Projet de loi sur la fin de vie : « le mépris affiché à l’égard de soignants désormais qualifiés de “secouristes à l’envers” »

18 Déc, 2023

Alors qu’ils avaient rendez-vous en début de matinée avec Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée aux Professions de santé qui est aussi en charge des discussions sur la fin de vie, un collectif de soignants réunissant désormais dix-neuf syndicats et organisations [1] a décidé de « boycotter la réunion ». A la place, une conférence de presse a été organisée.

Les conditions du dialogue ne sont actuellement plus réunies. Depuis les « fuites » sur l’avant-projet de loi sur la fin de vie, le collectif dénonce unanimement la « violence » du texte (cf. Projet de loi fin de vie : les soignants ont l’impression de se « faire marcher dessus ») et la méthode de la ministre.

« Tuer va à l’encontre de l’ADN des soignants »

« Ce texte établit explicitement un continuum entre le soin et la mort administrée » s’indignent les soignants. « Nous ne pouvons cautionner le choix fait d’une mort provoquée et organisée au sein du système de santé ». « Donner la mort n’est pas un soin » martèlent une fois encore les soignants (cf. Claire Fourcade : « Je suis médecin, la mort n’est pas mon métier »).

Alors que le cadre légal actuel « permet d’accompagner au mieux les personnes », ils dénoncent un projet de loi qui « change d’intentionnalité » et de logique pour passer de l’accompagnement à « la logique de tuer ».

« Le texte est loin de la réalité vécue au quotidien par les soignants » constate Jeanne Amourous, infirmière en soins palliatifs à Paris (cf. Fin de vie : « ne dévoyons pas les soins palliatifs »). Il viendra aggraver la crise du monde de la santé prévient-elle. « Tuer va à l’encontre de l’ADN des soignants » qui pourraient être nombreux à « renoncer à leur métier », « faute d’être écoutés et considérés ».

« Les innombrables alertes venues de l’étranger n’ont pas été prises en compte »

L’avant-projet s’affranchit en outre de toutes les précautions que les soignants jugent « indispensables à la préservation de la relation de soin » s’insurge le collectif. « Les innombrables alertes venues de l’étranger n’ont pas été prises en compte » explique-t-il (cf. Les dérives inquiétantes de la pratique de l’euthanasie en Belgique).

La loi aura des conséquences pour tous les patients, mais « les plus touchés seront les plus vulnérables » préviennent d’ores et déjà les soignants (cf. Fin de vie : attention au message envoyé aux personnes vulnérables).

Bruno Dallaporta, néphrologue, fait également remarquer que le projet de loi fait un « focus sur l’individu » au lieu de s’intéresser à la société (cf. « La fin de vie n’est pas avant tout un sujet de liberté individuelle mais de solidarité collective »). « Doit on légiférer cette exception pour une très faible minorité ? » interroge-t-il. N’est-ce pas dévoyer la loi qui est faite pour servir le « bien commun », et non les « intérêts particuliers » ?

Une « parodie de consultation »

Heurtés par la méthode d’Agnès Firmin Le Bodo, les soignants dénoncent par ailleurs la « parodie de consultation » qui a eu lieu (cf. Projet de loi sur la fin de vie : soignants et parlementaires veulent faire entendre leurs voix), et « le mépris affiché à l’égard de soignants désormais qualifiés de “secouristes à l’envers” ».

L’avant-projet de loi est « aux antipodes des remarques faites depuis un an par nos organisations ». Il « met cruellement en évidence l’absence d’écoute du ministre en charge de ce dossier » et « la négation du principe de “co-construction” promise par le président de la République » s’insurgent-ils (cf. Fin de vie : un « dialogue de sourds » entre les soignants et le gouvernement).

Nous avons pourtant « répondu fidèlement aux convocations de la ministre, tentant d’apporter notre expertise et notre expérience de l’accompagnement de fin de vie » afin de faire des « propositions qui permettraient aux principes de fraternité et de non-abandon de demeurer les piliers structurants de notre système de santé, dans l’intérêt supérieur du patient » expliquent les soignants. Néanmoins, « force est de constater que cette démarche sera toujours restée unilatérale ».

Le Gouvernement « utilise les soignants »

Malgré les réunions qui ont eu lieu, « à aucun moment le ministère ne nous aura associés à l’élaboration de ce projet » regrettent les soignants, qui ont « découvert par voie de presse le contenu ». « L’avant-projet de loi est la conclusion logique d’un travail fait en vase clos » dénonce le collectif, les réunions avec les soignants n’étaient qu’« une parodie de consultation ».

