Après la phase d’auditions (cf. Fin de vie : « soigner, ce n’est pas faciliter la mort programmée ! »), lundi 13 mai, les débats parlementaires sur le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie commenceront officiellement. Les 70 députés de la commission spéciale plancheront d’abord sur le texte issu du Conseil des ministres pendant une semaine, pour présenter une version amendée à leurs pairs qui sera discutée dans l’hémicycle à partir du 27 mai.
Cette phase de travail à l’Assemblée nationale constitue la première lecture de ce texte qui vise à légaliser euthanasie et suicide assisté en France, et qui annonce de longs mois de débats. Elle se déroulera en période préélectorale européenne, et se terminera par un vote solennel le 11 juin, au lendemain des élections européennes (cf. Fin de vie : Yaël Braun-Pivet précise le calendrier des débats à l’Assemblée nationale). Un calendrier calculé et imposé par le gouvernement qui est allé jusqu’à modifier le calendrier prévisionnel de l’Assemblée. « Un mode opératoire choquant », comme le dénonçait le député Patrick Hetzel (LR), qui en dit long sur la détermination et l’opportunisme du gouvernement (cf. Fin de vie : un projet de loi qui « permet de mettre un pied dans la porte », avant les prochaines étapes).
Alors que les députés de la commission ont déposé 1 821 amendements, il est intéressant de voir sur quelle copie ils vont travailler. Gènéthique décortique pour vous le projet de loi issu du Conseil des ministres (cf. Fin de vie : le projet de loi devant le Conseil des ministres).
Le texte comprend 21 articles, et se découpe en deux titres. Le premier porte sur le renforcement des « soins d’accompagnement » et les droits des malades (articles 1 à 4), le second sur l’« aide à mourir » (articles 5 à 21).
TITRE 1 : « Renforcer les soins d’accompagnement et les droits des malades »
Article 1 : définition de la nouvelle notion de « soins d’accompagnement »
Cet article a pour but de rebaptiser les soins palliatifs, mais il ne s’y limite pas (cf. « Soins d’accompagnement » : médecins et infirmiers opposés au changement de terminologie). Les « soins d’accompagnement » visent à « anticiper, prévenir et soulager les souffrances dès l’annonce du diagnostic et aux différents stades de la maladie » selon le projet de loi. On comprend qu’une telle appellation mêlera soins palliatifs et « aide à mourir ».
Articles 2 à 4 : création de « maisons d’accompagnement » et du « plan personnalisé d’accompagnement »
Le texte prévoit la mise en place d’une « nouvelle catégorie d’établissement médico-social »: les « maisons d’accompagnement ». « Structures intermédiaires entre le domicile et l’hôpital, elles seront composées de petites unités de vie qui proposeront une prise en charge globale et pluridisciplinaire aux personnes en fin de vie et à leurs proches. »
Le projet de loi prévoit en outre le « plan personnalisé d’accompagnement » qui est un dispositif de coordination des prises en charge du patient dans une démarche de planification anticipée de ses besoins.
Ce premier titre, composé de 4 articles, semble dérisoire en comparaison du deuxième. Ces articles, qui ne répondent pas à l’opposabilité nécessaire et attendue du droit d’accès aux soins palliatifs, apparaissent plus comme une caution pour la légalisation de l’« aide à mourir », que comme une réelle volonté de renforcer les soins palliatifs (cf. Plan décennal sur les soins palliatifs : « il faudrait être naïf pour s’y fier »).
TITRE 2 : « Aide à mourir »
Articles 5 et 6 : définition de l’« aide à mourir » et conditions d’accès
L’article 5 légalise le suicide assisté et l’euthanasie en permettant « à une personne qui en a exprimé la demande » d’obtenir « une substance létale (…), afin qu’elle se l’administre ou, lorsqu’elle n’est pas en mesure physiquement d’y procéder, se la fasse administrer par un médecin, un infirmier ou une personne qu’elle désigne ».
Le texte détaille ensuite les conditions d’accès de l’« aide à mourir ». La personne doit ainsi : être majeure, souffrir d’une maladie grave et incurable, être apte à exprimer sa volonté, subir des souffrances physiques ou psychologiques réfractaires ou « insupportables », et avoir un pronostic vital engagé à court ou moyen terme.
Si le texte parle d’« aide à mourir », il s’agit là d’euphémisme. Le Conseil d’Etat, dans son avis du 4 avril 2024, reconnait lui-même que « le projet de loi crée une procédure autorisant l’assistance au suicide et l’euthanasie à la demande de la personne ». En outre, les réactions des experts et de parlementaires ont déjà émergé sur le caractère très interprétable, et non mesurable, de certaines conditions, telles que le « moyen terme » ou encore les « souffrances psychologiques » (cf. Fin de vie : un texte qui « s’est résigné aux mensonges »).
