Frédéric Valletoux, le nouveau ministre nommé à la Santé, restera-t-il fidèle à ses convictions ?

9 Fév, 2024

Le 8 février, le Premier ministre a enfin dévoilé la fin de la composition du nouveau Gouvernement. Frédéric Valletoux, est nommé ministre délégué chargé de la Santé, un secteur qui connait bien des difficultés et des tensions. Quelle position adoptera-t-il sur le dossier de la fin de vie dont il hérite et qui soulève une vive inquiétude chez les soignants ? (cf. Fin de vie : les infirmiers craignent « une fuite accentuée des soignants »)

Un parcours varié

Après avoir commencé sa carrière au sein du journal Pouvoirs locaux, puis à La Gazette des communes et aux Echos, l’ancien journaliste de 57 ans prend la suite de trois médecins, d’une secrétaire médicale, d’un ancien professeur d’histoire, et d’une pharmacienne à la tête de l’avenue de Ségur. Il assurera ses fonctions aux côtés de Catherine Vautrin, la ministre de plein exercice chargée du Travail, de la Santé et des Solidarités (cf. Catherine Vautrin devient ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités : une nomination qui interroge; Fin de vie : la ministre expose ses convictions).

Frédéric Valletoux est un homme politique aguerri. Il a été a été maire de Fontainebleau pendant dix-sept ans, de 2005 à 2022, et conseiller régional d’Ile-de-France durant treize ans. Après avoir fait partie de l’UMP puis des LR, il s’est peu à peu rapproché de la majorité présidentielle, devenant député Horizons et porte-parole du groupe en 2022. Une loi porte déjà son nom. Adoptée en décembre 2023, la « loi Valletoux » entend améliorer l’accès aux soins, notamment dans les déserts médicaux.

Bien que n’étant pas soignant, Frédéric Valletoux connaît très bien le système de santé. Il a présidé, de 2011 à 2022, la Fédération Hospitalière de France (FHF). Une longue plongée au sein des établissements de santé publics qui lui a permis de se forger de solides convictions sur la nécessaire transformation du système de santé. « Nous sommes à la veille d’un moment historique pour notre système de santé : soit celui du relèvement, soit celui de l’effondrement. Après des années de replâtrage et de demi-mesures, le temps de l’audace est venu pour sauver un système de santé bien malade » déclarait-il en 2022 lors des élections présidentielles [1]. Les médecins libéraux voient toutefois d’un mauvais œil l’arrivée de cet « hospitalier » dont la nomination est  « perçue comme une provocation ».

Le soignant « ne doit jamais disposer du droit de vie ou de mort »

Parmi les nombreux chantiers du ministre délégué se trouve l’épineux dossier de la fin de vie. Plusieurs fois reporté, le projet de loi devrait être dévoilé « avant l’été » a récemment affirmé le Premier ministre (cf. Fin de vie : « un projet de loi sur l’aide active à mourir » « avant l’été »). Il reste toutefois soumis aux choix du président de la République qui continue à « nourrir sa réflexion avant de rendre les ultimes arbitrages qui seront rendus publics ce mois-ci, ainsi qu’il l’a annoncé », a récemment indiqué son entourage (cf. Fin de vie : le président de la République « assume de prendre le temps »).

Alors qu’il était encore député, Frédéric Valletoux a co-signé, avec des députés de différents partis, deux tribunes engagées sur la fin de vie.

En juin 2023, peu de temps après la fin de la Convention citoyenne (cf. Fin de vie : La Convention citoyenne rend sa copie), il avait exposé, dans une première tribune publiée dans le Monde, trois convictions guidant sa réflexion pour « tracer un chemin commun » (cf. « Là sont l’urgence et la fraternité : offrir à tous un droit effectif à être soigné et accompagné dignement »).

Rappelant l’opposition des professionnels de santé à l’euthanasie (cf. 800.000 soignants s’opposent à l’euthanasie) et « l’alliance » qui se crée lors de la relation de soin, les députés affirmaient que « le soignant qui écoute la demande de mort, qui est un cri de souffrance, ne doit jamais disposer du droit de vie ou de mort sur celui qui se confie à lui ». « Chacun doit pouvoir continuer à partager avec celui qui le soigne ses peines et ses craintes les plus intimes sans que jamais le lieu où l’on soigne ne puisse être celui où l’on donne la mort » alertaient-ils (cf. Fin de vie : « médecine de l’accompagnement » ou « médecine de la mort donnée » ?).

Au lieu de les qualifier de « secouristes à l’envers » comme dans le pré-projet de loi sur la fin de vie (cf. Projet de loi sur la fin de vie : « le mépris affiché à l’égard de soignants désormais qualifiés de secouristes à l’envers), Frédéric Valletoux, une fois devenu ministre, saura-t-il continuer à prôner une médecine hippocratique fidèle à son ADN ?