Alors qu’Agnès Firmin Le Bodo devrait défendre les professions de santé dont elle est en charge, elle « utilise les soignants » estime le collectif. « Nous ne pouvons cautionner le mépris du Gouvernement à l’égard des soignants » préviennent-ils.

Malgré le boycott du collectif des soignants, Agnès Firmin Le Bodo a osé annoncer ce matin sur son compte X la tenue de la 14e réunion avec les professionnels de santé sur la fin de vie, ce qui «  témoigne de [sa] volonté de maintenir le dialogue » affirme-t-elle. « Des échanges apaisés » ont eu lieu, précise-t-elle. Mais avec qui ? Comment interpréter ces propos ? Ne seront-ils pas de trop face à leur colère des soignants ?

« Mettre un coup d’arrêt au mode de fonctionnement actuel »

Désormais, les soignants en appellent au président de la République, « l’ultime décisionnaire » (cf. Fin de vie : « la volonté exprimée par le président de la République sera tenue »). Leur objectif est de « mettre un coup d’arrêt au mode de fonctionnement actuel » pour repartir sur des bases différentes. Les membres du collectif se disent néanmoins prêts à « retourner à la table des négociations ». Claire Fourcade a d’ailleurs annoncé lors de la conférence de presse de ce matin qu’un rendez-vous devrait avoir lui jeudi à Matignon avec le Gouvernement.

« Le débat ne doit pas être purement théorique, mais réel » insiste la présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) qui souhaite continuer à « mettre l’expérience et les compétences des soignants au service du débat » (cf. « Dans ce débat, les médecins n’ont pas une opinion mais une compétence »). « L’accompagnement des patients en fin de vie ne [doit] pas faire les frais de la gestion pathétique de ce projet » insistent les soignants.

Dissocier « la mort provoquée » et les soins palliatifs

Alors que le Gouvernement continue de rattacher « les soins palliatifs à cette loi qui donne un permis de tuer », les soignants réitèrent « une demande formulée depuis un an de distinguer dans des textes différents, les dispositions d’une mort provoquée par l’administration intentionnelle d’une substance létale et le développement des soins palliatifs » (cf. « Aide active à mourir » et soins palliatifs doivent être dissociés exhortent des députés).

« Cette démarche serait vécue par les soignants comme un geste d’apaisement » explique le collectif. Mais cela sera-t-il suffisant pour rétablir un climat de confiance ?

« Nous demandons que le volet des soins palliatifs soit mis en œuvre le plus tôt possible » ajoute en outre Claire Fourcade (cf. Fin de vie : « Ce n’est pas en baptisant stratégie ce qui était auparavant appelé plan que se fait une politique volontariste »). Alors que ce point ne fait pas débat, réussiront-ils à avoir gain de cause pour qu’un accompagnement approprié soit enfin offert à tous les Français ?

Tandis que la voix des soignants ne semble pas écoutée, les propos de certaines personnalités jouant sur la corde de l’émotion, ou d’associations militant pour la légalisation de l’euthanasie, trouvent un écho important dans les média (cf. « Le prochain voyage » : quand le service public fait la promotion du suicide assisté). Le Gouvernement acceptera-t-il enfin « réfléchir dans un autre sens » pour renouer avec la fraternité (cf. Fin de vie : après la promotion du suicide, une soirée pour « réfléchir dans un autre sens »), et prendre soin de ses soignants comme des plus vulnérables ?

 

[1] Société française de soins palliatifs pédiatriques, l’Association Francophone des Soins Oncologiques de Support, l’Association Nationale Française des Infirmier(e)s en Pratique Avancée, l’association pour la Clarification du Rôle du Médecin dans le contexte des fins de vie, le Conseil National Professionnel de Gériatrie, le Conseil National Professionnel Infirmier, la Fédération Nationale des Établissements d’Hospitalisation à Domicile, l’Association Nationale des Médecins Coordonnateurs en EHPAD et du Secteur médico-social, la Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs , la Société Française du Cancer, la Société Française de Gériatrie et Gérontologie, le Syndicat National des Professionnels Infirmiers, le Groupe de Soins Palliatifs UNICANCER

Photo : iStock

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