Projet de loi sur la fin de vie : « une manipulation sémantique, juridique et politique »

23 Juil, 2023

Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de santé, est en charge du projet de loi sur l’« aide active à mourir » (cf. Fin de vie : Agnès Firmin Le Bodo esquisse le futur projet de loi). Patrick Hetzel, député du Bas-Rhin et vice-président du groupe Les Républicains, s’insurge contre la démarche adoptée. Il dénonce « une manipulation sémantique, juridique et politique ».

Ne jouons pas avec les mots

Comme le relève Patrick Hetzel, Agnès Firmin Le Bodo emploie l’expression « aide active à mourir » pour éviter les mots d’euthanasie ou de suicide assisté (cf. Fin de vie : un nouveau groupe d’experts pour travailler sur les mots). « Mais que signifie précisément cette expression ? Quelle forme revêtira l’acte létal ? Qui serait responsable de cet acte ? » interroge-t-il.

« Comment s’engager dans un tel flou alors que la jurisprudence constitutionnelle exige que la loi soit accessible et intelligible ? », ajoute le député. Ce flou s’apparente à « une tricherie sémantique » accuse-t-il (cf. Euthanasie : « ce n’est pas le mot qui est violent, c’est bien l’acte qu’il désigne »).

Les législations qui autorisent l’« aide active à mourir » ne sont en réalité que des lois ayant légalisé l’euthanasie indique en effet Patrick Hetzel (cf. Euthanasie : la corruption des mots précèdera-t-elle la corruption des actes ?). L’exemple du Canada est particulièrement significatif : 10 000 euthanasies pour 7 suicides assistés ont été pratiquées en 2021. Les tendances sont les mêmes en Espagne et aux Pays-Bas.

Contrairement à Agnès Firmin Le Bodo, « la Belgique au moins n’a pas joué avec les mots mais a pleinement assumé sa décision » note le député. La loi s’intitule en effet « loi relative à l’euthanasie ».

« Pas un seul pays n’a fait ce choix »

« Cette tromperie sémantique se double d’une grossière approximation juridique » poursuit Patrick Hetzel.

Le projet de loi prévoit d’insérer l’« aide active à mourir » dans le Code de la santé publique (CSP). « Pas un seul pays n’a fait ce choix aux fortes implications symboliques » prévient le député. « Tous sont passés par des lois autonomes ou par une modification directe du Code Pénal ».

Le « modèle français » de l’« aide active à mourir » consisterait-il à « faire croire que celle-ci est un traitement ou un soin ayant sa place dans le code de la santé publique » ?, interroge Patrick Hetzel. Les anciens ministres de la Santé (cf. Fin de vie : le ministre de la Santé vraiment réticent ?), de la Solidarité, de l’Autonomie et du Handicap, ainsi que 800 000 professionnels de santé ont pourtant refusé cette logique (cf. 800.000 soignants s’opposent à l’euthanasie).

Les rédacteurs du projet de loi semblent eux-mêmes gênés. Comme le fait remarquer le député, ils proposent une place dans le Code de la santé publique après un article traitant de « médiation sanitaire et d’interprétariat linguistique », à un endroit bien éloigné des dispositions sur l’accès aux traitements et aux soins .

« Une rupture anthropologique majeure »

Plutôt que d’inclure l’« aide active à mourir » dans le Code pénal comme une exception à l’homicide volontaire, « on préfère détourner les valeurs qui fondent profondément et consubstantiellement tout l’édifice juridique du Code de la santé publique pour les soignants » proteste Patrick Hetzel (cf. Fin de vie : « c’est le soin qui doit d’abord s’exprimer »).

L’article R 4127-38 du CSP, issu du serment d’Hippocrate, interdisant au médecin de provoquer délibérément la mort devra être abrogé. « Il s’agit d’une rupture anthropologique majeure » prévient le député. « Là encore, le texte proposé dépasse celui adopté par la Belgique en 2002 », relève-t-il (cf. « Nous refusons l’idée de remettre en cause l’interdit fondamental de toute société qu’est l’interdit de tuer »).

Par ailleurs, alors que notre pays a aboli la peine de mort, n’est-il pas paradoxal de conférer cette prérogative à des médecins comme le note Patrick Hetzel ?

Euthanasie et soins palliatifs, deux logiques opposées

La manipulation ne s’arrête pas là. Elle a aussi « une dimension politique » ajoute le député. Pour tenter de convaincre ceux qui sont « réticents », le texte développe des dispositions sur l’accès aux soins palliatifs, explique-t-il. « Qui ne pourrait y souscrire ? »

« Nous n’avons nul besoin de nouveau droit d’accès aux soins palliatifs. Il existe déjà » s’indigne Patrick Hetzel. Le droit aux soins palliatifs est en effet reconnu depuis 1999. Les lois de 2005 et de 2016 ont déjà complété le dispositif existant (cf. Euthanasie : « la ligne d’arrivée de cette course à l’émancipation, c’est l’isolement et la solitude »).

« Mieux vaudrait financer des lits de soins palliatifs et des formations dans les 21 départements qui en manquent » proteste-t-il (cf. Fin de vie : Les soins palliatifs, « parent pauvre de la médecine »). « Ce ne sont pas les 40 millions d’euros annuels du plan de soins palliatifs qui y pourvoiront » ajoute l’élu (cf. Soins palliatifs : la Cour des comptes présente son rapport).

Comme le relève en outre le député, l’euthanasie ou le suicide assisté ne correspondent pas à la même logique que les soins palliatifs (cf. Fin de vie : « ne dévoyons pas les soins palliatifs »). Les premiers « arrêtent les traitements pour tuer », et obéissent à « une démarche d’autonomie individuelle ». Alors que les seconds visent à soulager la douleur, et « s’inscrivent dans une démarche de solidarité ».

Ne détournons pas le regard de l’essentiel

« Ne nous laissons pas aller à détourner le regard de l’essentiel avant de toucher à la loi actuelle », prévient Patrick Hetzel. « Ne nous y trompons pas : l’urgence est de développer les soins palliatifs » rappelle le député.

Comme il nous y invite, « retrouvons collectivement le sens de la véritable fraternité, celle qui écoute l’autre, qui protège le faible et qui accueille dignement afin que personne ne décède dans la solitude, la souffrance ou l’acharnement thérapeutique » (cf. « Là sont l’urgence et la fraternité : offrir à tous un droit effectif à être soigné et accompagné dignement »).

 

Source : Atlantico, Patrick Hetzel (21/07/2023) – Photo : iStock

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