La commission spéciale sur la fin de vie poursuit ses auditions. Le 25 avril, la matinée a été consacrée aux associations avec deux tables rondes successives, dont l’une dédiée à l’accompagnement des personnes en fin de vie. Des débats qui une fois encore ont mis en lumière les enjeux cruciaux pour notre société.
« Nous ne sommes pas sur des îles d’autodétermination »
A 9h30, devant une trentaine de députés, quatre associations ont livré leurs avis sur le projet de loi, et confronté leurs conceptions de la vie comme de la fin de vie : Alliance VITA , la Fondation Jérôme Lejeune, l’Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité (ADMD), et Le Choix. Deux lectures opposées du projet de loi se sont fait face.
Rien de nouveau chez les militants de l’« aide à mourir », qui saluent « une loi de liberté ». Pas de nouveaux chiffres. Chacun y est allé de son anecdote et de son expérience personnelle. Souhaitant déjà aller plus loin, le Dr Denis Labayle s’inquiète des conditions prévues qui « ne doivent pas devenir des obstacles ».
Rompant le charme d’une vision idéaliste du texte, Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme Lejeune, a dénoncé sans détour le projet de loi, « un texte de résignation » (cf. Fin de vie : un texte qui « s’est résigné aux mensonges »). « Le dernier spasme d’une société libertaire à l’agonie ». Véronique Bourgninaud, chargée du plaidoyer « vulnérabilité et handicap » de la Fondation, a, elle, éclairé la commission par son témoignage de mère et de fille d’un papa handicapé parti trop tôt (cf. Fin de vie : « l’euthanasie ne soignera jamais la solitude, ni le désespoir, ni la souffrance »). Une belle leçon de vie, qui a ému l’auditoire et nous invite à ne pas céder à la désespérance. Le « droit à mourir dignement, humainement, sans souffrances si celles-ci peuvent être évitées » ne saurait dispenser du respect de la vie. « La société a besoin de repères solides : ne détruisez pas ceux qui fondent encore la solidarité et la solidité de notre collectif » exhorte-t-elle.
Tugdual Derville, porte-parole d’Alliance VITA, a lui aussi fait part de ses inquiétudes, critiquant des critères d’éligibilité « flous et subjectifs » « augurant une boite de Pandore ». « Nous ne sommes pas sur des îles d’autodétermination » s’indigne-t-il. « La fraternité dont se réclament les promoteurs de cette loi est une fraternité à l’envers » (cf. Suicide : ne dévoyons pas « le sens de la fraternité, au nom d’une liberté mal comprise »).
« Certains sont “au clair”, d’autres non »
La seconde table ronde de la matinée a elle réuni les accompagnants des personnes en fin de vie.
Elsa Walter est la première à s’exprimer. Alors qu’elle intervient à égalité de parole avec les présidents de deux associations de bénévoles largement reconnues, et représentant des centaines de personnes, elle dit intervenir « à titre personnel », comme bénévole et auteur d’un livre. Une présence qui interroge quand on sait qu’elle n’est en réalité plus bénévole depuis des mois, et membre de l’équipe de l’ADMD, comme le soulève Erwan Le Morhedec sur X. On comprend en revanche mieux d’où vient son discours en faveur du projet de loi, et n’hésitant pas à mettre en cause la « rétention d’informations » des médecins comme la qualité de leur écoute. Une position rejetée par une très large majorité de bénévoles. « Certains sont “au clair”, d’autres non » souligne Erwan Le Morhedec (cf. Fin de vie : une commission orientée vers l’euthanasie ?).
« Comme bénévole, toujours en activité en ce qui me concerne, je constate surtout l’extrême sensibilité des équipes, soucieuses de respecter le chemin du malade » rétablit l’avocat et essayiste sur X.
« Quand on est en bonne santé, les curseurs sont à des endroits tout à fait différents »
Par la suite, le président de l’association Jusqu’à la mort accompagner la vie (JALMAV), Olivier de Margerie, alerte sur les risques de dérives et de pressions de la nouvelle loi. Ce projet de loi opère « une rupture sociétale en autorisant une réponse sociale au désir de mourir avant que la maladie ne nous tue » dénonce-t-il (cf. Fin de vie : légaliser l’euthanasie n’est « pas un progrès, mais un catafalque social »). Il créera un « droit moral » qui fera que des personnes qui sont au-delà des critères considéreront que la loi est aussi pour eux (cf. Fin de vie : attention au message envoyé aux personnes vulnérables). « Quelle vie voulons-nous pour toutes nos personnes âgées ? Quelle protection pour toutes nos personnes vulnérables ? » interroge-t-il. « C’est une question de solidarité nationale » (cf. « La fin de vie n’est pas avant tout un sujet de liberté individuelle mais de solidarité collective »).
Enfin, faisant écho au témoignage de Véronique Bourgninaud, Jacques de Beauval, président de la fédération Etre là, témoigne : « quand on est en bonne santé, les curseurs sont à des endroits tout à fait différents de ceux des personnes malades ». « On peut trouver des moments de bonheur où la qualité de la vie est beaucoup moins dramatique que celle qu’on s’imagine quand on est en bonne santé » souligne-t-il en tant que malade (cf. « A l’approche de la mort, on peut apprendre à vivre »). Se confronter à la vulnérabilité n’est pas facile, mais elle nous fait grandir en humanité (cf. La rencontre de notre vulnérabilité : première étape, pour devenir humain !).
Soutien des francs-maçons
L’après-midi a ensuite été marquée par l’audition des obédiences maçonniques, comme il en est coutume depuis le début des débats autour de la fin de vie. Emmanuel Macron n’a d’ailleurs pas caché co-construire la loi avec eux (cf. Fin de vie : une loi co-construite avec les francs-maçons).
Sans surprise, tous les intervenants, représentants de la Fédération française du droit humain, de la Grande Loge de France, de la Grande Loge féminine, du Grand Orient de France, ont manifesté leur forte adhésion au projet de loi. « Une loi d’émancipation des citoyens » selon le Grand Orient de France. Si certains, comme Michael Hannoun de la Grande Loge de France, ont souligné l’importance de bien définir les termes, de poser un cadre et de préserver la clause de conscience pour les médecins, d’autres voient dans le cadre posé par le projet des obstacles à l’accès à l’« aide à mourir ». C’est le cas de Guillaume Trichard du Grand Orient de France.
Pour une fois, une voix quelque peu dissonante s’est fait entendre au sein des obédiences. Le représentant de la Grande Loge de France, Michael Hannoun, a indiqué qu’« il ne faudrait pas qu’une nouvelle loi soit un message négatif ou d’abandon à leur seule responsabilité des personnes gravement malades, ou handicapées ou très âgées ».
Quelle société voulons-nous pour demain ? Une société de l’individualisme ou une société fraternelle ?
Face au leitmotiv de la liberté individuelle, résistons au basculement éthique, ne délaissons pas les plus fragiles, ne renonçons pas à la solidarité (cf. Fin de vie : « refaire de la place à la faille » et « rester, jusqu’au bout, solidaires »).