Diner à l’Elysée sur la fin de vie : « un sujet intimidant » ?

12 Fév, 2024

Le 8 février, le président de la République a reçu à l’Elysée différents acteurs pour évoquer le projet de loi sur la fin de vie. Un sujet sensible et clivant.

En mars 2023, un même dîner avait déjà été organisé (cf. Dîner à l’Elysée sur la fin de vie : des échanges de points de vue, mais pas d’annonces).

Aux côtés d’Emmanuel Macron et de Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités (cf. Fin de vie : la ministre expose ses convictions), une trentaine de personnes étaient conviées. Parmi elles, les cinq représentants des cultes, protestant, orthodoxe, catholique, bouddhiste et juif, étaient présents, ainsi que Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), et l’ancien député Alain Claeys, membre du CCNE. Des médecins, François Blot, médecin réanimateur au centre Gustave Roussy de Villejuif, le docteur Laurent Montaz, chef de l’unité de soins palliatifs du CHU de Poitiers, François Arnault, nouveau président du Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) et Fabrice Gilz, directeur adjoint de l’Espace éthique d’Île-de-France faisaient, eux aussi, parti des invités. Enfin, la journaliste Marina Carrère d’Encausse, auteur d’un documentaire en faveur de la légalisation de l’euthanasie Fin de vie : pour que tu aies le choix était elle aussi présente (cf. La promotion du suicide et de l’euthanasie en prime time sur le service public).

Frédéric Valletoux, nouvellement nommé ministre délégué à la Santé (cf. Frédéric Valletoux, le nouveau ministre nommé à la Santé, restera-t-il fidèle à ses convictions ?), était en revanche absent.

« Un nouveau round de consultations » ?

Au cours de la soirée, aucune annonce n’a été faite par le président de la République qui n’est « pas rentré dans le détail » du projet de loi attendu (cf. Fin de vie : Agnès Firmin Le Bodo précise les contours du projet de loi). « Il semble toujours tâtonner » indique un participant qui précise : « notre sentiment est que le président n’a pas de plan préétabli mais qu’il lançait un nouveau round de consultations, comme un remake ».

Emmanuel Macron a écouté ses interlocuteurs durant plus de deux heures. Il s’est à la fois montré « très à l’écoute » et « prudent », qualifiant à plusieurs reprises la fin de vie de « sujet intimidant ».

« Il n’est pas paru évident que le sujet soit complètement tranché même s’il apparaît à peu près certain que les choses vont bouger » témoigne le docteur Laurent Montaz (cf. Fin de vie : « la volonté exprimée par le président de la République sera tenue »). « Le président ne veut ouvrir ni un droit, ni une liberté, mais un possible » explique Christian Krieger, président de la Fédération protestante de France. « Il est sur une voie de crête philosophique dont on ne voit pas encore comment cela se traduira dans un texte de loi », « il repositionne la jauge ». « Le président semble chercher à prendre en compte les enjeux de ce sujet très grave » ajoute Mgr Matthieu Rougé, évêque de Nanterre et représentant de la Conférence des évêques de France lors du diner (cf. Fin de vie : « à vouloir légiférer de façon (pseudo) compassionnelle », on permet une « épouvantable aberration »).

« Ouvrir une porte impossible à refermer »

« S’agissant de l’aide à mourir, j’ai l’impression qu’on s’oriente plutôt vers le suicide assisté que vers l’euthanasie » indique en outre le docteur Laurent Montaz. « Après s’être beaucoup interrogé, il veut avancer vers un mode, de son point de vue assez restrictif, d’exception à la législation actuelle. Avec, c’est notre objection majeure, une ouverture de l’aide active à mourir, aussi restrictive soit-elle » poursuit Mgr Rougé (cf. Fin de vie : les évêques appellent à la fraternité et non à la légitimation de l’euthanasie).

« Quand on prétend encadrer une aide active à mourir dite restreinte, comment ne pas ouvrir une porte impossible à refermer vers toutes sortes de remises en cause de la dignité des personnes fragiles ? » s’inquiète l’évêque (cf. Fin de vie : attention au message envoyé aux personnes vulnérables). « Si le gouvernement veut définir des cas d’exception, nous regarderons cela de près, avec vigilance et il faut bien le dire de profondes réticences. Car ultimement, c’est l’interdit social fondateur de la mort provoquée qui est en jeu » prévient-il (cf. « Nous refusons l’idée de remettre en cause l’interdit fondamental de toute société qu’est l’interdit de tuer »).

