Fin de vie : « refaire de la place à la faille » et « rester, jusqu’au bout, solidaires »

16 Oct, 2023

Le débat sur la fin de vie est une opportunité pour réfléchir ensemble à la société que nous souhaitons construire. Dans une tribune publiée le 12 octobre par l’Obs, professeurs d’universités, médecin ou psychologue [1] appellent à refaire de la place à la vulnérabilité et à rester solidaires.

La question n’est pas « purement individuelle »

« Envisager la possibilité de “choisir” », de « maîtriser le moment de sa mort » peut apparaitre rassurant (cf. Aujourd’hui la société « admire le choix de la mort »). « Mais le rapport de l’individu à la maladie ou à la mort n’est jamais une question purement individuelle » rappellent les signataires (cf. « La fin de vie n’est pas avant tout un sujet de liberté individuelle mais de solidarité collective »). « C’est à partir d’un rapport collectif aux questions de mort et de vulnérabilités que les sociétés humaines se sont organisées » insistent-ils (cf. La rencontre de notre vulnérabilité : première étape, pour devenir humain !).

Dans le débat actuel sur la fin de vie, l’aspect « collectif » est négligé au profit de la liberté individuelle. Il est pourtant demandé au collectif d’intervenir pour instaurer « une loi permettant de mettre fin à la vie d’un sujet à sa demande » comme le relèvent les signataires de la tribune.

Construire une nouvelle étape du « vivre ensemble » ?

« Si la plainte au nom d’une souffrance individuelle ne peut être délégitimée, quelle réponse y donner ? » interrogent professeurs d’universités, médecin et psychologue. « Face à la souffrance de l’individu devant la vulnérabilité, l’angoisse, le tragique de l’existence, faut-il que le collectif propose la mort » (cf. « La mort ne sera jamais la solution. La solution c’est la relation ») , ou « faut-il construire un modèle tentant de reconnaître et de soulager celui qui se plaint de dégradations, de douleurs, d’isolement ? » (cf. Fin de vie : voulons nous « une société fondée sur la toute puissance de l’individu réclamateur » ?)

« Pouvons-nous porter collectivement le projet d’une société qui sait reconnaître la fragilité, la vulnérabilité autrement que comme le négatif de la puissance, de la performance et de la productivité ? » poursuivent les signataires (cf. « Je suis fière d’être en vie ! »). « Est-il possible de construire une nouvelle étape du “vivre ensemble” qui intègre réellement, sans renvoyer dans des lieux clos et dédiés, celles et ceux qui ne correspondent pas aux normes valorisées, et d’ailleurs souvent illusoires, d’autonomie et d’indépendance ? » interpellent-ils.

S’appuyer sur « une vision collective soutenante »

La perspective d’une société uniquement constituée de personnes bien portantes, valides, jeunes et performantes est utopiste, et surement peu souhaitable. Comme le rappellent les signataires, « nous sommes toutes et tous concernés par la maladie, la vieillesse et, inéluctablement, la mort » (cf. Jean Leonetti : « La mort n’est pas un problème médical, la mort est un problème existentiel »). « Notre réalité à venir est celle du grand âge, de la dépendance » insistent-ils (cf. Grand âge : le manque d’ambition de l’exécutif ?).

La maladie, la vieillesse comme la mort peuvent faire peur. « La société doit nous aider à appréhender ces perspectives pour nous-même, ou pour nos proches ». « Nous avons besoin de nous appuyer sur une vision collective soutenante et proposant une autre dimension que celle de la perte, de la dégradation et de l’indignité » exhortent-ils (cf. Garantir le « bien vieillir » exige de « nouvelles expressions de la solidarité nationale ») .

Un modèle où la vulnérabilité ne soit pas « vécue comme une tare »

Le débat sur la fin de vie est l’occasion de réaffirmer notre volonté de « participer à un projet social qui mette au cœur de son action la prise en charge collective des vulnérabilités individuelles, qui reconnait l’interdépendance fondamentale qui lie les êtres humains entre eux ». Nous sommes « tous concernés pour participer à ce projet social ». Chacun est nécessaire à cet engagement.

Le défi est de taille. Il s’agit de « penser ensemble un modèle où la vulnérabilité, quelle qu’elle soit, ne soit pas vécue comme une tare, mais comme une raison pour le collectif d’exister, de créer, de soigner » (cf. « Parler d’”aide” pour le suicide ou l’euthanasie est un dévoiement de la solidarité »). « Refaire de la place à la faille, à ceux qui doutent » est difficile, mais possible. Il faudra pour cela aller à l’encontre de la tendance actuelle qui est orientée par « la performance, et la promotion de l’individu maître de lui-même » (cf. La dignité est « inconditionnelle »).

La priorité est de soutenir la place de chacun et la possibilité de se sentir digne alertent les signataires (cf. Pour une fin de vie digne de l’humaine dignité). Il faut « penser et organiser notre société pour faire de la place à celles et ceux qui en ont de moins en moins, s’engager pour celles et ceux dont la voix faiblit, et rester, jusqu’au bout, solidaires ».

 

[1] Sara Piazza, psychologue clinicienne, docteure en psychopathologie et psychanalyse ; Johann Chapoutot, professeur d’histoire contemporaine, Sorbonne Université ; Eric Fiat, professeur de philosophie, université Paris-Est Marne-la-Vallée ; Roland Gori, professeur honoraire de psychopathologie clinique et psychanalyste ; Isabelle Marin, médecin et philosophe et Pascale Molinier, professeure de psychologie sociale, université Sorbonne Paris Nord

Source : l’Obs (12/10/2023)

 

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