« Une forme de nihilisme désormais présent au sein même de l’Etat » : après l’IVG, Emmanuel Macron reprend le dossier de la fin de vie

11 Mar, 2024

Dans un entretien accordé au journal La Croix et à Libération, Emmanuel Macron annonce que le projet de loi relatif à la fin de vie est désormais prêt. Le texte « doit être transmis au Conseil d’Etat d’ici huit à dix jours ». Il sera ensuite présenté en Conseil des ministres au mois d’avril, avant d’être examiné en première lecture en mai, sans procédure accélérée.

Légaliser l’« aide à mourir », ou la conjugaison de l’euthanasie et du suicide assisté

Le président de la République veut rassurer : « Cette loi, nous l’avons pensée comme une loi de fraternité, une loi qui concilie l’autonomie de l’individu et la solidarité de la nation (cf. « La fin de vie n’est pas avant tout un sujet de liberté individuelle mais de solidarité collective »). En cela, elle ne crée, à proprement parler, ni un droit nouveau ni une liberté, mais elle trace un chemin qui n’existait pas jusqu’alors et qui ouvre la possibilité de demander une aide à mourir sous certaines conditions strictes ».

« Les mots ont de l’importance et il faut essayer de bien nommer le réel sans créer d’ambiguïtés » souligne-t-il, expliquant avoir choisi le terme d’« aide à mourir » « parce qu’il est simple et humain et qu’il définit bien ce dont il s’agit ». Pour Emmanuel Macron, il ne s’agirait ni d’euthanasie, ni de suicide assisté [1]. Pourtant, ce sont bien les deux que le président entend légaliser.

Le projet de loi prévoit même d’autoriser l’euthanasie pratiquée par un tiers, « une personne volontaire ».[2] « Dix-huit mois de prétendue consultation pour en arriver là, s’insurge sur X l’avocat et essayiste Erwan Le Morhedec, également bénévole en soins palliatifs, le petit-fils pourra euthanasier la grand-mère si elle a la main qui tremble. Le frère, sa sœur. Le mari, sa femme. »

Des « conditions strictes »

Le président de la République promet donc des « conditions strictes ». L’« aide à mourir » ne s’adressera qu’aux personnes majeures, « capables d’un discernement plein et entier »[3], souffrant d’une maladie incurable et avec un pronostic vital engagé « à court ou à moyen terme », sans plus de précision temporelle. Un quatrième critère sera celui des souffrances « réfractaires »[4], « physiques ou psychologiques ». « Les deux vont souvent ensemble » justifie le chef de l’Etat.

Emmanuel Macron indique qu’il reviendra à une « équipe médicale » de « décider, collégialement et en transparence, quelle suite elle donne à cette demande ». Mais il faudra faire vite. En effet, le président de la République précise un délai « minimum » de deux jours après le dépôt de la demande « pour tester la solidité de la détermination ». L’équipe sera tenue d’y répondre sous 15 jours. La « prescription » létale restera ensuite valable 3 mois. Et « si le patient juge qu’il n’a pas été entendu », « il aura le droit d’aller voir une autre équipe médicale ou de procéder à des recours ». « Les membres de la famille qui peuvent avoir intérêt à agir » aussi.

Un seul texte

Le chef de l’Etat soumettra un texte unique, avec « une première partie sur les soins d’accompagnement, une deuxième sur le droit des patients et des aidants, et une troisième sur l’aide à mourir ». Une façon de « désarmer » les opposants ? (cf. Projet de loi sur la fin de vie : « une manipulation sémantique, juridique et politique »)

Emmanuel Macron insiste en effet sur l’importance qu’il prétend donner aux soins palliatifs « avant même que la loi soit promulguée ». « Ces dernières années, nous avons rattrapé un peu du retard pris, se targue-t-il, mais avec ce texte et la stratégie décennale en préparation, nous allons remettre les soins palliatifs au cœur de l’accompagnement ». Après nombre reports, cette « stratégie » est désormais promise pour la fin du mois de mars (cf. Fin de vie : « Ce n’est pas en baptisant stratégie ce qui était auparavant appelé plan que se fait une politique volontariste »).