« Renforcer les soins palliatifs sur l’ensemble du territoire »

Témoignant du travail des équipes de soins palliatifs, le docteur Laurent Montaz, seul médecin en exercice, a interrogé le président de la République sur la place des soignants en cas d’évolution de la loi, tout en défendant leur point de vue (cf. Projet de loi fin de vie : les soignants ont l’impression de se « faire marcher dessus »). « A titre personnel, je considère qu’il n’est pas du rôle du médecin de donner la mort » a-t-il indiqué (cf. 800.000 soignants s’opposent à l’euthanasie). Emmanuel Macron a également demandé aux médecins présents s’ils avaient été confrontés à des demandes d’euthanasies de patients. « Il est très troublé par l’idée de mettre à mal tout une sensibilité soignante. Il a envie d’être progressiste mais sans heurter » explique François Blot (cf. Fin de vie : un « dialogue de sourds » entre les soignants et le gouvernement).

En ce qui concerne les soins palliatifs, Laurent Montaz ajoute par ailleurs que le président de la République « a paru sincèrement convaincu de la nécessité de renforcer les soins palliatifs sur l’ensemble du territoire, en particulier dans le domaine pédiatrique » (cf. Fin de vie : « Les soins palliatifs pour les enfants sont souvent occultés »). Emmanuel Macron a aussi insisté sur la nécessité d’une prise en charge précoce. « Il estime que la culture palliative doit se diffuser dans tout le soin, de manière transversale, et ne pas rester cantonnée à des unités spécialisées. Les soins palliatifs doivent s’inscrire dans le continuum du soin. Il s’est aussi montré très sensible à la dimension humaine de l’accompagnement des malades et à la présence auprès des personnes en fin de vie » explique le pasteur Christian Krieger (cf. « L’enjeu n’est même plus de développer les soins palliatifs. Il s’agit d’éviter leur écroulement »).

« Aucune échéance précise n’a été annoncée »

Alain Claeys se félicite d’une discussion où chacun a pu s’exprimer « dans le respect ». « Il faut faire évoluer le cadre législatif » indique-t-il toutefois. Selon lui, « après plus d’un an et demi de débat et de travail, le moment est venu d’agir, ce qui n’empêche pas la réflexion et l’interrogation car sur un sujet aussi délicat, on n’a jamais fini d’apprendre ».

Alors que d’« ultimes arbitrages » sont attendus courant février, selon différents participants, Emmanuel Macron aurait indiqué qu’un projet de texte leur serait adressé et qu’ils pourraient faire part de leurs interrogations.

Contrairement à ce qui avait été indiqué début janvier (cf. Projet de loi sur la fin de vie : le président annonce deux textes distincts), le président a toutefois indiqué que le projet de loi ferait l’objet d’un seul texte (cf. « Aide active à mourir » et soins palliatifs doivent être dissociés exhortent des députés). « La loi doit concilier deux éléments éthiques essentiels : la solidarité et l’autonomie. Il y a une humanisation à trouver dans le parcours de soin des personnes en fin de vie. Pour rendre cette démarche cohérente, la loi ne peut être découpée » explique pour sa part Alain Claeys.

Alors que le Premier ministre a indiqué que le projet de loi serait examiné « avant l’été » (cf. Fin de vie : « un projet de loi sur l’aide active à mourir » « avant l’été »), aucun calendrier n’a été précisé. « On sent qu’il a envie d’agir mais aucune échéance précise n’a été annoncée » indique le pasteur Christian Krieger. Mgr Matthieu Rougé a toutefois d’ores et déjà averti qu’ « il ne serait pas acceptable que, sur un sujet aussi sensible, le débat ait lieu au creux de l’été ».

 

Sources : La Croix, Matthieu Lasserre et Antoine d’Abbundo, (09/02/2024) ; AFP (09/02/2024) ; Figaro, Agnès Leclair (09/02/2024)

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