IVG dans la Constitution : le projet de loi adopté en Commission à l’Assemblée nationale

Publié le 18 Jan, 2024

Le 17 janvier, jour anniversaire de la promulgation de la loi Veil, la Commission des lois de l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi constitutionnel visant à garantir à la femme « la liberté » d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse (IVG) (cf. IVG dans la Constitution : le projet de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale le 24 janvier).

La veille, la Commission des lois avait auditionné Eric Dupond-Moretti, le ministre de la Justice qui porte le projet de loi, avant d’entendre l’avis de chaque groupe.

Un texte « très éloigné de la préoccupation de nos concitoyens » et « peu utile »

Alors qu’« il n’existe pas aujourd’hui de protection supra législative visant à garantir l’IVG », le garde des Sceaux a vanté un « texte extrêmement équilibré » qui « consacre la liberté » reconnue à toute femme, sans pour autant « créer » une « forme de droit totalement absolu et sans limite ». L’objectif est de « créer un bouclier non régressif pour le futur » a poursuivi Guillaume Gouffier-Valente (Renaissance), le rapporteur du projet de loi.

Une position vivement critiquée par Pascale Bordes, députée du Rassemblement National, qui dénonce un texte « très éloigné de la préoccupation de nos concitoyens ». Ce texte est « peu utile » car l’avortement n’est « pas menacé » en France poursuit-elle. « 234 300 IVG ont été réalisées en 2022, un chiffre en constante augmentation et deux fois plus élevé qu’en Allemagne » rappelle la députée (cf. France : 234 300 avortements en 2022). « La Constitution n’est pas un texte symbolique », elle doit être « un point d’ancrage », « non l’exutoire des désirs de certains » avertit-elle (cf. Constitutionnalisation de l’avortement : le « mensonge qui tue » en « étendard »).

« Comparaison n’est pas raison », le système juridique américain n’a rien à voir avec le nôtre souligne Philippe Gosselin (LR) qui enfonce le clou en affirmant que le texte n’est pas non plus utile juridiquement. « Sur le plan constitutionnel, il n’y a pas de risques d’atteinte à l’IVG qui fait partie du bloc de constitutionnalité » insiste-t-il. L’avortement a toujours été jugé conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans ses décisions de 1975, 2001, 2014 et 2016 rappelle elle aussi Emilie Bonnivard (LR). Philippe Gosselin dénonce un « débat politique plus que juridique ».

Un peu de modestie

Avec la formulation retenue, le Gouvernement entend faire la synthèse des textes votés à l’Assemblée nationale (cf. Le « droit à l’avortement » en chemin vers la Constitution) et au Sénat (cf. Avortement dans la Constitution : un sénateur fait cavalier seul). « On a un grand texte de liberté », « on est sur du consensuel, du transpartisan » se félicite Eric Dupond-Moretti qui salue une « œuvre collective ». « En avant toute ! », « c’est maintenant ou jamais » exhorte-t-il (cf. Inscrire l’avortement dans la Constitution : une priorité en 2024 ?). Un appel immédiatement suivi d’effet. Malgré les réserves de certains sur les termes choisis, les groupes Renaissance, NUPES, Démocrate, Socialiste, Horizon, Ecologiste, GDR, Libertés et territoires ont indiqué mardi soir qu’ils voteraient le texte.

Alors que le garde des Sceaux se disait « fier et heureux » « quand la France des Lumières peut éclairer le monde entier », Xavier Breton (LR) invite toutefois les parlementaires à « un peu plus de modestie » en rappelant que la Yougoslavie a inscrit l’avortement dans sa Constitution en 1974 (cf. « Aucun État n’a inscrit un droit à l’IVG dans sa Constitution, sauf l’ex-Yougoslavie »).

