vie : « Nous, professionnels de santé, disons haut et fort que l’aide médicale à mourir est un soin » (06/02/2023)