Dans une tribune parue dans le journal La Croix, Laurence Devillairs, docteur en philosophie et enseignante à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, analyse la notion de dignité en lien avec le débat actuel sur la fin de vie. Une notion qui se prête à de multiples interprétations (cf. La dignité, un mot dévoyé) et qui « peut être un devoir aussi bien qu’un dû ».
Une personne et non un « point »
« Ce qui est digne en chaque homme, c’est son humanité », rappelle la philosophe. « L’humanité n’est pas une valeur parmi d’autres, mais ce qui conditionne toute valeur », ce qui commande toute revendication de droits, affirme-t-elle.
La dignité n’est pas « intransitive », elle est « inconditionnelle ». « L’humanité de chaque homme est un absolu non négociable » explique Laurence Devillairs. « Tout lui est subordonné ». Rien ne doit ainsi pouvoir se substituer à ce respect pour l’humanité de chaque homme, quel que soit le moment de son existence (cf. Dignité des personnes âgées, euthanasie : « l’heure des choix »).
« Ce qui est digne, c’est en chaque homme le fait qu’il est une personne, et non “un point” » ajoute-t-elle. « Cette dignité est indépendante de toute autre considération, qu’elle soit physique ou sociale ».
« Je ne suis pas uniquement ce que je fais »
« Nous sommes passés d’une dignité de la personne à une dignité des capacités de la personne », regrette la philosophe. « Ce que nous revendiquons serait ainsi davantage le pouvoir d’agir en personne, que celui d’exister comme personne ». Nous apprécions la dignité en fonction de l’aptitude que nous avons. Cela « ne me paraît pas être à la hauteur de ce qui constitue la personne humaine » dénonce-t-elle (cf. « Aidez-nous à vivre dans la dignité »).
« Je ne suis pas uniquement ce que je fais ». Je suis plus que mon aptitude à « gouverner ma vie » affirme-t-elle. Une part non négligeable de ma dignité vient de tout « ce qui n’avait pas demandé mon consentement », comme ma vie ou mon physique notamment.
« Je ne suis pas autoentrepreneur de mon existence »
« Ma liberté ne trouve sa place qu’entre ce qui est imposé et ce qui est inéluctable » explique la philosophe (cf. Fin de vie : liberté, dignité, laïcité ?). « Vouloir faire de l’homme un acteur dégagé de tout lien, que rien ne limite, est illusoire. Je ne suis pas autoentrepreneur de mon existence » dénonce-t-elle. « Ma dignité ne repose pas sur ma capacité à être aux commandes, à gérer. Ma dignité est inaliénable, même là où je suis contraint de subir une vie abimée ».
« Voilà ce qui me gêne : le fait de mesurer la dignité non plus à la personne mais à ses capacités » insiste-t-elle. « Cette conception de la dignité est profondément “solipsite” », c’est-à-dire liée au « moi » qui constituerait la seule réalité dont je sois sûr.
La dignité ressort d’un « élan d’humanité »
Elle ajoute : « la dignité ressort aussi d’un don, de ce que l’autre me donne au travers d’un acte de générosité (..) d’un élan d’humanité » (cf. « La mort ne sera jamais la solution. La solution c’est la relation »). Primo Levi affirme d’ailleurs devoir son humanité à un acte d’amitié : « C’est à Lorenzo que je dois d’être encore vivant aujourd’hui, pour m’avoir constamment rappelé qu’il existait encore, (..) un monde juste, (..) comme une lointaine possibilité de bonté, pour laquelle il valait la peine de se conserver vivant ».
« Ce qui vaut la peine, ce n’est pas ma capacité à être maitre de mon existence, c’est d’abord et avant tout que j’existe, tel que je suis, et tel qu’il pourra m’arriver de devenir » conclut finalement Laurence Devillairs.
Source : La Croix, Laurence Devillairs (06/02/2023) – Photo : iStock