Alors qu’un rapport intitulé « Vers un modèle français des soins d’accompagnement » a été remis au Gouvernement le 8 décembre, les pistes de l’Exécutif sur les soins palliatifs et la stratégie décennale se précisent. Mais pourront-elles être enfin concrétisées ?
Changer de façon de penser
« Nous avons réfléchi à la manière de faire évoluer les choses en profondeur pour construire le modèle français de la fin de vie. C’est une petite révolution dans la manière de considérer les soins palliatifs que nous allons proposer » annonce Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de santé[1].
Les pistes émises par Franck Chauvin, cancérologue et professeur de santé publique, dans son rapport permettront d’établir la nouvelle stratégie décennale sur les soins palliatifs qui sera présentée en janvier prochain (cf. Plan décennal soins palliatifs, douleurs et fin de vie : renforcer la médecine de la douleur ; Fin de vie : « la volonté exprimée par le président de la République sera tenue »).
Le rapport propose de « garantir d’ici dix ans une prise en charge appropriée pour toute personne en fin de vie et son entourage ». « Compte tenu de la forte croissance du nombre de décès dans les années qui viennent, il est probable que nous n’arriverons pas à atteindre l’objectif d’une plus grande équité d’accès des Français [en fin de vie à la prise en charge de la douleur et de la souffrance], si nous continuons de penser comme nous avons pensé jusqu’ici » prévient toutefois Franck Chauvin [2].
Selon lui, il convient de « sortir d’une vision sanitaire » pour faciliter, notamment, le maintien et l’accompagnement à domicile. Pour cela, le professeur entend mobiliser « la société civile, les bénévoles, les collectivités territoriales, les familles dans ce temps de la fin de vie ».
Claire Fourcade, présidente de la Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs (SFAP) salue « un document, reposant sur six valeurs qu’elle partage pleinement : le respect du droit des patients, l’équité, la solidarité, notamment à l’égard de plus vulnérables, la proximité, la soutenabilité et le caractère interprofessionnel de la prise en charge »[3]. « Ce nouveau plan décennal propose de vrais progrès qu’il conviendrait de mettre rapidement et concrètement en œuvre » souligne-t-elle.
« Certains aspects de la stratégie peuvent être mis en œuvre très rapidement, sans attendre le vote de la loi, d’autres non » précise de son côté la ministre qui a rappelé que le volet sur les soins palliatifs fera partie du projet de loi (cf. « Aide active à mourir » et soins palliatifs doivent être dissociés exhortent des députés).
Ne pas limiter les soins palliatifs à la « fin de vie »
Désormais, les soins palliatifs seront compris dans les « soins d’accompagnement ». Ils ne doivent pas être limités à la « fin de vie » insiste Agnès Firmin Le Bodo. « Il s’agit d’un accompagnement plus global » souligne-t-elle. « Leur champ doit s’élargir pour anticiper cette prise en charge en amont, dès l’annonce d’une maladie grave » ajoute la ministre.
« Si on change les mots, c’est pour être certains d’éviter les malentendus » explique-t-elle. Claire Fourcade persiste néanmoins à rappeler la définition officielle des soins palliatifs proposée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qui précise que ces soins « n’entendent ni accélérer ni repousser la mort ». Une précision que le rapport entend faire disparaitre.
Pour permettre d’anticiper les soins, le rapport Chauvin propose de mettre en place « un plan d’accompagnement personnalisé » comprenant une prise en charge pluridisciplinaire pour toute personne atteinte d’une maladie ayant de faibles chances de rémission. Ces consultations permettront de « démystifier la question de la fin de vie » souligne le professeur. L’objectif est « d’arriver à 500 000 consultations en cinq ans » précise-t-il.
Ces évolutions risquent toutefois de se heurter aux difficultés de recrutement des soins palliatifs (cf. « L’enjeu n’est même plus de développer les soins palliatifs. Il s’agit d’éviter leur écroulement »). Un domaine dans lequel les professionnels manquent (cf. Soins palliatifs : fermeture d’un service faute de médecin). Actuellement, ils ne sont que 10 000 (cf. Fin de vie : Les soins palliatifs, « parent pauvre de la médecine »).
Dans son rapport, la Cour des comptes a ainsi rappelé que les besoins ne sont couverts « qu’à hauteur de 50 % » (cf. Soins palliatifs : la Cour des comptes présente son rapport). Ce sont ainsi « 400 Français qui meurent chaque jour sans avoir eu accès aux soins palliatifs dont ils auraient eu besoin » déplore Claire Fourcade.
