« Nous sommes dans une société thanatophobe et mortifère »

4 Avr, 2023

Alors qu’il recevait les conventionnels, Emmanuel Macron a indiqué qu’il souhaite mettre en place un « modèle français de la fin de vie ». Un « modèle » dont il exclut les mineurs et le « motif social » comme raison pour demander l’euthanasie, mais qui sera ouvert aux souffrances psychiques (cf. Euthanasie pour « dépression incurable » : la CEDH ne soulève qu’un problème de procédure). Le projet de loi devra être prêt avant la fin de l’été. Cette annonce, comme la clôture de la Convention citoyenne, ont suscité de nombreuses réactions.

Pourquoi légiférer ?

« Aucune loi ne saurait répondre aux détresses existentielles et aux souffrances de notre confrontation à la mort », souligne Emmanuel Hirsch, philosophe et professeur émérite d’éthique médicale à l’université Paris-Saclay. « Les 9200 personnes qui se suicident en France chaque année accèderaient-elles ainsi à des conditions de mort plus dignes ?, interroge-t-il. Leurs proches seraient-ils moins affectés par les conséquences d’un suicide médicalisé ? »

D’ailleurs, « en quoi les conditions d’une mort en particulier seraient-elles plus exceptionnelles que toute mort par nature singulière ? » « Il y a une phrase de l’anthropologue Louis-Vincent Thomas qui résume tout, estime de son côté la psychologue Marie de Hennezel, spécialiste des soins palliatifs et du grand âge, “Nous sommes dans une société thanatophobe et mortifère” ». Une société « jeuniste, qui valorise la performance, la rentabilité, l’efficacité de la performance aussi », regrette-t-elle.

Or, en parlant de « droit à la mort », de « liberté de choisir le moment de sa mort », on témoigne d’une « volonté de maîtrise » qui est « une façon de faire face à sa peur ». « C’est surtout une volonté de bien-portants », affirme Marie de Hennezel.

« Bien mourir » ?

« On veut anticiper la mort ou être endormi dans les derniers moments, déplore-t-elle. On considère que bien mourir, c’est mourir dans son sommeil, rapidement, sans déranger les autres. Or, le temps du mourir est précieux, prévient la psychologue. Les derniers échanges qu’un mourant peut avoir avec ses proches lui permettent de partir apaisé et aident les autres à vivre un deuil différent. »

Marie de Hennezel appelle à penser aux proches. « Ceux qui accompagnent la personne peuvent se sentir coupables de ne pas avoir réussi à la retenir à la vie. Ceux qui n’y vont pas se sentent coupables de ne pas avoir été là dans les derniers instants. Quoi qu’on fasse, on se sent coupable. C’est quand même assez violent », note-t-elle. « Quant aux médecins qui pratiquent l’euthanasie, ce n’est pas anodin. J’en ai suivi en psychothérapie. Ils en faisaient des cauchemars après. C’est un acte radical, brutal. » (cf. Claire Fourcade : « Je suis médecin, la mort n’est pas mon métier »)

Le suicide assisté : un « moindre mal » ?

« Le suicide assisté me semble susciter des dilemmes éthiques de même nature que ceux suscités par l’exception d’euthanasie », estime Emmanuel Hirsch. Et « l’exception d’euthanasie, c’est l’euthanasie ». « Lorsque l’on évoque cette évolution législative, les psychiatres évoquent la fragilisation accrue des personnes les plus vulnérables et l’anéantissement des politiques mises en œuvre dans la prévention du suicide », souligne le professeur

« Ne fera-t-on pas pression sur nous pour qu’on ait l’élégance de s’en aller ? », se confiait une femme de 86 ans à Marie de Hennezel. « Peut-être qu’on nous culpabilisera de vouloir rester en vie », craignait une autre.

« Ne soyons pas naïfs, interpelle l’éditorialiste Vincent Trémolet de Villers : les logiques comptables viendront inévitablement planer sur cette question des derniers jours. » « Comment ne pas voir que légiférer sur l’exception entraine à terme une généralisation de la pratique ? », avertit-il.

Prendre le temps

« Le président de la République avait indiqué encore récemment qu’il souhaitait prendre son temps », pointe Emmanuel Hirsch. Dans un contexte de tension sociale, « rebondir avec la fin de vie ça voudrait dire : “vous allez travailler deux ans de plus, mais rassurez-vous l’Etat s’occupe d’améliorer votre mort, d’assister votre éventuel suicide” ». « C’est quand même un peu hasardeux et même franchement sinistre et crépusculaire », juge Vincent Trémolet de Villers. « C’est une évidence, en plein crise sociale la sagesse recommande la pause sociétale », prévient-il.

Un point de vue partagé par la philosophe Laurence Devillairs. « On ne cesse de parler du recul du politique, de la perte de confiance envers l’Etat, et pourtant c’est bien lui qui, ici, va décider de notre vie et de notre relation à la mort. C’est lui qui s’érige en gestionnaire de l’intime ». « Situation paradoxale, analyse la philosophe, où se conjuguent désaveu, voire crise de l’autorité, et pouvoir exorbitant de l’instance étatique. Nous confions nos choix les plus vitaux à l’État tout en prônant un agnosticisme politique, qui rechigne à croire en l’action publique, à son utilité et à sa noblesse. » Un « paradoxe » qu’elle constate, sans en prédire les effets.

 

Sources : AFP (03/04/2023) ; Le Figaro, Agnès Leclair (02/04/2023) ; Europe 1 (03/04/2023) ; France Info, Yann Thompson (02/04/2023) ; La Croix, Laurence Devillairs (02/04/2023) – Photo : Pixabay

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