Euthanasie ou suicide assisté : « une brèche dans un rempart de sagesse »

23 Nov, 2023

Dans une tribune publiée le 23 novembre dans le journal La Croix, plus de 80 médecins[1] s’insurgent contre le projet de loi sur la fin de vie (cf. Fin de vie : Agnès Firmin Le Bodo précise les contours du projet de loi).

« Limiter [la] toute-puissance » des médecins

« Permettre légalement l’usage d’une force légitimée à des professionnels du soin, c’est créer une brèche dans un rempart de sagesse qui protège les malades depuis 2500 ans » expliquent-ils (cf. 800.000 soignants s’opposent à l’euthanasie). C’est Hippocrate qui, environ 400 ans avant Jésus-Christ, a permis à la médecine de se différencier de la magie et de la religion en mettant en place une méthode clinique encadrée par son fameux serment. Aujourd’hui encore, le jour de leur soutenance de thèse, les étudiants en médecine font la promesse suivante, inscrite dans le serment d’Hippocrate : « Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. code de la santé publique » (cf. « La mort ne sera jamais la solution. La solution c’est la relation »). L’objectif de ce serment est de « limiter [la] toute-puissance » des médecins.

En effet, contrairement à l’armée ou la police notamment, « la médecine et le soin sont les seules professions dans lesquelles on peut toucher, modifier voire mutiler le corps humain sans encourir de sanctions » relèvent les signataires de la tribune. En médecine, la transgression doit avoir comme unique but « le rétablissement de la santé des personnes». « Les moyens employés doivent être proportionnés, leur efficacité validée et (…) le malade doit être consentant » soulignent-ils (cf. Fin de vie : « c’est le soin qui doit d’abord s’exprimer »).

Avec les progrès de la médecine et notamment l’avènement de la médecine anatomo-clinique au XIXème siècle, des principes plus précis sont devenus nécessaires. En 1845, Max Simon a évoqué pour la première fois la « déontologie médicale » dans son livre Déontologie médicale ou des devoirs et des droits des médecins dans l’état actuel de la civilisation. Ensuite, le code de Nuremberg est venu ajouter de nouveaux garde-fous après la Seconde Guerre mondiale, la Shoah et le nazisme (cf. Crimes nazis : le « devoir de mémoire » des médecins). Aujourd’hui, d’autres textes nationaux et internationaux complètent et encadrent les devoirs des médecins ainsi que les droits des malades.

La nécessité des garde-fous

Les signataires insistent sur la nécessité des garde-fous pour que « la relation de soin ne contribue pas à essentialiser les différences, ni ne réifie ou instrumentalise les personnes, mais vise toujours l’humanisation de l’autre » (cf. Fin de vie : « refaire de la place à la faille » et « rester, jusqu’au bout, solidaires »). D’ailleurs, d’autres professions comme les infirmiers ont développé un code de déontologie disposant que « l’infirmier ne doit pas provoquer délibérément la mort ».

Alors que le Gouvernement doit présenter un projet de loi visant à légaliser l’euthanasie ou le suicide assisté allant même jusqu’à souhaiter l’inclure dans le code de la santé publique, les signataires de la tribune s’inquiètent (cf. « Parler d’”aide” pour le suicide ou l’euthanasie est un dévoiement de la solidarité »). Autoriser un médecin à « supprimer une vie » reviendrait à étendre le domaine de la « violence légitime », mais « faut-il vraiment donner au médecin le pouvoir qu’on a retiré aux juges » s’interrogent-ils. « Ce serait un changement de paradigme anthropologique et sociétal majeur qui peut avoir des conséquences insoupçonnées sur notre société déjà secouée par la violence » concluent-ils (cf. Fin de vie : légaliser l’euthanasie n’est « pas un progrès, mais un catafalque social »).

