« Manifeste des 110 » :  « laissez-nous le droit d’exister, d’exister tels que nous sommes »

6 Juil, 2023

Le « Manifeste des 110 », signé par des personnes fragiles, en fin de vie, atteintes d’un handicap lourd ou de troubles psychiques, a été récemment publié par Le Figaro. Toutes alertent sur la violence qu’une loi nouvelle autorisant l’euthanasie ou le suicide assisté représenterait à leur égard, et demandent à être reconnus, entourés, accompagnés (cf. « Etre regardés, soulagés, accompagnés, mais pas tués »). Trois des signataires témoignent de leur situation et expliquent pourquoi ils ont apporté leur soutien à ce texte.

Jeanne Got a 43 ans. Elle est infirme moteur cérébral.

Je suis atteinte par un handicap assez lourd, tout mon quotidien est compliqué : toujours lent, souvent frustrant, parfois douloureux, mais je suis infiniment et profondément heureuse de vivre, chaque jour. De vivre ma vie, comme je suis. J’ai besoin de soins et de rééducation permanente, mais aussi d’aide et d’accompagnement au quotidien. Cela rend ma vie compliquée, et cela complique celle de mon entourage. Et, pourtant, qu’est-ce que cette vie d’épouse, de mère, et d’ingénieure vaut la peine d’être vécue !

Ces discussions autour de l’euthanasie me retournent. Moi qui ai fait plusieurs fois l’expérience d’être rejetée, enfant battue à cause de mon handicap, je ne peux pas me détourner de la conviction que c’est moi que cette loi vise en premier. En disant cela, je pense aussi à tous ceux qui sont en EHPAD, aux grands blessés dans les hôpitaux, à ceux qui sont polyhandicapés ; à tous ceux qui sont différents, hors de la norme d’une société d’efficacité. Les expériences menées chez nos voisins européens ne font que confirmer mes craintes. J’ai la chair de poule que cela arrive en France.

La légalisation de l’euthanasie tuerait la relation entre le patient et le monde médical. Moi, je veux au contraire crier un message de vie : arrêtez-vous et regardez-nous. Laissez-nous le droit d’exister, d’exister tels que nous sommes. Après tout, nous ne sommes pas mal ! Je veux dire à ceux qui tombent, qu’il faut parfois du temps pour se relever. Si c’est dur de dépendre de l’aide des autres, ce n’est vraiment pas la fin du monde. La vie a toujours des beaux moments à offrir.  Notre société a besoin de plus de soignants, de plus de respect pour les plus faibles, de plus de considération pour les personnes dépendantes qui sont pourtant enrichissantes. Choisissons la vie.

Véronique Pommeret a 57 ans. Elle est atteinte de la maladie de Charcot.

J’ai la maladie de Charcot depuis 2019, peu de temps avant je faisais encore des semi-marathons. Aujourd’hui, je ne parle plus, je ne peux plus manger toute seule, je suis dans un fauteuil et j’ai sans cesse besoin de mon mari, d’auxiliaires de vie. Je suis enfermée dans mon corps, mais ma tête marche très bien. Je fais encore partie de la famille, j’ai un travail de maman, et on me sollicite pour la vie quotidienne. Avec mon mari nous avons six enfants, dont les deux derniers sont étudiants, et ils me sollicitent pour des sujets, comme une autre maman. Je suis pleinement à ma place.

J’ai signé ce manifeste car je suis contre l’euthanasie et le suicide assisté. Ce sont des gens bien portants qui font la promotion du suicide assisté, et ce projet de loi est une honte pour une société. Je le considérerais comme un échec : ce n’est pas mourir dignement. Mais des efforts sont à faire pour que les gens soient accompagnés. On ne se « débarrasse » pas de personnes « encombrantes » comme d’un jouet cassé, trop vieux ou inutile. Une solution serait de développer les soins palliatifs. Je n’ai pas eu encore besoin d’eux. Mais on ne peut pas laisser seules les personnes en grande souffrance physique ou psychologique. C’est la solitude et le sentiment d’être inutile et encombrant qui ôtent le désir de vivre.

Pour nous qui sommes dépendants, nos proches, nos amis et notre famille, sont d’un vrai secours, une aide précieuse, même si la routine est difficile. J’ai rencontré des gens dans la même situation que moi, notamment lors de cures, et je me rends compte que je suis très « gâtée » dans cette épreuve, car je suis très bien entourée et j’ai surtout une très grande confiance en Dieu. Je suis bien consciente que je ne dirais pas tout ça si j’étais seule sans amour, sans la possibilité d’aimer.

Monique Killmayer a 70 ans. Elle est atteinte d’une ataxie de Friedriech.

J’ai été médecin pédiatre et confrontée aux atteintes à la vie prénatale. Je suis maintenant porteuse d’un lourd handicap physique et j’aborde la fin de ma vie. J’ai signé sans retenue ce manifeste. Comme toute personne touchée par la maladie grave ou le handicap, je me dis que nous avons déjà beaucoup à lutter, pour nous faire accepter, aider, consoler, aimer. Il nous faudra en prime lutter contre la tentation d’en finir.

Nous vivons une période où tout doit être identique dans notre façon d’être, de nous comporter et même de penser, mais la réalité humaine est toute autre. Dès que l’on touche à l’interdit de tuer, toutes les dérives sont possibles. Aujourd’hui suicide assisté pour ceux qui le demandent, demain euthanasie pour les plus vieux ou les plus malades par « compassion ». Puis, ce sera pour des raisons économiques : suspension du droit d’exister à ceux qui ne rapportent rien et sont une charge pour la société. Le but final et non avoué, n’est-il pas celui-là ?

Si nous voulons rendre la société plus humaine, il faut prendre conscience que nous avons tous besoin les uns des autres. Accueillir la vulnérabilité, la fragilité, et non vouloir la fuir ou la supprimer est la base de notre humanité. Sinon, nous tombons dans le désir de toute puissance, l’individualisme, la barbarie.

Ce manifeste vient montrer le fossé qui sépare les « puissants et valides » qui préconisent la loi, face à des personnes fragiles qui se battent pour se faire reconnaître et vivre. La communauté humaine a besoin des deux : forts et fragiles en interdépendance. D’ailleurs, où est la limite ? Les forts ont leurs fragilités non visibles, les visiblement fragiles ont leur force, et les deux se complètent. La société est une chaîne humaine dont les maillons les plus faibles déterminent la solidité. Que se passera-t-il si on supprime l’un après l’autre les maillons les plus faibles ? Qui résistera ?

Ces interviews ont initialement été publiées dans la revue Ombres et Lumière. Elles sont reproduites avec l’accord de sa rédaction.

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