Fin de vie : abolir la peine de mort et la réintroduire « sous une autre forme » ?

13 Fév, 2024

Décédé le 9 février, Robert Badinter est unanimement encensé pour avoir permis l’abolition de la peine de mort. Comment peut-on « en même temps » lui rendre hommage pour avoir aboli la peine de mort, et vouloir légaliser l’ « aide active à mourir » s’indigne la psychologue Marie de Hennezel dans une tribune publiée par le Figaro. « D’où vient notre fascination pour le droit de demander la mort à autrui ? » (cf. « Nous sommes dans une société thanatophobe et mortifère »)

En leur temps, des voix de gauche, comme celle de l’ancien président de la République François Mitterrand ou de l’ancien garde des Sceaux, se sont opposées à la légalisation de l’euthanasie.

« Nul ne peut retirer la vie à autrui dans une démocratie »

« Le droit à la vie est le premier des droits de tout être humain (..) et je ne saurais en aucune manière me départir de ce principe » affirmait avec force Robert Badinter. « La vie d’autrui n’est à la disposition de personne ». « Tout être humain a droit au respect de sa vie, y compris de la part de l’État, surtout en démocratie » soulignait l’ancien garde des Sceaux au cours d’une audition dans le cadre d’une mission parlementaire (cf. « L’interdit fondamental d’ôter la vie, quelles que soient les circonstances »). Conscient de la complexité du sujet, il avait rappelé que le Code pénal avait « une fonction expressive », traduisant les valeurs essentielles de la société. « Sur ce point, je ne changerai jamais. Nul ne peut retirer la vie à autrui dans une démocratie » certifiait l’ancien garde des Sceaux et membre du Conseil Constitutionnel (cf. « C’est un meurtre que de tuer une autre personne, même si l’on exécute son souhait »).

Il dénonçait la « fureur de légiférer de notre temps pour répondre à l’appel médiatique », affirmant que « faire la loi à partir d’une émotion collective justifiée, née d’une situation extraordinaire (..) ne paraît pas devoir être l’œuvre d’un législateur » (cf. Fin de vie : combattre résolument « la rumeur eugéniste qui s’amplifie »).

« Je ne pense pas qu’Emmanuel Macron ira jusqu’à légaliser l’euthanasie, en tout cas pas de mon vivant ! »

« L’être humain est fragile. L’angoisse de mort est présente. Par moments, (..) elle connaît une très forte intensité. Chez certains, face à une épreuve, il y a une tentation de mort qui est inhérente à la condition humaine. L’existence d’un service prêt à vous accueillir pour répondre à cette tentation me paraît présenter un risque d’incitation au suicide » alertait-il (cf. Victoria : le suicide en hausse de 50 % depuis la légalisation du suicide assisté). Lors de la mission de réévaluation de la loi Léonetti, il se déclarait ainsi ne pas être « favorable » à la création d’« un service d’assistance au public, ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre, pour ceux qui auraient pris la décision de se suicider ». « J’aurais trop la crainte d’une forme d’incitation, je n’ose pas dire, de provocation au suicide » précisait-il avec prudence (cf. La promotion du suicide et de l’euthanasie en prime time sur le service public).

« Créer une législation pour des cas exceptionnels n’est pas la bonne façon de les résoudre » affirmait encore Robert Badinter. « Si on légalise l’exception d’euthanasie, vous aurez des zones d’ombre. Au sein d’une famille, certains diront : “Non, grand-mère ne voulait pas mourir !”, et d’autres : “Si, elle m’a dit qu’elle voulait mourir !” » prévenait-il.

Après l’élection d’Emmanuel Macron, Robert Badinter avait échangé avec lui sur la fin de vie (cf. Présidentielles : Emmanuel Macron favorable à l’euthanasie). Selon Marie de Hennezel, il lui aurait rappelé que la loi est faite pour servir le bien commun, et non « pour céder aux revendications d’un petit nombre d’intellectuels encore bien portants ». « Je ne pense pas qu’Emmanuel Macron ira jusqu’à légaliser l’euthanasie, en tout cas pas de mon vivant ! » confiait-il à la psychologue (cf. Fin de vie : « Emmanuel Macron a choisi la politique des petits pas »).

Ne pas franchir «  la ligne rouge »

Des paroles qui font écho à celles de François Mitterrand. Deux ans avant sa mort, au cours d’entretiens avec Marie de Hennezel, l’ancien chef d’Etat avait également fait part de sa crainte que la gauche légalise un jour l’euthanasie, oubliant « les valeurs qu’elle a toujours défendues ».

« Dans un pays démocratique, une loi ne peut sacraliser un tel droit ! Tant que je serai en vie, je m’opposerai à ce que l’on franchisse la ligne rouge. C’est trop grave ! On ne va pas tout de même donner légalement à une profession le droit d’administrer la mort ! » s’indignait avec force l’ancien président de la République (cf. Euthanasie ou suicide assisté : « une brèche dans un rempart de sagesse »). « Je n’ai pas aboli la peine de mort pour la réintroduire sous une autre forme ! ».

