La France inscrit l’avortement dans sa Constitution. Et ensuite ?

Publié le 5 Mar, 2024

Quelle était l’urgence ? Quelle était la nécessité ? Depuis le vote de la loi Veil, la législation française n’a suivi qu’un chemin : celui de la suppression de tout encadrement de la dépénalisation de l’avortement en France (cf. De la loi “Veil” à la loi “Gaillot”) pour arriver à cette nouvelle « étape » : celle de l’inscription de l’IVG dans la Constitution française. Lundi 4 mars, 780 des 902 parlementaires réunis en Congrès à Versailles ont voulu graver dans le marbre la « liberté garantie » aux femmes de recourir à l’avortement [1]. Seuls 72 s’y étant opposés, la majorité requise des 3/5e a été plus que largement atteinte.

Déjà de nouvelles étapes se profilent

Il s’agit bien uniquement d’une nouvelle « étape » car, bien que le garde des Sceaux balaie d’un revers de main le risque d’une prochaine remise en cause de la clause de conscience [2], il est déjà démenti. En effet, la députée Mathilde Panot (LFI) et la sénatrice Mélanie Vogel (EELV) réclament dès à présent son abrogation, prétextant l’existence d’une « double » clause de conscience (cf. IVG : « la disparition de la clause de conscience conduirait des soignants à démissionner »). La seule disposition qui avait échappé à la proposition de loi d’Albane Gaillot, devenue depuis chargée de plaidoyer au Planning familial, n’aura connu qu’un sursis temporaire (cf. La clause de conscience : seule rescapée de la « loi Gaillot »). La question du délai autorisé pour avorter, autre sujet de revendication de l’association (cf. « Fest’IVG » : un évènement pour financer les IVG hors délai), suivra ensuite.

Et ce n’est pas tout. La députée insoumise a annoncé le dépôt d’une proposition de résolution appelant le Gouvernement à « se mobiliser diplomatiquement auprès des Etats membres de l’Union et de la Commission européenne afin que la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne garantisse le droit à l’avortement »[3]. Une intention déjà manifestée par Emmanuel Macron (cf. Intégrer le droit à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE ? ; L’avortement dans la Charte des droits fondamentaux : une simple déclaration symbolique ?).

Un concert unanime

A Versailles, toutes les voix se sont unies dans la grandiloquence pour se réjouir d’un moment « historique ». Après l’introduction par la Présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, le Premier ministre Gabriel Attal s’est enflammé : « Aujourd’hui la France est pionnière », « aujourd’hui nous pouvons changer le cours de l’histoire », inscrivant ce moment dans « la longue marche du progrès que la France a entamée dès 1789 ». « La France est fidèle à son héritage » estime le Premier ministre, « patrie des droits de l’homme et aussi et surtout les droits de la femme ».

« Notre vote est une promesse faite à l’avenir, une protection que nous devons à la moitié de l’humanité » abonde Mathilde Panot quand la députée Elsa Faucillon (Groupe de la Gauche démocrate et républicaine – NUPES) estime qu’il s’agit d’une « manière de se prémunir des politiques natalistes » (cf. Contre l’infertilité et une natalité en berne, un « réarmement démographique » ?).

« La constitutionnalisation, ce n’est pas une panthéonisation », interpelle quant à elle la députée Marie-Noëlle Battistel (Groupe Socialistes et apparentés). « Il faut rendre le droit effectif », « ce vote nous engage » (cf. IVG : les sages-femmes demandent la réécriture du décret, l’Exécutif obtempère).

L’« icône » Simone Veil

Après être arrivé sur le lieu du Congrès en compagnie du fils de Simone Veil, Gabriel Attal invoquera « une deuxième victoire pour Simone Veil » (cf. Pour Simone Veil, l’avortement n’a jamais été un “droit”). Il n’est pas le seul à vouloir faire parler les morts.

Quand la députée RN Hélène Laporte rappelle que la loi Veil commence par affirmer que « la loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de sa vie », Olivier Marleix (LR) s’accroche à son prétendu « équilibre », s’inquiétant de la future protection de l’enfant à naître. Le sénateur François-Noël Buffet (LR) veut, lui, rassurer : « le texte innove en proposant la notion de “liberté garantie” », il « vise la protection de la loi Veil et non son extension. Le terme de “garantie” n’est là que pour guider le législateur ». Mais est-ce bien tout ?

