« L’enjeu n’est même plus de développer les soins palliatifs. Il s’agit d’éviter leur écroulement »

2 Nov, 2023

Dans une tribune publiée le 2 novembre dans le Figaro, Erwan Le Morhedec, avocat et bénévole en soins palliatifs, le Dr Jean-Marie Gomas, gériatre et spécialiste des soins palliatifs, Jeanne Amourous, infirmière en soins palliatifs, et Séverine Lamie, aide-soignante en soins palliatifs, alertent sur l’état de la médecine palliative en France et sur l’urgence de la situation [1] (cf. Ne dévoyons pas les soins palliatifs ; Euthanasie : « la ligne d’arrivée de cette course à l’émancipation, c’est l’isolement et la solitude »).

« Nous n’aurons aucun choix »

« Dans 5, 10 ou 20 ans, si des mesures radicales de protection et de créativité envers les soins palliatifs ne sont pas prises, contrairement à ce qu’agitent les promoteurs de l’euthanasie, alors nous n’aurons aucun choix » s’inquiètent-ils (cf. « Aide active à mourir » et soins palliatifs doivent être dissociés exhortent des députés). Si la douleur des patients n’est pas prise en charge, ils se tourneront vers l’euthanasie. « Nous aurons alors perdu notre ultime liberté : celle de vivre notre vie jusqu’à la fin naturelle », préviennent-ils.

Malgré l’avis 139 du Comité consultatif national d’éthique selon lequel l’ouverture à l’« aide active à mourir » nécessite d’abord de développer les soins palliatifs (cf. Avis du CCNE : en marche vers l’”aide active à mourir” ? ; Pas de nouvelle loi avant de développer les soins palliatifs ?), le Gouvernement s’apprête à légaliser le suicide assisté et l’euthanasie. Pourtant, au cours du débat sur la fin de vie, tout le monde a été unanime sur la nécessité de développer les soins palliatifs.

Le « double discours » du Gouvernement

Mais, le Gouvernement « reste mutique » constatent les signataires de la tribune. « Les plans triennaux ont laissé la place à une “stratégie décennale”, donnant ainsi plus de temps au pouvoir pour ne pas respecter les objectifs qu’il proclamera » dénoncent-ils (cf. Plan décennal pour les soins palliatifs : encore des promesses ? ; Plan décennal sur les soins palliatifs : un nouveau cadre ?). De son côté, Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de santé, a lancé un comité de pilotage sur les soins palliatifs sans nommer « le moindre spécialiste des soins palliatifs ». Au contraire, l’un des membres « est connu pour des pratiques très éloignées de leur philosophie » signalent les quatre signataires (cf. Soins palliatifs : création de « l’instance de réflexion » préfigurant le plan décennal).

La ministre a également annoncé son objectif d’ouvrir 20 unités de soins palliatifs, soit une dans chaque département qui en est dépourvu, d’ici la fin de l’année 2024 (cf. Fin de vie : Agnès Firmin Le Bodo esquisse le futur projet de loi). Un « objectif intenable », de l’« affichage politique », regrettent les spécialistes des soins palliatifs. Ce « double discours » est encore plus manifeste alors que le projet de financement de la Sécurité sociale, discuté en ce moment, ne prévoit aucun budget pour le développement des soins palliatifs (cf. Fin de vie : Les soins palliatifs, « parent pauvre de la médecine »).

La position des soignants en soins palliatifs

Pourtant, « il y a urgence ». « L’enjeu aujourd’hui n’est même plus de développer les soins palliatifs. Il s’agit d’éviter leur écroulement » déplorent les signataires (cf. « La fin de vie n’est pas avant tout un sujet de liberté individuelle mais de solidarité collective »).

Les soignants sont angoissés par la situation. « C’est un secteur en crise que l’on s’apprête de surcroît à perturber » dénoncent les personnels de soins palliatifs qui évoquent la crise globale de l’hôpital et le manque croissant de médecins. En 2025, il devrait en manquer plus de 400 dans le domaine (cf. Soins palliatifs : fermeture d’un service faute de médecin). Une démographie médicale qui « promet un avenir sombre » au secteur des soins palliatifs. En plus, s’ajoutent la réforme des études médicales et la suppression du diplôme d’études spécialisées complémentaires sur les soins palliatifs. Les étudiants sont dissuadés de se former dans ce domaine.

En février dernier, face à ce contexte « inquiétant et dégradé » et à la perspective de légalisation de l’euthanasie, treize organisations représentatives de soignants ont dit leur opposition (cf. 800.000 soignants s’opposent à l’euthanasie ; La SFAP s’insurge : « Donner la mort n’est pas un soin »). Selon un sondage réalisé en août 2021 auprès des personnels de soins palliatifs, 70% d’entre eux refusent de provoquer la mort de leurs patients, 37% ont l’intention d’utiliser leur clause de conscience, tandis que 33% envisagent de démissionner (cf. Euthanasie : le médecin ne peut administrer un produit létal selon l’Ordre des médecins).

Euthanasie : « un choix de facilité » ?

« La légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie est un choix de facilité pour un exécutif » expliquent les signataires de la tribune. L’ « avenir sombre » des soins palliatifs et le vieillissement de la population laissent penser que cette option a déjà été entérinée par le Gouvernement et les mutuelles (cf. Fin de vie : des mutuelles et fédérations professionnelles pour « l’aide active à mourir »). Or, « les décisions que nous prenons aujourd’hui disent la façon dont nous mourrons demain » préviennent les quatre signataires de la tribune.

 

[1] Erwan Le Morhedec est auteur de Fin de vie en République (Cerf, 2022), le Dr Jean-Marie Gomas a cosigné Fin de vie : peut-on choisir sa mort ? (Artège, 2022).

Source : Le Figaro (02/11/2023) – Photo : Pixabay

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