Le projet de loi sur la fin de vie devrait être présenté au président de la République d’ici quelques jours. Les derniers arbitrages restent à faire, mais on sait déjà que le texte s’articulera en trois parties : accès aux soins palliatifs, « aide active à mourir » et droits des patients. Les soignants déplorent les conditions dans lesquelles a eu lieu le débat et continuent de s’opposer à ce texte.
« Ce qui nous importe, c’est notre responsabilité à l’égard de la vulnérabilité »
Mardi, le collectif de treize sociétés savantes et organisations de professionnels de santé opposées à l’euthanasie (cf. 800.000 soignants s’opposent à l’euthanasie) s’est réuni à Paris, à l’hôpital Saint-Anne. Plusieurs députés, Astrid Panosyan (Renaissance), Yannick Neuder (LR), Dominique Potier (PS), Pierre Dharréville (PCF), et l’ancien ministre Jean Leonetti étaient aussi présents (cf. « Là sont l’urgence et la fraternité : offrir à tous un droit effectif à être soigné et accompagné dignement »).
« Au départ, il se disait que ce débat allait être comme le “Mariage pour tous”, avec une mobilisation des catholiques. Mais ce sont les soignants qui se sont exprimés. Le gouvernement nous a baladés car il redoutait cette parole des soignants. Les professionnels de santé portent les valeurs du soin, de la démocratie. Des valeurs fortes. Ce qui nous importe, c’est notre responsabilité à l’égard de la vulnérabilité », déclare Bruno Dallaporta, médecin à la Fondation santé des étudiants de France. « Dans ce débat, les médecins n’ont pas une opinion mais une compétence » souligne-t-il .
« On est très loin de la co-construction »
Les professionnels de santé dénoncent la façon dont les consultations ont été menées par Agnès Firmin Le Bodo (cf. Projet de loi sur la fin de vie : soignants et parlementaires veulent faire entendre leurs voix). « Nous avons souvent été invités par le gouvernement, c’est vrai, mais toujours pour des auditions, jamais pour des échanges » relève Ségolène Perruchio, vice-présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap). « Nous n’avons jamais avancé dans la discussion car nous n’avons jamais eu de retour sur nos interventions. On est très loin de la co-construction » poursuit-elle.
Olivier Falorni, député MoDem, reconnait lui-même qu’on ne peut pas parler de « co-construction ». « La “co-construction” se fera au Parlement ! » selon lui. « Il ne s’agissait pas d’un échange mais uniquement d’une information descendante », note de son côté le député LR Philippe Juvin. « Nous avons écouté des exposés techniques à rallonge permettant d’éluder le débat de fond. Il n’y avait aucune volonté de trouver un point de convergence ».
« Des propositions hors sol »
« Dans ces réunions, il n’y a pas d’ordre du jour. On ne sait pas qui est invité et à quel titre. Les intervenants ne se présentent pas tous » souligne également Ségolène Perruchio. D’autres reproches sont aussi relevés : longues présentations « qui limitent les prises de paroles », ajout d’intervenants en faveur de l’euthanasie mais ne représentant aucun Ordre, échanges abrégés sur le fond du texte, …
Les deux derniers rendez-vous des soignants avec Franck Chauvin, en charge du plan décennal sur les soins palliatifs (cf. Plan décennal sur les soins palliatifs : un nouveau cadre ?), et le cabinet d’Agnès Firmin Le Bodo n’ont pas apaisé la situation alors qu’ils portaient sur les soins palliatifs. « On enfonce des portes ouvertes sur notre réalité et on nous fait des propositions hors sol, comme le développement de l’activité physique adaptée » s’exaspère Sophie Chrétien, membre de l’Association des infirmiers en pratique avancée (Anfipa).
Lors de la dernière réunion de septembre, la possibilité de changer le nom des soins palliatifs a été évoquée. Ils pourraient désormais s’appeler « soins d’accompagnement » pour souligner qu’ils ne correspondent pas uniquement à l’accompagnement de la fin de vie et étendre ces soins. Les soignants sont toutefois méfiants. « Il pourrait aussi s’agir d’inclure l’euthanasie et le suicide assisté dans une perspective plus large » relève ainsi un membre du collectif des 13 organisations de soignants.
« La loi doit protéger les soignants »
« Ne nous donnez pas le pouvoir de donner la mort ! » exhortent les professionnels de santé, alors qu’Emmanuel Macron reconnait que cette réforme est susceptible de provoquer un « vertige éthique ». « La loi doit protéger les soignants » rappelle la psychiatre Faroudja Hocini. « Nous aussi, comme les aidants, avons parfois des envies que “ça se termine”. Mais avoir un interdit ferme nous pousse à être inventifs, à chercher toujours des solutions » affirme le médecin (cf. « Aide active à mourir » : les psychologues inquiets).
« Porter ce projet de loi dans le contexte actuel des établissements de santé est assez scandaleux. La première chose à faire est que la qualité du soin permette de faire un choix réellement libre sur la fin de vie » s’indigne par ailleurs François Bertin-Hugault, membre du Conseil national professionnel de gériatrie (cf. Pas de nouvelle loi avant de développer les soins palliatifs ?).
« Une prise en otage des parlementaires » ?
Les soignants dénoncent une « manœuvre politique », un « enfumage » du Gouvernement. « Parler dans une même loi des soins palliatifs et d’un projet de mort du patient, c’est une aberration », s’offusque Sophie Chrétien. « Mêler la mort médicalement assistée, le deuil, les aidants, c’est une prise en otage des parlementaires. Un scandale ! » prévient, elle aussi, Sara Piazza, psychologue en soins palliatifs et en réanimation.
« Comment des députés pourraient voter contre ce magnifique projet de développer des soins palliatifs dans lequel on a glissé aussi le sujet moins consensuel de l’aide active à mourir ? » interroge Ségolène Perruchio. « On n’a pas besoin d’une loi sur les soins palliatifs, on a besoin de moyens, de formation » ajoute-t-elle (cf. Fin de vie : Les soins palliatifs, « parent pauvre de la médecine »).
Les moyens pour développer les soins palliatifs restent pourtant encore inconnus. « Tout le monde s’accorde à penser que les développer est une urgence. Mais, pour l’instant, ce sujet ne figure pas dans les orientations du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2024 », dénonce Claire Fourcade (cf. Plan décennal pour les soins palliatifs : encore des promesses ?).
Sources : Le Figaro, Agnès Leclair (20/09/2023) ; La Croix, Mélinée Le Priol (20/09/2023) – Photo : iStock