« La nature humaine n’est pas habitée que de bons sentiments » prévenait-il par ailleurs, craignant les dérives inévitables d’une loi sur l’euthanasie (cf. Euthanasie : la pente glissante). Le pouvoir de donner la mort, « au nom d’une autonomie prétendue, mais non vérifiable, peut aussi servir des pratiques eugéniques d’élimination de personnes qui coûtent cher et ne rapportent rien ».

S’il était encore de ce monde, François Mitterrand mettrait en garde son successeur « contre des garde-fous qui seront vite dépassés » certifie Marie de Hennezel. Une « société qui n’est pas bonne » aura vite fait de se dispenser de contrôles puisque « l’interdit de tuer aura sauté » estimait en effet l’ancien président (cf. « Nous refusons l’idée de remettre en cause l’interdit fondamental de toute société qu’est l’interdit de tuer »).

« Pour que ce soit une liberté, il faudrait que le choix existe »

« Notre peur de mal mourir, d’être maltraités dans nos derniers moments, abandonnés de tous est-elle si forte que nous préférions anticiper notre mort plutôt que la vivre ? » s’offusque Marie de Hennezel (cf. Fin de vie : « aider chacune et chacun à garder le goût de vivre »).

On essaie de faire croire que donner la mort serait « un soin », et que décider du moment de sa mort serait une « liberté » (cf. Fin de vie : liberté, dignité, laïcité ?). Les soignants ne sont pas dupes et s’opposent à l’euthanasie rappelle la psychologue (cf. 800.000 soignants s’opposent à l’euthanasie).

« Pour que ce soit une liberté, il faudrait que le choix existe ». Tel n’est pas le cas aujourd’hui souligne Marie de Hennezel. « Quel est le choix d’une personne malade ou âgée, pauvre, isolée, (..) vivant dans un Ehpad où les soins palliatifs sont absents (..) ayant le sentiment de ne plus servir à rien, et ayant peur de souffrir avant de mourir ? » « Pour qu’une loi sur l’aide active à mourir soit une liberté, il faudrait d’abord qu’elle ne soit pas une loi par défaut. Que nos responsables politiques s’engagent d’urgence (..) à pallier le désert médical, à couvrir le territoire français de structures palliatives, à mettre du personnel dans les Ehpad, à former rapidement les médecins au traitement de la douleur (..), ce qui n’est pas le cas aujourd’hui » poursuit la psychologue (cf. Fin de vie : Les soins palliatifs, « parent pauvre de la médecine »).

Si les personnes âgées « se sentaient enfin soutenues par une vraie solidarité médicale, économique et humaine, elles ne seraient pas tentées de penser à demander la mort » affirme Marie de Hennezel (cf. « Etre regardés, soulagés, accompagnés, mais pas tués »).

« Le véritable enjeu est économique »

« J’entends leurs peurs d’être un jour l’objet de pressions » pour « qu’on soulage les comptes de la Sécurité sociale, en demandant la mort » s’indigne la psychologue. « A-t-on conscience du message qu’une légalisation de l’aide active à mourir leur enverrait ? » (cf. Fin de vie : attention au message envoyé aux personnes vulnérables). « Elles attendent de la loi qu’elle les protège. C’est tout ! » souligne-t-elle.

« Ce sont les conditions du mourir et l’accueil des personnes fragilisées par la vieillesse dans notre pays qu’il faut changer, pas la loi » affirme Marie de Hennezel. « Il faut que les soins palliatifs pénètrent la culture médicale » comme le soulignait Robert Badinter il y a neuf ans (cf. Soins palliatifs : la promesse d’« une petite révolution », mais pas de moyens).

« Quelle voix (..) peut aujourd’hui rappeler la grande responsabilité du législateur sur un sujet ayant trait à la vie et à la mort ? » interroge Marie de Hennezel. « Si même la gauche humaniste abandonne son devoir de solidarité envers les plus vulnérables, si elle envisage d’organiser le suicide de ceux qui préféreront mourir que de vivre leur mort sociale, ce sera l’aveu d’un échec. La signature de la faillite des valeurs humanistes sur lesquelles sont fondées nos sociétés démocratiques » s’indigne-t-elle (cf. En légalisant l’euthanasie, notre devise républicaine deviendra « un slogan creux »). « Je crains alors que le combat pour la vraie dignité du vieillir et du mourir soit perdu » déplore la psychologue.

« Nous sommes nombreux à le penser, mais personne n’ose le dire : le véritable enjeu est économique » conclut Marie de Hennezel (cf. Euthanasie et économies : quand certains prétendent s’offusquer, d’autres calculent). « Mettre les moyens qu’il faut pour cette dignité-là coûtera cher. En revanche, la possibilité légale d’offrir la mort à ceux qui “s’auto-effaceront” , ne supportant plus l’inhumanité de leur condition et leur mort sociale, ne coûtera rien » dénonce-t-elle.

 

Sources : Figaro, Agnès Leclair (09/02/2024) ; Figaro, Marie de Hennezel (12/02/2024)

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