Les dérives inquiétantes de la pratique de l’euthanasie en Belgique

16 Fév, 2023

Aymeric de Lamotte, avocat et directeur adjoint de l’Institut Thomas More, nous invite à « ausculter » la pratique de l’euthanasie sur le sol belge vingt ans après sa dépénalisation. Cette tribune a été initialement publiée par la Libre et est reproduite ici avec l’accord de l’auteur.

Si autrefois, l’Europe, traversée d’anthropologie humaniste, défendait la vie jusqu’à son terme naturel, l’évolution moderne des mœurs a incité les Etats à légiférer sur l’assistance médicale au suicide. Ainsi, en 2002, le gouvernement Verhofstadt I a décidé de doter la Belgique d’une loi dépénalisant l’euthanasie et encadrant son exécution.

Une «  solution d’exception » ?

L’un des objectifs de la loi était d’offrir « une solution d’exception » aux patients atteints d’une affection « grave et incurable » provoquant chez eux une « souffrance constante, inapaisable et insupportable ». En quinze ans, de 2004 à 2019, le nombre d’euthanasies déclarées chaque année a été multiplié par sept (cf. Euthanasie en Belgique : de l’acte exceptionnel à la banalisation). Il dépasse les deux mille cas par an depuis 2015, sans compter un quart à un tiers d’euthanasies clandestines [1]. Le cas d’Olympe, youtubeuse française de 23 ans, qui a récemment exprimé le désir d’avoir recours à l’euthanasie en Belgique (cf. Le suicide assisté : « une contradiction dans les termes »), interroge la conception qu’ont les Français du modèle belge.

L’autonomie de l’individu, dans le respect de la volonté du médecin de pratiquer l’acte, est le pilier principal sur lequel repose le régime actuel. Seule une personne majeure capable, ou un mineur « doté de discernement » depuis 2014, se trouvant dans une situation médicale sans issue, peut être euthanasiée, à condition que la demande soit « réfléchie et répétée ». Aux termes de la loi, la personne doit endurer une souffrance physique ou psychique constante et insupportable qui ne peut être apaisée. Le mineur, quant à lui, ne peut en théorie pas demander l’euthanasie pour seule souffrance psychique, ou à un stade non terminal de la maladie (cf. Belgique : un mineur euthanasié). Précision capitale : la conformité à cet encadrement légal n’est contrôlée qu’a posteriori par la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie.

La pratique de ce cadre juridique a été analysée de manière très complète par l’Institut européen de bioéthique dans un dossier récent [2]. Nous évoquerons ici quatre points : la défaillance du contrôle a posteriori de ladite Commission, la liberté de conscience en état de siège, le piège de l’expression « le droit de mourir dans la dignité » et le phénomène de banalisation de l’euthanasie.

Le contrôle a posteriori de la Commission est défaillant

Le contrôle a posteriori ne se réalise que sur la base de la déclaration des médecins, sans être en mesure de vérifier les informations transmises. Par ailleurs, les médecins membres de la Commission pratiquant des euthanasies font face à de sérieux conflits d’intérêts : ils sont amenés à évaluer la conformité́ de leurs « propres euthanasies ».

A cet égard, dans l’affaire Mortier contre Belgique, la Cour européenne des droits de l’homme a, pour la première fois, examiné la conformité du système belge à la Convention européenne des droits de l’homme, dans le cas d’une euthanasie pratiquée sur une personne dépressive. La Cour a condamné la Belgique en ce qu’elle a manqué à son obligation positive procédurale notamment en raison du manque d’indépendance de la Commission (cf. Euthanasie : Une première condamnation de la Belgique par une juridiction internationale). Enfin, la Commission admet que les moyens financiers et humains dont elle bénéficie l’empêchent d’effectuer un contrôle sérieux.

« La liberté de conscience en état de siège »

La loi belge reconnaît la liberté de conscience du médecin ne souhaitant pas participer à une euthanasie quand celui-ci ne reconnaît pas son caractère médical, et plus fondamentalement, la considère incompatible avec la déontologie médicale et le serment d’Hippocrate. Néanmoins, une modification de la loi, votée le 15 mars 2020, contraint désormais les établissements de santé à accepter la pratique de l’euthanasie en leur sein.

