Le 30 avril, la dernière audition de la commission spéciale sur la fin a eu lieu. Un peu plus d’une semaine après celle de Catherine Vautrin (cf. Fin de vie : Catherine Vautrin, première auditionnée de la commission spéciale), une table ronde a réuni six personnalités du monde de la santé. La fin de la première phase, mais pas celle des oppositions qui se sont une fois encore fait entendre.
« Un premier pas rapidement élargi » ?
Première à s’exprimer, Marina Carrère d’Encausse, journaliste et médecin échographiste. Militante connue de l’euthanasie, elle a réalisé un documentaire orienté, Fin de vie : pour que tu aies le choix, qui a été diffusé sur la chaîne publique à l’automne 2023 (cf. « Le prochain voyage » : quand le service public fait la promotion du suicide assisté). L’animatrice de télévision se dit « fière de vivre dans un pays où la Convention citoyenne a existé » (cf. Convention citoyenne : la caution sociétale du projet de loi). Comme d’autres partisans de l’« aide à mourir », elle dénonce en revanche déjà certains points du projet de loi, qui ne va pas assez loin pour elle.
Evoquant les cas de Vincent Humbert et d’Anne Bert (cf. Décès d’Anne Bert : les rouages d’une instrumentalisation), elle considère que « le terme de court ou moyen terme (..) doit être modifié ». « Ce dernier critère exclura les personnes qui souffrent de pathologies neurodégénératives, comme la maladie de Charcot ou les personnes lourdement handicapées après un AVC ou un accident » soutient-elle. Marisol Touraine, ministre de la Santé de 2012 à 2017, la rejoint en ce point, allant jusqu’à considérer qu’il s’agit d’« une précision qui n’a pas lieu d’être », voire même d’un « obstacle ». « L’essentiel c’est qu’il n’y ait pas d’ambiguïté sur la volonté de la personne » croit-elle pouvoir affirmer.
« L’ADMD a très bien compris que s’il pouvait y avoir une loi qui introduisait l’aide à mourir, ce serait un premier pas rapidement élargi » prévient Didier Sicard, ancien président du Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE). En voilà déjà la preuve.
« Mettre en péril les avancées des lois précédentes »
Alors que les médecins ne cessent de clamer leur opposition à l’euthanasie (cf. 800.000 soignants s’opposent à l’euthanasie), Marina Carrère d’Encausse craint également que des « médecins réticents à l’aide à mourir freinent voire bloquent le processus ». « Il faut que la demande du patient soit primordiale » insiste-t-elle. Le médecin conteste également ce qu’elle considère être une sorte d’exception d’euthanasie. « Si le patient le souhaite et que le médecin accepte de faire le geste, où est l’obstacle ? » interroge-t-elle. Aurait-elle oublié les promesses du serment d’Hippocrate et la médecine de l’accompagnement pour céder à une médecine de la mort donnée ? (cf. Fin de vie : « médecine de l’accompagnement » ou « médecine de la mort donnée » ?) Ce changement de paradigme pourrait pourtant avoir des conséquences majeures. Il risque de « mettre en péril les avancées des lois précédentes » prévient le professeur Sicard.
Prenant la parole à son tour, Martine Lombard, professeur émérite de droit public de l’Université Paris Panthéon-Assas, croit bon de continuer à ouvrir la brèche, mettant en garde les parlementaires contre le danger d’une loi « inapplicable car trop restrictive ». « Je n’ose imaginer le sentiment de trahison qu’éprouveraient les Français si cette loi ne devait avoir qu’une portée symbolique » pointe-t-elle. Si trahison il y a, il s’agit déjà de celle des professionnels de santé, choqués de ne pas être entendus alors qu’ils sont directement concernés (cf. Fin de vie : les soignants « extrêmement choqués de ne pas être entendus »).
« Il s’agit de répondre à l’aspiration des citoyens à rester maîtres de leur vie jusqu’à leur mort en ouvrant un droit, une liberté qui n’impose rien à personne » insiste à son tour Marisol Touraine, favorable depuis longtemps à l’adoption d’une loi sur l’euthanasie tout en refusant de s’afficher comme « militante ». « Ouvrir un droit, une liberté, a une vertu apaisante » estime l’ex-ministre. Ce n’est pourtant pas ce que disent les personnes vulnérables qui redoutent au contraire la pression de la loi et demandent à être accompagnées mais pas tuées (cf. « Etre regardés, soulagés, accompagnés, mais pas tués »).
« Jamais, jamais, jamais d’euthanasie »
A l’opposé de ces positions, le docteur Jean-Marie Gomas, praticien hospitalier en gériatrie et pionnier des soins palliatifs, clame son « immense inquiétude » face à un projet de loi « confus sur les mots, refusant de nommer clairement les choses ». « ” Aide à mourir”, ce n’est pas de la médecine, c’est un choix de société, c’est vouloir tromper les citoyens » s’indigne le médecin. En revanche, « “aide à vivre” c’est de la médecine, “aide à bien mourir” c’est de la médecine aussi, c’est le “prendre soin” palliatif de la fin de vie » souligne-t-il. « Sous le couvert d’une loi de fraternité, on ouvre complétement une éligibilité à la mort programmée » s’indigne-t-il (cf. Suicide : ne dévoyons pas « le sens de la fraternité, au nom d’une liberté mal comprise »). Ce texte fait « fi de l’impact collectif ». C’est une « triple incitation au suicide » dénonce Jean-Marie Gomas (cf. Effet Werther : « En légalisant le suicide assisté et l’euthanasie, on banalise le suicide »).
