Fin de vie : Agnès Firmin le Bodo esquisse le futur projet de loi

22 Mai, 2023

Dimanche, Agnès Firmin Le Bodo, la ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de santé, a annoncé, dans un entretien au Journal du Dimanche (JDD), les contours du futur projet de loi sur la fin de vie.

C’est elle qui pilotera le projet de loi, et non François Braun, pourtant ministre de la Santé, qui s’est dit « réservé sur le sujet » (cf. Fin de vie : le ministre de la Santé vraiment réticent ?). « Ce choix n’est pas lié à nos positions respectives » précise Agnès Firmin le Bodo. Difficile pourtant de la croire.

Comme le relève l’avocat et essayiste Erwan le Morhedec, « il n’est pas banal que, sur un sujet aussi grave, le ministre de plein exercice soit écarté, ni que l’on choisisse une personne qui n’a jamais fait mystère de son engagement en faveur de l’euthanasie ». Le pluralisme d’opinions ne semble pas être ici un critère.

« Un texte unique qui mélange aide active à mourir et soins palliatifs »

Le projet de loi « comprendra trois blocs : aide active à mourir, soins palliatifs et droits des patients » indique la ministre déléguée.

Le Dr Claire Fourcade, présidente de la Société Française de Soins Palliatifs (SFAP), s’insurge contre l’idée, inacceptable, « d’un texte unique qui mélange aide active à mourir et soins palliatifs ». Elle demande que deux projets de lois dissociés soient rédigés. « Donner la mort n’est pas un soin » martèle-t-elle. L’euthanasie va « ailleurs », elle contredit les soins palliatifs dans leur visée profonde et ne saurait s’ajouter à eux (cf. Ne dévoyons pas les soins palliatifs).

La ministre déléguée ne tranche pas sur ce que sera le « modèle » français qui « reste à définir ». Entre assistance au suicide et euthanasie, son cabinet ajoute qu’« il est trop tôt pour dire quelles seront [les modalités] qui figureront dans le projet de loi ». Cela doit « faire l’objet de discussions ».

« Ce qui importe, c’est que la possibilité encadrée de bénéficier d’une aide active à mourir devienne effective » ne cache toutefois pas Agnès Firmin le Bodo. L’essentiel du projet de loi semble donc bien la légalisation de l’euthanasie et/ou du suicide assisté.

Des « lignes rouges » ?

La ministre déléguée rappelle en outre que des « lignes rouges » ont été fixées par le président de la République. « Les mineurs en seront exclus, le pronostic vital du patient devra être engagé à moyen terme, sa volonté recueillie à plusieurs reprises, son discernement intact », indique-t-elle. Derrière cet affichage, on ne peut toutefois que s’étonner de ces limites qui semblent en réalité des plus relatives.

S’agissant des mineurs, à en croire le récent avis du CESE, la limite ne pourrait être que « temporaire ». La commission du CESE sur la fin de vie a en effet identifié l’euthanasie des mineurs comme un futur élargissement possible de la législation (cf. Fin de vie : nouvel avis du CESE en faveur de l’euthanasie et du suicide assisté).

La notion de moyen terme évoquée concernant le pronostic vital n’est, quant à elle, pas définie. Elle est « au cœur du travail en cours » ajoute la ministre déléguée qui cite, à titre d’exemple, l’Oregon, où le pronostic vital doit être engagé dans les six mois.

Pour ce qui est du discernement, Agnès Firmin le Bodo semble avoir oublié qu’Emmanuel Macron avait repris dans son discours face aux conventionnels la proposition de la Convention citoyenne admettant un « consentement indirect » du patient (cf. Le « consentement indirect » : « Même la Belgique n’a pas osé »). Possibilité également reprise par le CESE.

Interrogée par ailleurs sur « les patients souffrant de maladies psychiques », Agnès Firmin le Bodo indique qu’ils ne seront pas non plus inclus dans le projet de loi. Provisoirement ?

« En matière de souffrances psychiques, la science et la prise en charge évoluent » précise-t-elle. « Plutôt que de figer une liste de maladies ouvrant l’accès à l’aide active à mourir, il faudrait plutôt qualifier l’impact des pathologies concernées » ajoute la ministre.

« Garde-fous » et contrôles ?

Pour tenter de « rassurer », deux « garde- fous » seront prévus dans le projet de loi afin d’encadrer les pratiques.

Sans surprise, Agnès Firmin le Bodo indique que « les médecins et soignants qui ne souhaitent pas participer à l’aide active à mourir devront pouvoir faire jouer une clause de conscience dès la première étape du processus, quand ils doivent se prononcer sur un pronostic vital engagé à moyen terme ». Cette clause de conscience était une demande des soignants (cf. Euthanasie : le médecin ne peut administrer un produit létal selon l’Ordre des médecins).