Sans parler du fait que les promoteurs de la loi en 2002 insistaient sans cesse sur le fait qu’il s’agissait d’une loi de liberté, cette modification est une atteinte inadmissible à la liberté constitutionnelle de s’associer et de déterminer sa mission. En outre, ce que l’on présente « nonchalamment » comme un fait anecdotique, est en réalité un bouleversement moral à l’orientation effrayante. Sur le plan individuel, cette modification entrave l’exercice du refus de donner la mort pour tout médecin exerçant dans un hôpital ou une maison de retraite qui doit nécessairement autoriser l’euthanasie. Il est devenu impossible, pour un soignant, de trouver un travail dans une institution de soins qui exclut d’administrer la mort à ses patients ou résidents âgés. Un simple article de loi tente aujourd’hui de fracturer une des pierres d’angle qui font tenir debout la civilisation européenne au milieu d’un silence médiatique tonitruant.

Comme il est de coutume en Belgique, les questions politiques fondamentales ne font pratiquement jamais l’objet d’un débat de fond et sont approuvées sans connaissance de cause. Une société qui tente de soumettre la conscience de ses citoyens peut-elle encore se qualifier de démocratique ?

Le piège de l’expression « le droit de mourir dans la dignité »

Le fait d’associer l’euthanasie au « droit de mourir dans la dignité » nous tend un piège en présentant une fausse alternative : le choix de l’euthanasie ou celui de la souffrance insoutenable. Lorsqu’on interroge les gens à propos des raisons pour lesquelles ils sont plutôt favorables à l’euthanasie, ils répondent fréquemment le regard plein d’effroi : « Je ne veux pas souffrir ». Ils ignorent souvent que les découvertes scientifiques jusqu’à aujourd’hui permettent pratiquement d’éradiquer toute forme de douleur physique et que les soins palliatifs permettent une prise en charge efficace et globale des douleurs du patient (cf. Fin de vie : « ne dévoyons pas les soins palliatifs »). En outre, penser que la dignité suit la courbe ascendante ou descendante de l’état de santé de la personne alors qu’elle en est au contraire intrinsèque et inaliénable est une conception erronée (cf. La dignité est « inconditionnelle »).

« Banalisation » de l’euthanasie

La tendance contemporaine qui crée inlassablement de nouveaux droits individuels pousse le législateur à étendre la pratique de l’euthanasie et à vouloir banaliser celle-ci. A titre d’exemple, l’Open VLD [3] plaide pour l’euthanasie sans motif lié à l’état de santé, fondé sur la seule « fatigue de vivre ». En réalité, cette évolution révèle surtout une sorte de fatigue relationnelle, une sorte d’abandon du plus faible qui se meurt dans sa solitude, une dégradation de notre rapport à la vulnérabilité et à la fragilité (cf. « C’est l’accompagnement qui humanise la fin de vie, pas l’euthanasie ou le suicide assisté »).

Christian Flavigny, chercheur associé à l’Institut Thomas More, évoque un « humanisme individualiste » dans un récent article du Figaro et écrit, en parlant d’Olympe : « Cautionner (sa mort) ne traduirait pas notre empathie à l’égard de sa souffrance mais le fait de s’en désintéresser et de laisser la jeune femme se débrouiller avec elle-même ». En outre, cette banalisation du recours à l’euthanasie présente un risque d’évoluer vers une société qui culpabiliserait ceux qui continueront à vouloir vivre jusqu’à leur mort naturelle.

 

[1] K. Chambaere et al., « Recent Trends in Euthanasia and Other End-of-Life Practices in Belgium », The New England Journal of Medicine, 2015, vol. 372, p. 1180 ; S. Dierickx et al., « Drugs Used for Euthanasia: A Repeated Population-Based Mortality Follow-Back Study in Flanders, Belgium, 1998-2013 », Journal of Pain and Symptom Management, 2018, vol. 56, n° 4, pp. 551-559.

[2] Institut Européen de Bioéthique, L’euthanasie, 20 ans après : pour une véritable évaluation de la loi belge, mai 2022 — note réalisée par Léopold Vanbellingen, chargé de recherche.

[3] Open Vlaamse Liberalen en Democraten, Parti politique belge

 

 

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