Saisi le 3 novembre d’un projet de loi constitutionnelle relatif « à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse », le Conseil d’Etat a donné son feu vert au Gouvernement dans un avis publié le 12 décembre (cf. IVG dans la Constitution : le projet de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale le 24 janvier).
L’initiative du Gouvernement
Alors que plusieurs propositions de lois constitutionnelles ont été déposées en France après l’arrêt de la Cour suprême américaine du 24 juin 2022 (cf. Etats-Unis : la Cour suprême met fin au “droit à l’avortement” ; Avortement dans la Constitution : un sénateur fait cavalier seul ; Le « droit à l’avortement » en chemin vers la Constitution), le Gouvernement a décidé de présenter un projet de loi (cf. IVG dans la Constitution : Emmanuel Macron annonce un projet de loi). Il comporte un article unique qui modifierait l’article 34 de la Constitution en y insérant après le dix-septième alinéa, une phrase disposant que : « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme, qui lui est garantie, d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ».
Selon le Conseil d’Etat, « aucun pays n’a à ce jour inscrit l’interruption volontaire de grossesse dans un texte de valeur constitutionnelle ». Un précédent existe toutefois, indique Nicolas Bauer, chercheur à l’ECLJ (cf. « Aucun État n’a inscrit un droit à l’IVG dans sa Constitution, sauf l’ex-Yougoslavie »). En 1974, dans la Constitution de l’ex-Yougoslavie de Tito, était inséré un article indiquant que « c’est un droit de l’homme de décider librement de la naissance de ses enfants ». Il s’agit, comme l’explique Nicolas Bauer, de « la seule expérience au monde d’insertion d’un droit à l’avortement dans une Constitution ».
« Encadrer l’office du législateur »
Alors que « la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse ne fait aujourd’hui l’objet d’aucune consécration en tant que telle dans la Constitution française, dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou en droit de l’Union européenne », le Conseil d’Etat souligne que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ou de la Cour de justice de l’Union européenne renvoie à la marge d’appréciation de chaque Etat.
Pour le Gouvernement français, « le caractère réversible et limité de la protection conférée par la loi ordinaire justifie » l’inscription dans la Constitution (cf. De la loi “Veil” à la loi “Gaillot”). L’objectif serait « d’encadrer l’office du législateur afin qu’il ne puisse interdire tout recours à l’interruption volontaire de grossesse ni en restreindre les conditions d’exercice ». Le législateur aurait, quant à lui, la possibilité de faire évoluer le cadre juridique dans lequel cette « liberté » s’exercera.
Aucune autre liberté remise en cause ?
Pour le Conseil d’Etat, l’inscription de l’avortement dans la Constitution ne remet pas en cause les autres droits et libertés que la Constitution garantit, au rang desquels la liberté de conscience. Mais, pour Guillaume Drago, professeur de droit public à l’université Paris Panthéon-Assas, « les lois qui viendront “garantir cette liberté [d’avorter]”, car il y en aura, toucheront peu à peu à la clause de conscience pour finir par l’éliminer ». « L’interprétation jurisprudentielle viendra s’appuyer sur l’objet de la loi (l’IVG) qui sera la mise en application de cette “liberté” constitutionnelle », prévoit-il. « Dans un exercice de conciliation de libertés constitutionnelles, le Conseil constitutionnel fera prévaloir la “liberté” de recourir à l’IVG contre toutes les autres libertés et droits », anticipe le professeur.
Seule recommandation, « pour atteindre le double objectif recherché par le Gouvernement, d’assurer que la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse soit garantie par la Constitution et d’affirmer la compétence du législateur », le Conseil d’Etat suggère d’éviter l’incise « qui lui est garantie ». Il préconise une modification de l’article de telle sorte qu’il dispose que : « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ». Le Conseil d’Etat donne ainsi son feu vert au Gouvernement en estimant que « le choix d’inscrire les nouvelles dispositions au sein de [l’article 34] n’est pas inadéquat ».
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