De la loi “Veil” à la loi “Gaillot”

Publié le 29 Nov, 2021

La loi qui a autorisé l’avortement en France, dite « loi Veil », sert souvent de référence. Mais depuis 1975, un certain nombre d’amendements à la loi ont été adoptés qui l’ont profondément transformée. A l’heure où l’Assemblée nationale a voté la proposition de « loi Gaillot » en 2e lecture, petite rétrospective en 10 étapes clés.

17 janvier 1975 : L’Assemblée nationale adopte la loi dite Veil, du nom de la ministre qui l’a défendue après des débats houleux. L’IVG peut être pratiquée par un médecin à la demande de la femme enceinte, avant la fin de la 10e semaine de grossesse. La loi dépénalise, elle ne légalise pas. En d’autres termes, elle ne crée pas de droit à l’avortement mais une exception à la loi : l’avortement ne fait plus l’objet de poursuites, de peines tant du côté des femmes que de celui des médecins.

Pour mémoire, le premier article dispose que « la loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. Il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu’en cas de nécessité et selon les conditions définies par la présente loi ». En 1975, elle est adoptée à titre expérimental pour 5 ans.

31 décembre 1982, 7 ans plus tard, la loi n’est plus en débat. Non seulement elle n’est plus en débat mais la loi Roudy prévoit le remboursement de l’IVG par la Sécurité sociale. La solidarité nationale, c’est-à-dire les contribuables, finance désormais les IVG.

27 Janvier 1993 : Le délit d’entrave à l’IVG est créé par la loi Neiertz. Le fait de tenter d’empêcher une IVG, en perturbant l’accès aux établissements de santé ou en menaçant les femmes souhaitant avorter ou le personnel médical, est passible de deux ans de prison et 30.000 euros d’amende.

Avril 1999 : La pilule dite « du lendemain » est en vente libre dans les pharmacies, c’est-à-dire qu’il n’est plus besoin de l’intervention d’un médecin, d’une ordonnance pour l’obtenir. Elle sera délivrée gratuitement aux mineures à partir de 2002.

Ce qu’il faut savoir concernant la dose d’hormones sexuelles administrée en un jour avec la pilule du lendemain, c’est qu’elle est jusqu’à 50 fois plus élevée qu’une pilule ordinaire, qui est elle soumise à prescription pour des raisons de sécurité. Par ailleurs, il faut savoir que le produit ne prévient qu’entre 52% et 85% des grossesses attendues (EllaOne/Norvelo).

4 Juillet 2001 : Le délai légal pour avorter est allongé de 10 à 12 semaines de grossesse. Les mineures acquièrent le droit d’avorter sans autorisation parentale – elles doivent toutefois être accompagnées par un adulte référent.

17 janvier 2013 : L’IVG est remboursée à 100% pour toutes les femmes. Aujourd’hui, les examens médicaux et l’intervention elle-même sont mieux pris en charge que les frais et les examens liés à la grossesse.

A cette même date, la contraception devient gratuite pour les filles de 15 à 18 ans. La loi de financement de la sécurité sociale, votée en novembre, a étendu cette gratuité jusqu’à 25 ans.

4 août 2014 : la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes supprime la notion de détresse dans les conditions de recours à l’IVG et étend le délit d’entrave à l’IVG à l’accès à l’information sur l’IVG. Au passage, l’égalité entre les hommes et les femmes reste toute relative parce que sur la question de l’avortement, les hommes sont absolument mis de côté. Toute tentative pour s’opposer à l’avortement de celui qui est aussi leur bébé tombe sous le coup de la loi sur le délit d’entrave. Sur la question de l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, le compte n’y est pas. Ce nouvel élargissement banalise complètement l’IVG qui n’a plus besoin de motif. On est très loin de l’exception à la loi.

26 janvier 2016 : La loi de modernisation de notre système de santé portée par Marisol Touraine, à l’époque ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes supprime le délai minimal de réflexion d’une semaine. Le texte est voté sur fond de campagne « Mon corps, mon choix, mon droit » qui a été lancée l’année précédente. Très active notamment via les réseaux sociaux, elle veut informer et déculpabiliser. Preuve s’il en fallait que l’avortement n’est pas un acte banal ou anodin et qu’il ne peut s’apparenter à aucun autre acte chirurgical.

Elle permet également aux sages-femmes de pratiquer des IVG médicamenteuses et aux centres de santé de pratiquer des IVG instrumentales. Le but est de pallier la pénurie de médecins qui acceptent de pratiquer des IVG. D’ailleurs, l’acte fera l’objet d’une revalorisation financière pour être plus attractif.

20 mars 2017 : la loi étend le délit d’entrave à l’IVG. Elle punit le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur une interruption volontaire de grossesse par tout moyen, y compris par voie électronique ou en ligne.

