IVG dans la Constitution : un quasi plébiscite des députés en première lecture

Publié le 31 Jan, 2024

Mardi 30 janvier, lors d’un vote solennel faisant suite à la déclaration de politique générale de Gabriel Attal (cf. Fin de vie : « un projet de loi sur l’aide active à mourir » « avant l’été »), l’Assemblée nationale a adopté en première lecture le projet de loi visant à inscrire dans la Constitution « la liberté garantie à la femme d’avoir recours » à une interruption volontaire de grossesse (IVG).

Ecrire, coûte que coûte, « un nouveau chapitre »

Le député Erwan Balanant (Démocrates) salue la rédaction du texte, « la plus aboutie » et le « fruit d’un équilibre entre l’Assemblée nationale et le Sénat » selon lui. Sarah Tanzilli (Renaissance) insiste elle aussi. Il s’agit d’une formulation qui fait « un pas vers l’autre pour la défense d’intérêts qui nous dépassent », « un compromis entre la gauche, la majorité et la droite républicaine ».

« Le texte, même s’il est imparfait, ouvre la voie » souligne à son tour Marie-Noëlle Battistel (Socialistes), tout en ajoutant : « il aurait pu être plus amitieux, mais il est celui de la “vigilance” ». Après avoir égrainé lors de son discours les paroles de la chanson d’Anne Sylvestre, « non tu n’as pas de nom », sur le choix ou non d’avoir un enfant, Sandrine Rousseau (Ecologistes Nupes) regrette, elle aussi, que le texte n’aille pas assez loin. Elle explique préférer une formulation plus « protectrice » intégrant la notion de « droit » (cf. IVG : « le Gouvernement ne sait pas ce qu’est une liberté, et ce qui la distingue d’un droit »), évoquant la contraception, et incluant mieux les « personnes trans », mais « c’est une première étape » insiste-t-elle en appelant à voter le texte.

Qu’importent les divergences et la réalité de l’avortement. Le sujet serait-il si essentiel ? Tous les groupes, à l’exception des Républicains (LR) et du Rassemblement National (RN) pour qui la liberté de conscience et de vote sont de mise sur les sujets sociétaux, appellent unanimement à l’« unité républicaine » et au vote du texte proposé. « Nous avons rendez-vous avec l’histoire », « le temps n’est plus à la casuistique, prenons nos responsabilités » exhorte Erwan Balanant. « Ecrivons un nouveau chapitre ».

Peu de voix dissonantes

Sans grande surprise (cf. Les députés approuvent le projet de loi visant à constitutionnaliser l’IVG) et sous les applaudissements, le projet de loi a été voté à une très large majorité. Avec 546 votants et 523 voix exprimées, la formulation du Gouvernement a été acceptée par les députés avec 493 voix pour et 30 contre.

Lors du scrutin, l’ensemble des élus de gauche et la quasi-totalité de la majorité comme du groupe indépendant Liot ont voté pour, seul un député Liot a voté contre. A droite, le groupe LR a, lui, été divisé, avec 40 députés pour le projet de loi constitutionnelle, 15 contre, et 4 qui se sont abstenus. De même au RN, où 46 étaient pour, 12 contre et 14 ne se sont pas prononcés. Enfin, parmi les 5 députés non inscrits, il est à noter que 2 ont voté pour, 2 contre et un s’est abstenu.

Au cours de la discussion générale, une seule voix véritablement dissonante se sera fait entendre au perchoir ce mardi soir, celle de la députée Pascale Bordes (RN). Avec insistance, elle dénonce à nouveau une réforme « inappropriée et inutile », « très éloignée des préoccupations des Français » (cf. Avortement, fin de vie : des projets de lois « hors sujet et hors sol »). « Comment consacrer autant de temps à un tel texte alors que le débat sur l’IVG a eu lieu il y a 50 ans, et que 234 300 IVG ont été pratiquées en 2022 ? » s’offusque-t-elle (cf. France : 234 300 avortements en 2022). « Ce texte est une diversion », une « opération de communication », « un artifice » déplore la députée qui ne prendra toutefois pas part au vote.

Du côté des LR, tout en se disant favorable au projet de loi à titre personnel, Emilie Bonnivard s’est à nouveau inquiétée d’un déséquilibre entre « la possibilité pour la femme d’avoir recours à l’IVG et le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie » (cf. IVG dans la Constitution : « l’enjeu est celui de la liberté des citoyens, et pas seulement de la femme »).