La rupture de « l’équilibre de la loi Veil »

Au cours de l’examen des 110 amendements, une grande partie de la discussion a porté sur la nécessité de préserver « l’équilibre de la loi Veil ». Selon Emmanuelle Ménard (NI) « inscrire l’IVG dans la Constitution est inutile et dangereux » (cf. Constitutionnalisation de l’avortement : « On ne joue pas avec la norme constitutionnelle » [Interview Guillaume Drago].). L’article premier de la loi Veil « équilibrait les droits de la mère et ceux de l’embryon » or, poursuit-elle, « en inscrivant l’IVG dans la Constitution on supprime cet équilibre et on met fin à la liberté de conscience du personnel soignant ».

Emilie Bonnivard partage son avis comme Xavier Breton qui propose de favoriser une rédaction englobant à la fois « la liberté de la femme » mais aussi « la protection de l’enfant à naître » pour éviter une « asymétrie juridique » selon les mots de Patrick Hetzel (LR).

Garantir « une liberté de ne pas avorter »

« S’il doit y avoir une information parfaite sur la possibilité de recourir à l’IVG, il doit y avoir une information parfaite sur les possibilités de poursuivre à terme cette grossesse » soulève Fabien Di Filippo (LR). Une proposition soutenue par Xavier Breton. « Il faut une liberté de ne pas avorter » explique-t-il. Alors qu’Erwan Balanant (MoDem) déclare que le terme « volontaire » permet de ne pas s’attarder sur la question du consentement, Emmanuelle Ménard cite le cas des femmes qui subissent des pressions, notamment de la part de leur entourage, et rappelle qu’elles ont le droit de vouloir garder leur enfant (cf. La prévention de l’avortement : garantir le droit de ne pas avorter). « Parfois les femmes ont recours à l’IVG sans être éclairées », or « l’IVG n’est pas un acte anodin » pointe Emilie Bonnivard (cf. “La constitutionnalisation de l’IVG entraînerait des conséquences désastreuses”).

Xavier Breton n’hésite pas à évoquer la notion de délit d’entrave regrettant que soit « empêch[ée] une expression qui offre des alternatives et entre dans une logique d’informations libres et éclairées ». Quant à Thibault Bazin (LR), il lui semble « plus urgent de graver dans le marbre l’interdiction de l’eugénisme » (cf. Constitutionnalisation de l’avortement : le « mensonge qui tue » en « étendard »).

Les termes de la loi en débat

Les débats ont également porté sur la définition de plusieurs termes du texte, notamment celle du mot « femme » et du mot « garantie ». Pour Elsa Faucillon (NUPES), le terme « femme » pourrait « exclure des personnes ». Elle souhaite inscrire « toute personne en état de grossesse » mais sa proposition est rejetée. En ce qui concerne la « garantie », certains interrogent : est-elle relative ou absolue ? Faut-il donner des limites à l’usage de cette liberté, notamment temporelles ? « Je pense que c’est une boîte de Pandore avec laquelle tout est possible » alerte Pascale Bordes. « On va se retrouver avec un délai d’IVG permis jusqu’à l’accouchement » poursuit-elle.

Pour Patrick Hetzel, « il faut déterminer une limite liée au respect de la clause de conscience des médecins » (cf. IVG dans la Constitution : le feu vert du Conseil d’Etat). Simone Veil avait elle-même expliqué qu’aucun médecin ne serait jamais tenu de participer à l’avortement. Des propos rappelés par Emmanuelle Ménard. Philippe Gosselin (LR) alerte à son tour sur le risque que la loi revienne un jour sur la clause de conscience des médecins puisqu’il n’y aurait pas de pendant dans la Constitution. « La liberté de conscience ce n’est pas un gadget (…) ou une liberté de papier » explique-t-il (cf. IVG dans la Constitution : « l’enjeu est celui de la liberté des citoyens, et pas seulement de la femme »).

Après cette première étape, le texte doit à présent être examiné en séance publique à l’Assemblée nationale le 24 janvier, avant d’être présenté au Sénat. S’il est quasi certain que les députés adopteront le projet, les Sages leur emboiteront-ils le pas ? Un vote qui conduira le texte devant le Congrès réuni à Versailles, probablement le 5 mars, ou bien qui marquera le début de la navette parlementaire (cf. IVG dans la Constitution : Emmanuel Macron annonce un projet de loi).

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