Alors que plusieurs centaines de personnes manifestent contre la constitutionnalisation de l’avortement à Versailles, la sénatrice Laurence Rossignol (Groupe Socialiste, Écologiste et Républicain) interpelle : « aujourd’hui on dit aux anti IVG d’arrêter de s’agiter ». En serait-il fini de la liberté d’expression ? (cf. « Dans un pays libre comme le nôtre, on doit pouvoir discuter pour savoir si l’embryon est ou non une personne humaine »)

La constitutionnalisation « crée une confusion entre le délit d’entrave et la liberté d’expression » dénonce la Fondation Jérôme Lejeune dans un communiqué. « Sera-t-il encore permis à une mère d’exprimer sa souffrance à la suite d’un avortement ? (cf. IVG : une femme témoigne « ce n’était pas “mon choix”, mais “ma peur” ») Au père de plaider pour garder son enfant ? (cf. Pierre-Jean Chalençon revient sur l’IVG de sa compagne : “Je le regrette tous les jours”) Sera-t-il encore permis de parler des conséquences de l’avortement sur la santé mentale, ou de promouvoir les solutions alternatives qui existent ? » Pour son président, Jean-Marie Le Méné, présent parmi les manifestants, il s’agit de « constitutionnaliser le mensonge pour qu’on ne puisse plus dire ni penser la vérité de cet acte ». « Les violences faites aux femmes finiront par élargir leur champ d’application à l’avortement, prédit-il. Combien ont été contraintes de faire cet acte et par qui ? Combien ont donné un consentement ? Ce consentement était-il vraiment libre et éclairé ? »

La multiplication des réactions

Le vote français a suscité des réactions partout à travers le monde, jusqu’au chef de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : « Nous saluons la décision de la France de garantir les droits des femmes et de leur sauver la vie », a posté Tedros Adhanom Ghebreyesus sur X, estimant que « l’avortement sans risque fait partie des soins de santé » (cf. OMS : près de 8 millions de dollars consacrés à l’« avortement sans risque » en 2022-2023)[4].

A l’inverse, l’Académie pontificale pour la Vie a lancé « un appel à tous les gouvernements et à toutes les traditions religieuses pour qu’ils fassent de leur mieux afin que, dans cette phase de l’histoire, la protection de la vie devienne une priorité absolue ». « Les situations de vie particulières et les contextes difficiles et dramatiques de notre époque doivent être traités en se fondant sur un droit qui vise avant tout à protéger les plus faibles et les plus vulnérables » plaide l’Académie.

L’avortement, point culminant des droits des femmes ?

Lors du Congrès, des parlementaires, comme la député EELV Sandrine Rousseau, avaient choisi de porter des vestes blanches, « la couleur des sufragettes », « pour saluer les militantes qui se battaient pour le droit de vote des femmes ». Voter et avorter, même combat ?

Pour ancrer le symbole, le président de la République Emmanuel Macron, a annoncé que « la première cérémonie de scellement de notre histoire ouverte au public » aurait lieu vendredi 8 mars, « journée internationale des droits des femmes ». Il est des calendriers qu’il est impératif de respecter (cf. La loi « grand âge et autonomie » reportée ; « L’enjeu n’est même plus de développer les soins palliatifs. Il s’agit d’éviter leur écroulement »).

Complément du 11/03/2024 : La loi a été promulguée par le président de la République. Elle est parue au Journal officiel du 9 mars 2024.

 

[1] La Constitution dispose désormais que « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse », à l’article 34 de la norme suprême.

[2] « Le médecin qui ne voudra pas (pratiquer une IVG) aura évidemment le droit et la liberté de ne pas vouloir. On ne va pas violer les consciences. Et ça, c’est d’ores et déjà garanti par le Constitution », a affirmé le garde des Sceaux sur Radio J. (Source : AFP (04/03/2024))

[3] Source AFP (04/03/2024)

[4] Source : AFP (04/03/2023)

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