Soulignant que la majorité Renaissance et la Nupes avaient proposé un amendement visant à autoriser l’avortement médical jusqu’à 9 mois pour cause de « détresse psychosociale » de la mère lors des discussions de la loi bioéthique (cf. IVG : vers l’utilisation de la détresse psychosociale pour des avortements hors délai ?), la députée réitère également ses alertes sur de possibles allongements des délais pour avorter, ou des restrictions de la clause de conscience des soignants (cf. « L’inscription de l’IVG dans la Constitution menace la liberté de conscience du personnel médical »). Elle invite à se « prémunir contre les excès ». Mais comment pouvoir le garantir une fois le texte voté ?

Convaincre les sénateurs ?

« Ce soir l’Assemblée nationale et le Gouvernement n’ont pas manqué leur rendez-vous avec l’histoire des femmes (…) avec l’histoire tout court » se félicite le ministre de la justice, Eric Dupond-Moretti, à l’issue du vote. « Je vais maintenant m’atteler à porter le message qui est le vôtre au Sénat » promet le garde des Sceaux qui s’engage à convaincre les sénateurs, avec « détermination, humilité, et avec tout le respect que l’on doit à toutes les consciences », que cette réforme est « utile », « juste » et que « nous la devons à toutes les femmes de notre pays ».

Le 28 février, le texte sera en effet examiné par le Sénat. Il pourrait y connaitre un tout autre destin qu’à l’Assemblée nationale. La droite, majoritaire au Sénat, ne cache pas son opposition face à ce texte qu’elle juge inutile. Ainsi, Gérard Larcher, le président de la Chambre haute, a récemment souligné que « la Constitution n’est pas un catalogue de droits sociaux et sociétaux », tout en rappelant que « l’IVG n’est pas menacée dans notre pays » (cf. IVG dans la Constitution : le Sénat, un « caillou » dans l’engrenage du projet de loi ?)

« En l’état, il ne peut y avoir de vote conforme des sénateurs LR à la version du Gouvernement » indique le sénateur Bruno Retailleau (LR)[1].  « On ne peut pas considérer que le texte de l’Assemblée est à prendre ou à laisser » prévient le sénateur Philippe Bas (LR), auteur de la rédaction initialement adoptée au Sénat (cf. Avortement dans la Constitution : un sénateur fait cavalier seul). Il s’inquiète de la notion de « liberté garantie » retenue par les députés, et y voit un risque de glissement vers un « droit opposable » (cf. Constitutionnalisation de l’avortement : le « mensonge qui tue » en « étendard »).

Le « sérieux législatif » du Sénat prévaudra-t-il ?

Le vote des centristes reste lui aussi incertain. « C’est devenu le graal, le coffre-fort, quand on veut sacraliser le droit, on le met dans la Constitution » dénonce un « poids lourd » de l’Union centriste [2] . Le Gouvernement « a commis une erreur d’appréciation » en évoquant fin décembre la date d’une réunion du Congrès le 5 mars poursuit-il (cf. IVG dans la Constitution : le projet de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale le 24 janvier). « C’est comme s’ils disaient au Sénat « dépêchez-vous, on n’en a rien à foutre de ce que vous votez ! » s’offusque-t-il. « Nous prendrons le temps qu’il faut pour aller au bout de cette révision » a toutefois affirmé récemment Eric Dupond-Moretti pour tenter de rassurer les sénateurs. Ces mots suffiront-ils à les apaiser ?

La « politique spectacle » pourrait se heurter au « sérieux législatif qui prévaut » au Sénat souligne la droite sénatoriale. « Pour un sénateur de droite et du centre, il est incompréhensible que la France modifie sa Constitution pour répondre à une jurisprudence américaine. C’est presque un péché de lèse-constitution ».

Le débat n’est pas terminé. Le texte sera examiné de près par les sénateurs qui risquent de le modifier à nouveau. La révision constitutionnelle nécessite pourtant que les deux chambres votent exactement le même texte avant qu’il soit soumis au Congrès (cf. IVG dans la Constitution : Emmanuel Macron annonce un projet de loi). Tout changement dans le texte voté aura des conséquences sur le calendrier, car la navette reprendrait alors.

Quel avenir sera réservé au projet de loi voulu par le Gouvernement ? Les sénateurs seront-ils le « caillou » dans l’engrenage ? Réussiront-ils à résister à l’« idéologie ambiante » comme aux calculs politiques pour faire échouer le processus mis en place afin de faire entrer l’IVG dans la Constitution ?

 

[1]  Le Figaro,  IVG dans la Constitution : la droite prudente, Claire Conruyt et Emmanuel Galiero (30/01/2024)

[2] Le Figaro,  IVG dans la Constitution : la droite prudente, Claire Conruyt et Emmanuel Galiero (30/01/2024)

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