A la même époque, en juillet 2017, au cours d’un petit-déjeuner organisé au Sénat, la sénatrice Françoise Laborde présente une étude comparative sur l’IVG dans 8 pays (cf. Analyse comparée des lois sur l’IVG : vers une prise de conscience au Sénat ?). Elle reconnait à cette occasion que les lois françaises, au coude à coude avec la Suède, sont « en pointe ». Pendant ce même petit-déjeuner, Gilbert Barbier, chirurgien et sénateur du Jura, qui a installé le premier service d’orthogénie de France en 1976, s’est dit « consterné par le nombre d’avortements ». Il a ajouté qu’il apprécierait de le voir diminuer. Pour autant, il y a un paradoxe à vouloir faire baisser les avortements tout en poussant années après années à l’élargissement des conditions d’accès.

Confinement 2020

Pour poursuivre sur l’histoire récente, avec le premier confinement, les femmes se tiennent loin de l’hôpital et on craint un Baby Boom Covid-19. Aussi en avril 2020, le gouvernement saisit la Haute autorité de santé qui choisit d’étendre l’avortement à domicile « jusqu’à la 9e semaine d’aménorrhée », jusqu’ici le délai était fixé à 7 semaines maximum. Il choisit aussi de favoriser « la téléconsultation pour la prise en charge de l’IVG médicamenteuse ». Près d’un an et demi plus tard, la mesure temporaire est toujours d’actualité et il y a peu de chances que la limite des 7 semaines soit réintroduite.

Que s’est-il passé en vrai : 222 000 avortements ont été pratiqués sur l’année 2020[1]. Un chiffre qui apparait stable par rapport aux années précédentes. C’est assez difficile à dire parce qu’il y a eu des changements dans les consignes de codages pour « limiter autant que possible l’impact de ces changements sur la chronique du nombre d’IVG sur les trois dernières années ». Peut-être y a-t-il eu moins d’IVG cette année-là ?

La part des IVG médicamenteuses a suivi la tendance des années précédentes, elle a fortement augmenté : « en 2020, ce sont 72 % des IVG qui sont réalisées de façon médicamenteuse, contre 68 % en 2019, et 31 % en 2000 ». Cependant, sur les mois de mai et juin 2020, « mais aussi dans une moindre mesure en juillet » le nombre d’avortements « réalisés en établissements de santé », diminue. Dès novembre 2020, le nombre de naissances est en baisse laissant à penser que le nombre moins important d’avortements, « particulièrement marqué en mai et juin », est lié avant tout à une baisse des conceptions. Pour le dire brutalement, on a fait moins de bébés.

Or, ce que le premier confinement a montré, c’est que « la crise sanitaire n’a pas allongé l’âge gestationnel des IVG pratiquées en milieu hospitalier, (…) ce qui suggère que le recul du nombre d’IVG n’est pas lié à des difficultés d’accès augmentant la durée des parcours ». C’est le rapport de la DREES, la direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques qui le dit. Ce qui signifie en termes simples qu’il n’est pas nécessaire d’allonger le délai pour avorter de 12 à 14 semaines. Les femmes pendant le confinement n’ont pas eu besoin d’avorter au-delà des délais légaux (cf. 222 000 avortements en 2020. Plus ou moins ?).

Pourtant, malgré l’opposition de nombreux médecins, c’est l’objet de la proposition de loi Gaillot qui a été votée le 30 novembre, à l’Assemblée nationale. Parmi ces médecins on trouve, Israël Nisand, chef du service de gynécologie-obstétrique du CHU de Strasbourg et président du Collège national des gynécologues et obstétriciens de France. Il estime que « c’est une mauvaise réponse », parce qu’à 14 semaines, l’avortement est « un geste plus dangereux que les médecins n’aiment pas faire […] parce que le fœtus devient plus grand, plus ossifié » (cf. Extension du délai légal pour avorter : Avis du CCNE, opposition du CNGOF, le texte sera discuté demain). Le Sénat a rejeté le texte en bloc lors de la première lecture en janvier dernier. Dans cette proposition de loi, on parle aussi de supprimer la clause de conscience, là encore contre des avis de bon sens de ceux qui sont auprès des femmes qui avortent, ou encore de permettre la réalisation d’IVG chirurgicales par les sages-femmes. Une disposition rejetée par les députés en 2e lecture.

Ce qui est consternant, c’est qu’à aucun moment, les gouvernements successifs ne se sont posé la question de la prévention c’est-à-dire n’ont cherché à s’attaquer aux causes actuelles : précarité économique, de logement, situations familiales, qui poussent les femmes à avorter. La seule proposition qui leur est faite c’est celle de l’IVG. Ne se pose pas non plus la question de la responsabilité sexuelle. Mais là il faut reconnaître qu’on frôle le tabou pour reprendre un mot à la mode. Dans le fond, tout est appréhendé dans une perspective très individualiste « mon corps, mon choix, mon droit », mais qui devient liberticide pour tous ceux qui remettent en question la politique du tout avortement. Pourtant avec un indicateur conjoncturel de fécondité à 1,87 enfant par femme en 2019, le renouvellement des générations n’est plus assuré. Depuis bien longtemps déjà.

[1] Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, 28 septembre 2021 – Interruptions volontaires de grossesse : une légère baisse du taux de recours en 2020

Photo : iStock

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