« Jamais, jamais, jamais d’euthanasie » exhorte avec force le médecin. « Il ne faudrait pas que le pays des droits de l’homme devienne le pays de la mort donnée à l’homme » alerte-t-il. « Soigner, ce n’est pas faciliter la mort programmée ! »
Contrairement à Catherine Vautrin qui insiste sur la complémentarité entre soins palliatifs et « aide à mourir », le médecin va en outre jusqu’à considérer que le titre 1 du projet de loi sur les « soins d’accompagnement » est « inutile » (cf. « Soins d’accompagnement » : médecins et infirmiers opposés au changement de terminologie). « La loi existe déjà ! » souligne-t-il. Encore faudrait-il se donner enfin les moyens de l’appliquer (cf. Plan décennal sur les soins palliatifs : « il faudrait être naïf pour s’y fier »).
Selon lui, les soins palliatifs servent de « faire-valoir » à l’« aide à mourir », et permettent d’introduire la proposition de la mort programmée dès le début de la prise en charge d’une maladie grave par le biais du « projet personnalisé d’accompagnement ». Ne dévoyons pas les soins palliatifs, plaide le praticien fort de ses 37 années d’exercice médical (cf. « Les pratiques euthanasiques rendent moribonds les soins palliatifs »).
« Penser aux conséquences à long terme pour les plus vulnérables »
Les critiques du projet de loi n’ont pas uniquement émané de ce spécialiste des soins palliatifs. « La noblesse de la politique n’est pas simplement de trouver une loi qui répond à la demande libertaire de quelques-uns », alerte le professeur Didier Sicard, président du CCNE de 1999 à 2008. Il s’agit de « penser aux conséquences à long terme pour les plus vulnérables dans un monde du soin qui, en France, n’a jamais été autant fragilisé », souligne-t-il. « Une loi est là pour anticiper le futur ».
Le professeur dénonce « un projet de loi qui répond à la demande de liberté de 2 à 3 % des malades sans apporter de protection à l’immense majorité des patients autre que des promesses intenables ». Il s’agit d’un « copie collé de l’ADMD » s’offusque-t-il.
« Jamais dans cette loi on ne parle de “protection”, mais une liberté n’a de sens que si elle protège ceux qui ne veulent pas l’utiliser » souligne également Didier Sicard, qui relève que la liberté au moment de mourir est une liberté « qui peut avoir un aspect factice ». Créer les conditions de la liberté, n’est-ce pas garantir une bonne prise en charge à tous les patients et les accompagner, quel que soit le coût que cela implique ? (cf. Fin de vie : « créer les conditions de la liberté, c’est apporter une bonne prise en charge des patients »)
Pressentant les inégalités, Marie de Hennezel, psychologue clinicienne s’interroge à son tour sur le projet de loi : « Quid des pauvres, des esseulés, des maltraités, des oubliés dans des Ehpad ? Quel sera le choix, la liberté laissée à ceux qui pensent qu’ils n’ont plus leur place dans ce monde ? ». Elle dénonce une loi « qui n’a rien de fraternel ni de rassembleur » et risque de mettre à mal « la confiance des personnes âgées envers leurs médecins ».
« “Aider à mourir”, c’est ce que faisait la première équipe de soins palliatifs » souligne la psychologue qui rappelle que « les soins palliatifs, c’est l’engagement à ne pas laisser souffrir ». « Je vous demande instamment que la loi ne soit pas votée avant que le territoire français soit antérieurement couvert en termes de ressources palliatives » exhorte la psychologue qui demande l’introduction d’un « délit d’incitation au suicide assisté ».
« Il faut écouter les alertes »
A l’issue de la série d’auditions, Julien Odoul, député RN, regrette de ne pas avoir entendu des témoins étrangers venant de pays dans lesquels l’euthanasie est en vigueur. « En Belgique, l’euthanasie s’est développée au détriment des soins palliatifs » prévient Christophe Bentz, député RN. « Il faut écouter les alertes venant des pays ayant légalisé l’euthanasie, comme celles de Théo Boer aux Pays-Bas » (cf. Euthanasie aux Pays-Bas : « Regardez ce pays et vous verrez peut-être la France de 2040 »)
De même, il parait dommage que les premiers concernés, les personnes malades et leurs familles, n’aient une fois encore pas eu de véritable place lors des auditions. Les bien-portants peuvent-ils décider de ce qui est bon pour les malades sur un sujet aussi important ? Comment prétendre connaitre leurs attentes sans leur donner la parole ? (cf. Fin de vie : « Est-ce à l’ensemble des Français de décider ce qui est bon pour les malades ? ») Serait-ce un choix partisan d’Agnès Firmin Le Bodo, présidente de la commission spéciale et députée Horizons de Seine-Maritime, et ancienne ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de la santé ? Un choix pour aboutir à tout prix à la légalisation de l’euthanasie ?
Désormais des amendements pourront être proposés jusqu’au 7 mai. Puis, dès le 13 mai, le texte sera examiné, article par article, par les membres de la commission spéciale. Le projet de loi sera ensuite débattu en première lecture à l’Assemblée nationale du 27 mai au 7 juin. Un vote solennel est prévu le 11 juin (cf. Fin de vie : Yaël Braun-Pivet précise le calendrier des débats à l’Assemblée nationale).