Dans un entretien paru dans Le Figaro, Jean-Christophe Combe, ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées, ancien directeur général de la Croix-Rouge, exprime ses « convictions » sur le projet de loi sur la fin de vie annoncé par le président de la République. « Un sujet profondément intime mais avec des conséquences sociétales tout aussi profondes » selon le ministre. « Il faut être très vigilant au signal que nous envoyons aux personnes qui se sentent fragiles ou désespérées et à leurs familles » prévient-il.
« Basculer dans un autre rapport à la vulnérabilité »
« Une loi, ce n’est pas seulement un empilement des mesures techniques, c’est aussi un message collectif adressé par la société à chacun » rappelle Jean-Christophe Combe. « Mon devoir, c’est de porter la parole inquiète des personnes vulnérables qui se questionnent déjà souvent sur l’utilité de leurs vies » estime-t-il.
Pour le ministre, « l’aide active à mourir n’est pas seulement une question individuelle, médicale ou philosophique ». Interrogé sur la possible légalisation de l’euthanasie, il exprime son inquiétude. Une loi sur l’« aide active à mourir » risquerait « de nous faire basculer dans un autre rapport à la vulnérabilité » alerte-t-il. « Nous devons éviter d’envoyer un message implicite qui pourrait conduire les personnes vulnérables à l’auto- effacement » insiste le ministre.
« L’aspiration la plus profonde, c’est le lien aux autres »
« Le véritable problème, ce n’est pas la souffrance et la mort. C’est la solitude face à la souffrance et à la mort » souligne Jean-Christophe Combe. Comme le rappelle le ministre, les témoignages convergent : « dès qu’un patient en fin de vie est remis en liens, est écouté, les demandes d’euthanasie disparaissent » (cf. « La mort ne sera jamais la solution. La solution c’est la relation »).
« Il y a dans la société une forte aspiration à l’autonomie », mais « il ne faut pas oublier que l’aspiration la plus profonde, c’est le lien aux autres » ajoute-t-il.
Ces tensions entre « autonomie » et « solidarité », entre « liberté individuelle » et « engagement collectif » sont au cœur du débat actuel. « Le collectif sans la volonté individuelle est un totalitarisme, et le désir personnel sans le sens du collectif est un individualisme » souligne Jean-Christophe Combe.
La mise en œuvre effective des lois, un préalable
« La France n’est pas en retard sur un chemin » assure le ministre qui considère qu’elle a choisi une autre voie que celle de l’« aide active à mourir ».
« Nous avons une formidable opportunité d’inventer un modèle spécifiquement français d’accompagnement de la fin de vie » explique-t-il. « Un modèle construit à partir de la personne. Un modèle fait du refus de l’obstination thérapeutique déraisonnable, de soins palliatifs mieux connus et plus précoces, de soutien aux aidants, de liens sociaux pour lutter contre le fléau de la solitude et de regards aimants sur la personne souffrante. »
Alors que le projet de loi présenté par Agnès Firmin Le Bodo (cf. Fin de vie : Agnès Firmin le Bodo esquisse le futur projet de loi) devrait inclure à la fois les soins palliatifs et l’« aide active à mourir », Jean-Christophe Combe considère que ces « deux sujets sont de nature différente ». « Les soins palliatifs sont du côté du soin et la question de l’aide active à mourir relève d’un choix de société » indique-t-il.
La loi Claeys-Leonetti « n’est pas encore pleinement appliquée » rappelle en outre le ministre (cf. Clap de fin pour la mission parlementaire d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti) qui estime que « la mise en œuvre effective des lois qui garantissent à tous et partout un accès aux soins palliatifs est un préalable, notamment en raison du nombre de demandes de morts provoquées par défaut de soins palliatifs » (cf. Pas de nouvelle loi avant de développer les soins palliatifs ?)
« L’échec d’une société qui ne prendrait pas soin des plus vulnérables »
Grand âge et fin de vie sont en revanche « deux sujets qui se rejoignent parce qu’ils déterminent le regard que la société porte sur les vulnérabilités et sur les moyens qu’elle se donne pour les accompagner ».
« Une loi sur la fin de vie ne saurait être le signe de l’échec d’une société qui ne prendrait pas soin des plus vulnérables » avertit Jean-Christophe Combe. « Notre société porte un regard très négatif sur le vieillissement au lieu de s’y préparer » regrette-t-il.
« Je tiens vraiment à ce que l’on prenne le temps de discuter la proposition de loi “bien vieillir” » assure en outre le ministre (cf. Grand âge : le manque d’ambition de l’exécutif ?). « Les Français attendent les mesures très concrètes de ce texte autour de la lutte contre les maltraitances et la prévention de la perte d’autonomie » précise-t-il.
Source : Le Figaro, Tristan Quinault-Maupoil et Agnès Leclair (23/06/2023)