« L’effort considérable à réaliser, c’est un effort de formation qui doit concerner l’ensemble des professionnels de santé. Sans cela, on ne pourra pas changer la donne » prévient Patrick Chauvin. « La culture palliative doit infuser grâce à la formation continue. Ce volet pourra arriver rapidement » précise Agnès Firmin Le Bodo. D’autres points seront en revanche plus longs à mettre en œuvre, comme la création d’une spécialité universitaire par exemple.
« Réintégrer la question de la mort près de lieux de vie »
Le rapport Chauvin propose par ailleurs que tous les acteurs agissant sur un même territoire soient désormais identifiés, et reliés au sein d’une « organisation territoriale » dont la taille sera déterminée par les agences régionales de santé (ARS).
La création de nouvelles « maisons d’accompagnement », chaînon manquant entre l’hôpital et le domicile, est également prévue. Ces structures, peu médicalisées et de petites tailles, seront destinées à l’accueil des patients et de leurs proches aidants. Selon le rapport, il faudrait en ouvrir 100 en France, dont 20 dès 2025.
« Il faut réintégrer la question de la mort près de lieux de vie » souligne Franck Chauvin. Pour cela, 115 équipes mobiles « légères » supplémentaires seraient nécessaires d’ici cinq ans, et le double d’ici dix ans pour couvrir tout le territoire d’après son rapport. Rattachées aux « maisons d’accompagnement », elles s’ajouteront aux 420 équipes déjà existantes.
Le rapport rappelle aussi la nécessité de développer les soins palliatifs pour les enfants (cf. Fin de vie : « Les soins palliatifs pour les enfants sont souvent occultés » ).
Convaincu de l’importance de l’« implication citoyenne », le professeur Chauvin propose en outre d’encourager la création de « collectifs d’entraide » (cf. « La fin de vie n’est pas avant tout un sujet de liberté individuelle mais de solidarité collective »). Il prévoit également de multiplier par deux le nombre de bénévoles engagés dans l’accompagnement de la fin de vie (cf. « La mort ne sera jamais la solution. La solution c’est la relation »). « Une reconnaissance et une valorisation notamment financière de cet engagement dans leur parcours de formation et dans leur parcours professionnel » est proposée pour cela.
« Des objectifs chiffrés mais rien en face pour les assurer »
Le plan suggéré semble ambitieux, mais réussira-t-il à faire évoluer les choses ?
« L’Etat a une obligation de résultat », indiquait Emmanuel Macron début avril. « Les pistes du rapport de Franck Chauvin ne resteront pas au stade des bonnes intentions » annonce désormais Agnès Firmin Le Bodo. Elle précise qu’ une « instance de gouvernance » nationale sera créée pour piloter la stratégie décennale et permettre sa mise en œuvre.
Le rapport Chauvin ne comprend en revanche aucun chiffrage des moyens à mettre en œuvre. « La trajectoire financière sera inscrite dans la stratégie [décennale] » assure la ministre. Des promesses à long terme, car le dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale ne contient rien à ce sujet.
« Il y a des objectifs chiffrés mais rien en face pour les assurer » déplore en effet Claire Fourcade, qui rappelle que « de nombreux plans très ambitieux ont déjà été privés de moyens » et « inégalement appliqués » (cf. Plan décennal pour les soins palliatifs : encore des promesses ?). Elle insiste pour que « le Gouvernement s’engage fermement sur un budget précis, pluriannuel et adapté à l’évolution démographique du pays ».
Afin de « mettre la pression sur le gouvernement, alors que la loi Claeys-Léonetti de 2016, réaffirmant la nécessité de généraliser ces soins palliatifs, n’est pas appliquée partout »[4], Patrick Hetzel, député Les Républicains, avait déposé une résolution visant « à rendre effectifs les soins palliatifs » dans tout le pays (cf. Une proposition de résolution déposée pour développer les soins palliatifs). Dans la nuit du 7 au 8 décembre, l’Assemblée nationale l’a adoptée à l’unanimité.
Pourra-t-on enfin passer des paroles aux actes, et doter la France de soins palliatifs adaptés pour permettre une prise en charge appropriée de toutes les personnes en fin de vie ? Ne serait-ce pas là la priorité plutôt que de légaliser l’euthanasie ?
[1] Le Figaro, Agnès Firmin Le Bodo au Figaro: «Le projet de loi sur le modèle français de la fin de vie sera présenté en février», Agnès Leclair (08/12/2023)
[2] Le Monde, Fin de vie : un plan pour les soins palliatifs en attendant une loi sur l’aide à mourir, Béatrice Jérôme (09/12/2023)
[3] SFAP, Réaction de la SFAP à la Stratégie décennale : des intentions louables qu’il reste à concrétiser, CP du 09/12/2023
[4] La Croix, Soins palliatifs : un plan ambitieux au financement encore flou, Nicolas Senèze avec Antoine d’Abbundo (10/12/2023)