« Proposer aux médecins de faire jouer la clause de conscience, c’est les mettre face à la décision de devoir renoncer à la promesse de non-abandon d’un malade. Or, ce non-abandon est la seule promesse tenable quand on pratique une médecine sans espoir de guérison » souligne toutefois Claire Fourcade.

Autre « garde-fou » proposé, cette fois dans le sens des patients : « s’assurer que le patient se soit bien vu proposer une prise en charge palliative ». « La plupart ne souhaitent plus mourir quand ils bénéficient de ces soins » admet au passage la ministre déléguée. Encore faudrait-il que l’accès aux soins palliatifs soit possible pour tous les patients le nécessitant, et pas illusoire.

Le futur projet de loi devra par ailleurs assurer « une traçabilité de A à Z » afin de permettre un contrôle « à la fois a priori et a posteriori » annonce Agnès Firmin Le Bodo, sans pour autant détailler les mesures prévues à cet effet. Une expression « au mieux maladroite », au pire trahissant « une approche déshumanisée », relève Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat, dans un tweet.

« Changer la donne » des soins palliatifs

Indépendamment de l’« aide active à mourir », Agnès Firmin le Bodo souhaite aussi faire évoluer les soins palliatifs, et « changer la donne ».

Dans les prochains jours, une instruction ministérielle sera publiée pour actualiser la circulaire de 2008 régissant les soins palliatifs annonce la ministre déléguée. Le gouvernement prévoit aussi « un plan décennal » qui entrera en vigueur en 2024 (cf. Plan décennal pour les soins palliatifs : encore des promesses ?). Il sera finalisé le 15 décembre ajoute-t-elle.

Mme Firmin Le Bodo détaille également différents objectifs à poursuivre. Parmi eux, la création « d’ici fin 2024 » d’unités de soins palliatifs (USP) dans les 20 départements qui n’en sont pas dotés, la création d’une « filière médicale » dédiée au palliatif, mais aussi d’une unité de soins palliatifs pédiatriques au niveau national dès 2024.

« Une hospitalisation de jour, en ambulatoire, en lien avec les hôpitaux de proximité pour anticiper la prise en charge » devra elle aussi être créée. Ce sera le 3e niveau de prise en charge proposé en soins palliatifs, en plus dehors des USP et des équipes mobiles, mentionne Agnès Firmin le Bodo.

Ce « deuxième bloc » devrait faire consensus. N’est-ce pas là une façon pour le gouvernement d’arriver à ses fins ?  « Comment les députés qui ne veulent pas de l’aide active à mourir pourront s’opposer à un projet de loi qui développe des soins palliatifs ? » interroge d’ailleurs Claire Fourcade.

Une « co-construction » de la loi ?

Afin de « s’assurer que tous aient la même définition », la ministre déléguée indique qu’un lexique sera proposé dans la loi, comme en Italie.

A titre personnel, elle précise préférer le terme de « mort choisie » à celui de « suicide assisté » qui « évacue la mort » (cf. Euthanasie : la corruption des mots précèdera-t-elle la corruption des actes ?).

Sans même attendre les conclusions du groupe de travail sur les mots (cf. Fin de vie : un nouveau groupe d’experts pour travailler sur les mots), voilà encore un nouveau terme ajouté au débat. L’éclaire-t-il vraiment ? N’est ce pas plutôt une façon déguisée de ne plus parler du suicide, et de ne pas regarder les choses en face contrairement à ce qu’indique la ministre déléguée qui prétend « remettre la mort au cœur de notre société » ?

Lors de son entretien, Agnès Firmin le Bodo mentionne enfin le calendrier du futur projet de loi.

Dès cette semaine, un processus de « co-construction législative inédit avec un groupe de soignants et de parlementaires » va s’engager afin que le texte soit présenté avant le 21 Septembre, comme le souhaite le président de la République, précise-t-elle.

Après le rapport de la Convention citoyenne (cf. Fin de vie : La Convention citoyenne rend sa copie), celui de la mission parlementaire (cf. Clap de fin pour la mission parlementaire d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti) et du CESE, mais aussi les auditions au Sénat (cf. Fin de vie : le Sénat mène aussi des travaux), un nouveau groupe est-il vraiment nécessaire ? « Il y a un moment où le gouvernement devra arrêter une présentation » admet d’ailleurs le cabinet de la ministre.

Les conclusions de chacun des « acteurs » étant jusque-là les mêmes à peu de choses près, et la voix des soignants ayant été peu écoutée malgré l’avis éthique commun publié par treize organisations professionnelles et sociétés savantes représentant 800 000 soignants (cf. 800.000 soignants s’opposent à l’euthanasie), peut-on vraiment croire qu’une « co-construction » soit encore possible ? Le projet de loi n’est il pas déjà écrit ? Très critique, la SFAP a demandé à être reçue « sans délai ». Sera-t-elle cette fois entendue ?

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