Le président parle de « déployer des équipes mobiles », d’« investir sur le pédiatrique », de « mettre en place un continuum avec la médecine de ville », de « doter d’une unité de soins palliatifs les vingt et un départements qui en sont encore dépourvus ». Mais avec quels moyens financiers ? Et humains ? Car en attendant des unités ferment (cf. « On ne peut pas développer tout un discours sur les soins palliatifs et fermer une unité »).

Emmanuel Macron précise consacrer 1,6 milliard d’euros aux « soins d’accompagnement ». (cf. Fin de vie : une « loi de rassemblement » qui suscite la colère) « Avec la stratégie décennale, sur l’ensemble de la période, c’est un milliard d’euros de plus que nous allons y investir », assure-t-il. Une enveloppe entièrement dédiée aux soins palliatifs ? Dans l’entretien? où le terme d’accompagnement revient 13 fois dans la bouche du président, ce dernier indique que l’ensemble de la procédure d’« aide à mourir » sera pris en charge par l’assurance maladie. « C’est en effet ce que prévoit le projet de loi parce que, du diagnostic à la mort, c’est une manière d’attester que la société accompagne la personne malade et fragile, en reconnaissant la part de vie complète et absolue qu’il y a jusqu’à la dernière seconde », se justifie Emmanuel Macron.

Plus de doutes, mais une « fuite en avant »

« Cette loi marque le début d’une nouvelle phase » souligne le chef de l’Etat. Vantant une « loi de rassemblement » (cf. Projet de loi fin de vie : les soignants ont l’impression de se « faire marcher dessus »), une « loi de fraternité », le président a fait taire ses doutes, si toutefois il en avait eu. « L’humilité n’interdit pas la certitude, déclare-t-il. Je suis assez sûr du chemin qu’on prend. Ma main ne tremble donc pas ». Face à ces certitudes, Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), a elle fait part de son « immense tristesse » sur X.

« Force est de constater que dans ce domaine, comme dans d’autres, on pratique la fuite en avant, analyse le sociologue et philosophe Jean-Pierre Le Goff dans un entretien au Figaro. Rien ne semble devoir échapper à l’activisme des militants et des réformateurs sociétaux ». « A chaque loi sociétale, on nous dit qu’on a pris soin de mettre des garde-fous et qu’il n’y a pas de quoi s’inquiéter ; à chaque fois, on proclame la victoire du progrès, de l’émancipation, de l’égalité… Ou, plus platement, on fait entendre aux plus réticents que “la France est en retard”, qu’il s’agit d’une évolution inéluctable à laquelle il paraît vain de s’opposer, en se référant aux sondages comme aux fondements du bien-penser », dénonce-t-il, quand, pour Emmanuel Macron, « il n’y a pas de bon rythme sur un tel sujet car on n’aura jamais le même rythme d’ajustement des consciences ».

« Avec la possibilité de la mort médicalement administrée, l’exécutif ouvre une boîte de Pandore, prévient le philosophe. Ce qui n’empêchera pas ses partisans de nous affirmer une nouvelle fois qu’ils ont tout prévu pour éviter les dérives et que cette “avancée législative” a tout d’un progrès ». Mais pour Jean-Pierre Le Goff, « on peut au contraire y voir une forme de nihilisme désormais présent au sein même de l’Etat ».

 

[1] l’euthanasie pourrait être pratiquée sans le consentement du patient, quand le suicide assisté serait inconditionnel

[2] Emmanuel Macron indique que le projet de loi dispose que : « l’administration de la substance létale est effectuée par la personne elle-même ou, lorsque celle-ci n’est pas en mesure d’y procéder physiquement, à sa demande, soit par une personne volontaire qu’elle désigne lorsque aucune contrainte d’ordre technique n’y fait obstacle, soit par le médecin ou l’infirmier qui l’accompagne »

[3] Le président entend ainsi exclure les patients atteints de maladies psychiatriques ou de maladies neurodégénératives qui altèrent le discernement, comme la maladie d’Alzheimer.

[4] Autrement dit qui ne peuvent être soulagées

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