Articles 7 à 15 : la procédure d’« aide à mourir »
Ces articles détaillent la procédure de l’« aide à mourir ». Le médecin recueillant la demande de la personne doit écouter l’avis d’un spécialiste de la pathologie, d’un aide-soignant ou d’autres professionnels.
Une précision est en outre apportée concernant les majeurs faisant l’objet d’une protection juridique avec assistance ou représentation relative à la personne : la personne chargée de la protection doit être informée de la demande d’« aide à mourir » et le médecin doit « tenir compte de ses observations ».
Ce que prévoit le projet de loi n’est pas une procédure collégiale, le médecin n’est pas lié par l’avis des autres professionnels. Ainsi, la décision relative à une injection létale irréversible pourrait reposer sur un seul médecin. Par ailleurs, il n’y a pas de régime spécifique pour les majeurs protégés. L’oubli est grave. Si ces personnes sont sous protection juridique, c’est qu’il est fort probable que leur volonté n’est pas totalement libre et éclairée.
Le médecin se prononce par ailleurs sur la demande d’« aide à mourir » dans un délai maximal de 15 jours. Une fois que le médecin a notifié à la personne qu’elle rentrait dans les conditions d’accès, l’intéressée dispose d’un « délai de réflexion, qui ne peut être inférieur à deux jours » avant de confirmer sa demande d’« aide à mourir ». Après sa préparation et sa délivrance par une « pharmacie à usage intérieur autorisée à préparer la substance létale »[1], la personne se l’auto-administre. Si elle n’est pas en mesure d’y procéder physiquement, l’administration se fait, à sa demande, soit par une personne volontaire qu’elle désigne, soit par le professionnel de santé présent.
Cette procédure montre ainsi qu’une euthanasie ou un suicide assisté pourraient être réalisés en seulement quelques jours. Le seul délai incompressible est le « délai de réflexion » de deux jours, dont on peut souligner le caractère dérisoire au regard du caractère irréversible de l’acte.
Article 16 : création d’une clause de conscience relative
Cet article précise que les professionnels de santé ne sont pas tenus de recourir à la mise en œuvre de l’« aide à mourir ». Néanmoins, le médecin doit en informer la personne, et lui communiquer le nom de professionnels de santé susceptibles d’y procéder.
Cette clause de conscience n’est en outre pas reconnue pour les pharmaciens, quand bien même ce sont eux qui délivreront la substance qui tue (cf. « Aide à mourir » : les pharmaciens et les établissements exclus de la clause de conscience). Dans son avis, le Conseil d’Etat le justifie en estimant que les pharmaciens « ne concourent pas de manière suffisamment directe à l’aide à mourir ». De nombreux pharmaciens pourtant y voient une collaboration directe à la mort provoquée.
Articles 17 et 18 : contrôle et évaluation
La commission de contrôle et d’évaluation créée par le projet de loi est chargée de contrôler les pratiques a posteriori, « à partir des données enregistrées dans le système d’information ». Elle est également responsable du système d’information dédié au suivi de la procédure d’« aide à mourir ».
Articles 19, 20 et 21 : informations diverses
Relégué aux informations diverses, l’article 19 prévoit la prise en charge par l’assurance maladie de l’« aide à mourir ». Le dernier article du projet de loi concerne, lui, les dispositions s’appliquant en Outre-mer.
Le projet de loi entreprend une rupture sans précédent avec le fondement du droit français qui repose sur l’interdit de tuer (cf. Euthanasie ou suicide assisté : « une brèche dans un rempart de sagesse »). Il est donc contraint de préciser que ce dispositif d’« aide à mourir » « est un acte autorisé par la loi au sens de l’article 122-4 du code pénal » (art. 5), et ainsi exclut de toute responsabilité pénale « la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires ».
Ce texte adopté en Conseil des ministres et soumis au travail du Parlement n’a donné lieu à « aucun élément chiffré sur le volet soins palliatifs ni sur le volet “aide à mourir” », alors que l’étude d’impact du Conseil des ministres aurait dû les fournir. Des députés LR s’en sont alarmés : « l’étude politique du gouvernement ne se risque à aucune projection sur le nombre de personnes susceptibles d’avoir recours à l’”aide à mourir” en France » qui est pourtant « une question centrale » ont-ils dénoncé (cf. Fin de vie : des députés dénoncent les lacunes de l’étude d’impact). Une alerte qui permet de penser que le texte présenté relève bien d’une idéologie plus que d’un besoin sourcé et évalué des Français.
[1] Seules les pharmacies à usage intérieur (PUI) désignées par arrêté ministériel pourront préparer et dispenser la « préparation magistrale létale » selon l’exposé des motifs du projet de loi et l’article 8 alinéa 15