 

[1] Élisabeth Dell’Accio, gériatre retraitée ; Colette Peyrard, médecin retraitée ; Francis Vanhille, médecin formateur ; Clémence Ambroselli, médecin généraliste ; Nicolas Ambroselli, médecin généraliste ; Thierry Amouroux, infirmier ; Sylvie Angenost Lemoignie, psychologue ; Benjamin Autric, médecin en soins palliatifs ; Marie Bacquelin, gériatre ; Vincent Benet, gastro-entérologue ; François Bertin-Hugault, cardiogériatre ; Marc Bonnelle, médecin coordonnateur en hospitalisation à domicile (HAD) ; Laurence Bourgeois, médecin en soins palliatifs ; Élise Chartier, médecin en soins palliatifs ; Jean-Louis Chauvet, réanimateur ; Isabelle Chazot, médecin en soins palliatifs ; Emmanuel Contamin, psychiatre ; Nagib Daher, directeur médical ; Marie Danel, médecin en soins palliatifs ; Laetitia Daniel, médecin coordonnateur en HAD ; Catherine d’Aranda, psychiatre ; Céline Daviau, médecin généraliste ; Alix de Bonnières, médecin en soins palliatifs ; Esther Decazes médecin en soins palliatifs ; Catherine Defeuillet, médecin de la douleur ; Hubert Delbende, médecin généraliste ; Annie Delbende, médecin généraliste ; Solène Deslais, interne en médecine ; Bertrand Devaud, médecin coordonnateur en HAD ; Christophe Dollon, médecin médecine polyvalente ; Alexis Dusanter, médecin généraliste ; Hélène Esvant, médecin coordonnateur en HAD ; Richard Fichet, psychiatre retraité ; Virginie Flamisset, présidente du SNPI ; Éric Fossier, médecin généraliste ; Marie-Pierre Girard, infirmière libérale ; Monique Girard Hadjadj, gériatre ; François Girodon, professeur de médecine ; Antoine Grégoire, pneumologue ; Marie Grolleau, gériatre ; Rachel Guénu, infirmière coordinatrice de SSIAD ; Annick Hamon, médecin DIM et HAD ; Vincent Hernandez, médecin coordonnateur en HAD ; Véronique Hirtzmann, médecin généraliste ; Agate Isselin, médecin en soins palliatifs ; Cécile Jaeger, médecin en soins palliatifs ; Clémence Joly, médecin en soins palliatifs ; Clarisse Laffon de Mazières, gériatre ; Agnès Larrayadieu, médecin gériatre ; Yvon Laurent, gynéco-obstétricien ; Catherine Le Cannelier, médecin coordonnateur d’HAD Myriam Legenne, médecin en soins palliatifs ; Gaëlle Lenclud, médecin en soins palliatifs ; François Mabilais, médecin généraliste ; Agathe Maillet, médecin généraliste ; Pierre Maillet, médecin généraliste ; Marie-Odile Maillotte, bénévole d’accompagnement ; Constance Marie-Jeanne, interne en médecine ; Arnaud Marty, médecin rééducation ; Guillaume Mear, médecin coordonnateur d’HAD ; Véronique Miniac, médecin en soins palliatifs ; Hubert Moser, médecin généraliste ; Sara Piazza, psychologue ; Julie Pouget, médecin en soins palliatifs ; Élisabeth Quignard, gériatre retraitée ; Fabrice Rivetta, médecin généraliste ; Bruno Rochas, médecin en soins palliatifs ; Erwan Rozier, pédopsychiatre ; Jean-Louis Samzun, médecin généraliste ; Nicolas Sena, médecin en soins palliatifs ; Virith Sep Hieng, médecin en soins palliatifs ; Roland Smonig, réanimateur, Florence Taboulet, professeure en pharmacie ; Myriam Touflet, gériatre ; Frédéric Trancart, médecin retraité ; Arnaud Vaganay, médecin en soins palliatifs ; Marie-Laure Valentin, médecin coordonnateur d’HAD ; Frédéric Van der Borght, psychologue ; Arnaud Verdonck, cardiologue ; Yolande Verdonck, médecin PMI.

Source : La Croix (23/11/2023) – Photo : Pixabay

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