« Les soignants seront au rendez-vous d’un dialogué apaisé et constructif sur la fin de vie » écrivait hier soir la présidente de la SFAP, Claire Fourcade, sur X suite aux nominations gouvernementales. Frédéric Valletoux saura-t-il renouer le dialogue (cf. Projet de loi fin de vie : les soignants ont l’impression de se « faire marcher dessus ») ?

« Offrir à tous un droit effectif à être soigné et accompagné »

Soutenant avec force les soins palliatifs, les signataires de la tribune du Monde partageaient aussi dans leur tribune le constat « d’importantes carences » dans l’offre de soins palliatifs, un point qui fait consensus (cf. Soins palliatifs : la Cour des comptes présente son rapport). Ils dénonçaient « ces inégalités devant la mort » qui sont « contraires à l’esprit même de la République » . « Le caractère universel des traitements palliatifs ne saurait être la vague promesse d’une mesure d’ “équilibre” » soulignaient-ils.

Alors que le plan décennal sur les soins palliatifs devait être présenté fin janvier (cf. Plan décennal sur les soins palliatifs : un nouveau cadre ?), le nouveau ministre délégué réussira-t-il à faire évoluer concrètement les choses et à se donner les moyens de rendre effectifs les soins palliatifs dans tout le pays ? (cf. Soins palliatifs : la promesse d’« une petite révolution », mais pas de moyens ; Plan décennal pour les soins palliatifs : encore des promesses ?)

« La mise en œuvre effective de la loi de 1999 qui garantit à tous et partout l’accès aux soins palliatifs, et des lois qui ont suivi en 2002, 2005 et 2016, est (..) un préalable éthique à l’examen même de toute légalisation éventuelle d’une forme de mort médicalement provoquée », affirmaient les signataires de la tribune (cf. Pas de nouvelle loi avant de développer les soins palliatifs ?).

Les expériences d’autres pays « nous montrent que les personnes les plus fragiles, les plus isolées ou les plus précaires sont celles qui craignent le plus de peser sur leurs proches et sont, de fait, les plus concernées par les demandes de mort anticipée » mettaient enfin en garde ces députés (cf. Fin de vie : attention au message envoyé aux personnes vulnérables). « Nous devons prendre à bras-le-corps l’amélioration de la fin de vie de la majorité de nos concitoyens dans tous les lieux médicaux où ils sont accueillis ».

« Là sont l’urgence et la fraternité : offrir à tous un droit effectif à être soigné et accompagné dignement. Car la fin de vie est encore la vie » affirmait alors Frédéric Valletoux aux côtés des autres signataires (cf. « Là sont l’urgence et la fraternité : offrir à tous un droit effectif à être soigné et accompagné dignement »).

Des paroles aux actes ?

Dans une seconde tribune, publiée en septembre par l’Express (cf. « Aide active à mourir » et soins palliatifs doivent être dissociés exhortent des députés), Frédéric Valletoux et les autres députés exhortaient cette fois à ne pas mêler soins palliatifs et « aide à mourir » dans un même texte, comme cela avait été annoncé par Agnès Firmin Le Bodo, l’ancienne ministre en charge du projet de loi (cf. Fin de vie : Agnès Firmin Le Bodo esquisse le futur projet de loi).

« La clarté est une question démocratique fondamentale » affirmaient-ils. « Combiner dans un même texte des questions par essence différentes serait une erreur et nous priverait collectivement de la liberté d’expression que nous confère la Constitution » (cf. « Les pratiques euthanasiques rendent moribonds les soins palliatifs »).

Que contiendra finalement le projet de loi sur la fin de vie ? Sera-t-il scindé en deux lois distinctes comme le député Valletoux l’appelait de ses vœux ?

Le nouveau ministre délégué ne s’est pas encore exprimé sur le sujet. A l’heure où il entre au Gouvernement, Frédéric Valletoux saura-t-il se souvenir de ses convictions, ou cèdera-t-il lui aussi à la pression politique et à l’idéologie actuelle ? Aura-t-il un poids suffisant pour réussir à enrayer le processus voulu par Emmanuel Macron ? (cf. Fin de vie : un processus construit pour aboutir à légaliser l’euthanasie ?) Ses paroles se transformeront-elles en actes afin de respecter enfin les objectifs proclamés, et non de faire de « l’affichage politique » ?

Il y a urgence, il faut éviter l’écroulement des soins palliatifs (cf. « L’enjeu n’est même plus de développer les soins palliatifs. Il s’agit d’éviter leur écroulement ») et prendre soin des plus vulnérables pour les accompagner avec « bientraitance » (cf. « Etre regardés, soulagés, accompagnés, mais pas tués »). Il y a là un enjeu éthique et civilisationnel considérable.

 

[1] Figaro, Marie-Cécile Renault, Frédéric Valletoux, un ancien journaliste devenu député nommé à la Santé (08/02/2024)

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