« Etre regardés, soulagés, accompagnés, mais pas tués »

28 Juin, 2023

« Nous refusons une civilisation des forts qui s’autorisent à supprimer le fragile ». Dans une tribune publiée par le Figaro 110 personnes touchées par le handicap, la maladie ou l’âge, s’opposent à la légalisation de l’euthanasie. « Nous voulons que soit entendu, et respecté, notre droit de vivre, et de vivre jusqu’au bout à vos côtés » clament-elles.

« Nous voulons être pris en compte »

Dans le débat actuel sur la fin de vie, la voix des soignants (cf. 800.000 soignants s’opposent à l’euthanasie) et celle des « bien portants » avait été entendue, mais pas celle des plus fragiles, des personnes vulnérables qui sont pourtant directement concernées. A aucun moment ils n’ont été sollicités pour témoigner et donner leur avis lors de la convention citoyenne (cf. Fin de vie : une convention manipulée ?), ni lors de la mission d’information parlementaire (cf. Clap de fin pour la mission parlementaire d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti).

« Nous voulons être pris en compte et entendus au cours des débats concernant des lois dont nous serons les premières victimes » réclament les signataires de la tribune.

Dans le « manifeste des 109 », publié dans L’Obs il y a quelques mois, 109 personnes « en bonne santé » demandaient la légalisation d’un droit de mourir. Il est plus facile de parler de fin de vie quand on est « bien portant » et « puissant ».

« Nous recevons avec beaucoup de violence cette revendication qui n’est pas la nôtre » disent les signataires qui demandent à « être considérés, accompagnés et encouragés » (cf. Fin de vie : attention au message envoyé aux personnes vulnérables). « Face aux limites que nous impose notre corps, nous avons besoin d’être soutenus, regardés avec toutes nos richesses humaines » insistent-ils.

« Nous sommes vivants au présent »

« Venez, approchez-nous », « posez-vous avec nous » invitent-ils. « Vous apprendrez auprès de nous combien nous sommes vivants au présent ». Prenons le temps, laissons-nous interpeler par leurs fragilités, mettons-nous à leur écoute. Changeons nos regards. Aidons-les à être pleinement vivants, à être dans la vie .

« Vous évaluez souvent la qualité de notre vie, et vous la jugez mal » dénoncent les signataires de la tribune. La méconnaissance de la fin de vie, comme de la fragilité, pèse lourdement dans le débat. Nous avons tous une histoire singulière, nos perceptions peuvent évoluer, mais tant qu’il y a de la vie, il y a du possible (cf. « La lourdeur du jour, comme la joie des petits riens »).

La dignité ne se perd jamais, elle est inconditionnelle et ne se limite pas à nos capacités, à nos aptitudes (cf. La dignité est « inconditionnelle »).

La fin de vie est encore la vie. « Laissez-nous le temps d’exister », « laissez-nous aussi le temps d’apprendre à mourir » exhortent les signataires. « C’est un métier d’homme difficile, un processus qui peut sembler long, mais il est essentiel ». « Pour nous, comme pour vous » ajoutent-ils.

La mort est une question de société qui nous concerne tous. Pensons à ceux qui partent comme à l’avenir de ceux qui restent.

« Rassurez-nous, soulagez-nous, retenez-nous »

« Nous avons besoin d’être regardés, soulagés, accompagnés, mais pas tués » réclament les 110 personnes vulnérables. « Nous avons besoin d’une bonne prise en charge ». « Nous avons besoin de sécurité, de nous appuyer avec confiance sur nos soignants (..) sachant qu’ils seront avec nous, attentifs, créatifs, sans suggérer l’acte létal, sans faire de la mort une “alternative aux soins” » ajoutent-ils aussi.

Le soin est une alliance, un dialogue qui ne doit pas être « faussé ». Légaliser l’euthanasie affecterait la médecine (cf. Fin de vie : « c’est le soin qui doit d’abord s’exprimer »).

« Ce n’est pas parce que parfois, à bout de forces, à bout de souffrances, nous demandons la mort que vous devez l’accepter, comme si nos vies étaient négligeables » insistent les signataires. Qui demande la mort ne la désire pas forcément. Les cœurs des mourants sont ambivalents.

Au contraire, « rassurez-nous, soulagez-nous, retenez-nous » demandent-ils. « Dites-nous que vous comprenez l’angoisse (..) la peur qui nous étreint ». La souffrance se traverse si elle est accompagnée (cf. Une société vraiment fraternelle : le « modèle français » de la fin de vie). Soutenues, écoutées, la plupart des demandes d’euthanasie disparaissent.

« L’euthanasie ne combat pas le “mal mourir”, elle le consacre »

Quelle société voulons-nous ? « Nous refusons une civilisation des forts qui s’autorisent à supprimer le fragile, le faible » disent les signataires. « Nous voulons que soit respecté notre droit de vivre, de vivre jusqu’au bout à vos côtés » exhortent-ils (cf. Pour une fin de vie digne de l’humaine dignité). La fraternité n’est-elle pas l’un des piliers de notre devise républicaine ? Sachons aider à vivre et non pas à mourir. Valorisons l’accompagnement et le soin, la bienveillance et la solidarité (cf. « Là sont l’urgence et la fraternité : offrir à tous un droit effectif à être soigné et accompagné dignement »).

L’euthanasie n’est pas la solution (cf. « La mort ne sera jamais la solution. La solution c’est la relation »).  « L’euthanasie est une façon de détourner de nous le regard et nous avons besoin de l’affection qui se lit dans vos yeux » dénoncent les 110 personnes vulnérables. « L’euthanasie ne combat pas le “mal mourir”, elle le consacre », ajoutent-ils. En voulant supprimer la souffrance, c’est la personne qu’elle fait disparaitre.

« Légaliser l’euthanasie, c’est suggérer que nos vies, parce qu’elles sont limitées sont un poids, inutile » alertent les signataires (cf. « Nous aurons à justifier notre volonté de vivre »). Relativiser l’interdit de tuer, c’est établir une « hiérarchie » entre les personnes en fonction de leurs vies, de leurs capacités. En légalisant le « droit de mourir à la demande », il finira par « s’imposer à nous comme un devoir de mourir » dénoncent-ils (cf. Légaliser l’euthanasie : « une incitation au désespoir »).

Les « garde fous » et les « lignes rouges » annoncés par Agnès Firmin Le Bodo (cf. Fin de vie : Agnès Firmin Le Bodo esquisse le futur projet de loi) ne sont en rien des remparts suffisants. L’expérience des Pays Bas, comme celle de la Belgique ou du Canada montre que les digues cèdent toujours, et que l’exception devient peu à peu la « normalité » .

Les voix de ces 110 personnes touchées par le handicap, la maladie ou âgées seront-elles entendues ? Alors que de plus en plus de résistances se manifestent (cf. Projet de loi sur la fin de vie : soignants et parlementaires veulent faire entendre leurs voix), le processus mis en place par le Président pourra-t-il être enrayé ?

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