Fin de vie : voulons nous « une société fondée sur la toute puissance de l’individu réclamateur » ?

Publié le 10 Juil, 2023

Dans une nouvelle tribune publiée par l’Obs, une centaine de professionnels de la psychiatrie, de la psychanalyse et de la psychologie ont décidé de répondre à « l’appel des 109 » et de s’opposer à la légalisation de l’euthanasie.

La maladie, grave et le handicap nous transforment

Il existe une « disproportion » entre « les 75 % de personnes bien portantes favorables à l’euthanasie et les 1 à 2 % en situation réelle de handicaps sévères ou de fin de vie qui la réclament » relèvent les signataires de la tribune (cf. Fin de vie : « Est-ce à l’ensemble des Français de décider ce qui est bon pour les malades ? »). « Comment comprendre un tel abîme ? », interrogent-ils.

« Les personnes bien portantes s’imaginent être des identités closes » notent les spécialistes. « Quand elles se projettent dans la peau de personnes gravement handicapées, elles jugent aujourd’hui qu’elles seront indignes de vivre ainsi ». « Ces personnes ne réalisent pas qu’elles auront changé d’identité et de point de vue quand la maladie grave ou le handicap les aura transformées » expliquent les professionnels de santé . « Notre identité est ouverte : nous ignorons absolument qui nous deviendrons, ce que nous désirerons quand des évènements nous auront métamorphosés » précisent-ils (cf.  « Manifeste des 110 » :  « laissez-nous le droit d’exister, d’exister tels que nous sommes »).

« Pourquoi les personnes en fin de vie ou en situation de handicap psychique ou physique extrême ne réclament pas, pour 98 à 99 % d’entre elles, une aide à mourir ? Peut-être parce que la vie veut la vie et les personnes vulnérables aussi » constatent les signataires (cf. « Etre regardés, soulagés, accompagnés, mais pas tués »).

« Parmi les personnes militant pour l’euthanasie, beaucoup ont vu un proche souffrir, être maltraité ou abandonné par des médecins » indiquent également les spécialistes. La sociologue Anita Hocquard, ajoute que, parmi ces militants, il y a aussi « une surreprésentation de personnes au fort prestige social qui ont intériorisé le fait qu’elles deviendront une contre-valeur une fois devenues vulnérables et dépendantes ».

« L’interdit de tuer est à la fois le cadre et la condition de possibilité du soin »

Quelle société voulons-nous construire s’inquiètent les signataires. « Une société fondée sur la toute-puissance de l’individu réclamateur ? ou sur l’accueil et la responsabilité vis-à-vis des grandes vulnérabilités ? »

« Alors que l’hôpital et les institutions de soins souffrent d’un manque cruel de moyens à mettre au service de la vie, on veut nous “offrir” les moyens de donner la mort et le suicide médicalement administré » s’étonnent les praticiens. Pourtant, « l’interdit de tuer est à la fois le cadre et la condition de possibilité du soin », comme ils le rappellent (cf. Fin de vie : « c’est le soin qui doit d’abord s’exprimer »).

« Nos démocraties individualistes sont en multicrise et en perte de repères symboliques remplacés par les logiques marchandes, l’hypercontrôle et la prolifération de protocoles administratifs » alertent les signataires. « Imaginer qu’un dispositif législatif répondra à toutes les situations humaines si plurielles et si complexes est un leurre et un piège » préviennent-ils.

« Si nous levons l’interdit de participer à la provocation de la mort, nous aurons certes la solution radicale aux rares cas difficiles, mais en contrepartie nous fabriquerons de toute pièce des dilemmes bien plus insurmontables comme chez nos voisins qui ont dépénalisé l’aide active à mourir ou l’euthanasie » mettent en garde les professionnels de santé (cf. Les dérives inquiétantes de la pratique de l’euthanasie en Belgique).

Ambivalence et « zones grises »

« Notre travail quotidien est fait de demandes de mort par des personnes aux “souffrances psychiques réfractaires” et aux « “maladies incurables” » rappellent les spécialistes. « Nous ne devons pas répondre en miroir à la personne qui veut mourir ».

« La demande de mort porte une part d’ambivalence, de zones grises : elle est demande d’une autre vie moins souffrante », constatent les professionnels de santé. « Tout notre travail consiste à faire dé-coïncider la personne de sa demande pour créer ensemble un écart vers une dynamique nouvelle » ajoutent-ils. « L’interdit de participer de près ou de loin à la mort garantit la sécurité de la relation et permet d’être inventifs et imaginatifs » (cf. Pays-Bas : consulté pour une demande d’euthanasie, un médecin guérit un malade psychiatrique).

« L’aide active à mourir ou l’euthanasie promet le suicide réussi et la mort au bout du protocole ». Pourtant, sur le terrain, les praticiens rencontrent des personnes ayant fait des tentatives de suicide gravissimes qui veulent « vivre et même se sentent revivre » (cf. Euthanasie et prévention du suicide : le paradoxe).

« Laissons une chance de seconde vie aux personnes déjà fragilisées par nos sociétés. Laissons une chance à l’hôpital de survivre, sans pervertir les valeurs du soin déjà si meurtries par les thanatopolitiques » exhortent les spécialistes.

Source : l’Obs (07/07/2023)

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