IVG : une femme témoigne « ce n’était pas “mon choix”, mais “ma peur”»

Publié le 1 Mar, 2024

Le 28 février, le Sénat a adopté le projet de loi visant à inscrire dans la Constitution « la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une IVG » (cf. IVG dans la Constitution : le vote téléguidé des sénateurs ). Le texte va désormais être présenté au Congrès le 4 mars. Il faudra une majorité de trois cinquièmes des suffrages exprimés pour que le texte soit ajouté à la Constitution.

Au cours des débats, aucun parti politique ou parlementaire n’a abordé « le sort des enfants à naître, les causes et les circonstances sociales de l’IVG, ainsi que les conséquences de l’avortement sur les femmes elles-mêmes » dénonce le Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ) (cf. « Deuil caché » : « une réhabilitation de la souffrance » des femmes qui ont avorté). Dans ce contexte, l’organisation non-gouvernementale (ONG) spécialisée dans les droits de l’homme a décidé de lancer une initiative afin de permettre à douze femmes de témoigner de l’avortement qu’elles ont vécu. Le but : faire émerger les « angles morts » du débat.

Sous prétexte de liberté, une orientation automatique

« De nombreuses femmes souhaitent être entendues, réellement accompagnées et aidées dans cette période difficile d’un début de grossesse imprévue, lorsqu’elles se demandent “Que faire ?” » souligne l’ONG qui reçoit de nombreux témoignages. Parmi eux, celui de S., 44 ans et déjà mère de 3 enfants, qui a avorté à Limoges après avoir consulté l’espace Choisir, le centre d’IVG et de planning familial du CHU.

Elle a écrit une « lettre ouverte » à l’attention du personnel de l’hôpital « de la Mère et de l’Enfant » de Limoges, et plus particulièrement des professionnels du groupe Choisir. Elle y révèle combien l’orientation automatique, et presque forcée, vers l’avortement a été pour elle cause de souffrance, avant comme après cet acte. La « liberté » mise en avant par le projet de loi adopté au Sénat est bien loin de ce qu’elle a vécu (cf. IVG dans la Constitution : une « liberté » ne peut pas être subie).

Sa lettre est reproduite dans les lignes qui suivent.

« Lettre ouverte » au planning familial 

« “Choisir”, quel nom pour un centre d’IVG ! Comme si on vous laissait vraiment choisir, car pour avoir le choix, il faut voir se dessiner plusieurs alternatives possibles. Or, quand on se présente à votre service, c’est qu’on a l’impression de ne pas avoir d’autre solution.

Si vous voulez vous targuer du titre de « choisir », il faudrait donc aider les femmes à faire le point sur leur situation afin qu’elles voient se profiler devant elles plusieurs chemins, et non un seul.

C’est justement là que pèche votre service : il ne m’a pas aidée à choisir, je n’ai pas été orientée vers une psychologue, on ne m’a pas proposé d’entretien psycho-social alors que j’étais dans une situation de peur et de détresse. Il est regrettable qu’un entretien avec un psychologue ne m’ait été proposé qu’un mois après la procédure, quand j’ai avoué à la gynécologue que je n’étais pas bien et que je regrettais ma décision.

Pourquoi ne pas l’avoir fait à mon premier entretien, alors que je présentais les signes cliniques d’une personne en détresse ?

« Quand je me suis rendu compte que j’étais enceinte, j’ai paniqué »

J’ai simplement rencontré une sage-femme, au sourire triste, qui m’a répété à plusieurs reprises : « c’est votre choix » (à tel point que je me suis demandé si elle n’avait pas peur que je la dénonce aux féministes si elle ne le faisait pas). Elle avait tort, ce n’était pas « mon choix » de venir la voir, mais « ma peur ».

Quand je me suis rendu compte que j’étais enceinte, j’ai paniqué et la peur a brouillé mes pensées et mes émotions. L’IVG est présentée en France comme une solution, un droit des femmes, une conquête même. C’est à mille lieux de la réalité que j’ai vécue, et que beaucoup d’autres ont vécue.

« On ne m’a pas parlé de “l’après” »

Personne ne parle des conséquences psychologiques de l’acte sur la femme, déjà mère par le simple fait d’être enceinte. Personne, et surtout pas le service Choisir ne m’a avertie qu’il y avait un pourcentage très important de femmes qui subissaient des séquelles psychologiques graves (envie de mourir, comportements à risques) suite à une IVG.

Pourquoi ? N’est-ce pas en exposant la réalité à un individu qu’on lui permet de choisir en toute conscience ?

N’est-ce pas le rôle des professionnels de santé d’informer les patients des conséquences physiologiques et psychologiques de la procédure qu’on leur propose, et des alternatives ? D’où vient un manquement aussi élémentaire ? On ne m’a pas parlé de “l’après”, tout était centré sur un présent vécu dans la panique, et la logistique de l’IVG.

« Agir vite » 

C’était en avril 2018. La sage-femme que j’ai rencontrée m’a demandé si j’avais besoin d’en parler. J’avais besoin de parler, elle m’a donc reçue dans son bureau. Et si j’avais dit non, aurais-je évité la consultation ? Je suis arrivée paniquée. Je n’avais pas non plus été rassurée par une généraliste qui m’avait dit qu’il fallait « agir vite ». Cela a renforcé mon état de panique par rapport aux dates limites pour effectuer la procédure. C’est ce qui remplissait mon esprit depuis plusieurs jours, surtout que j’avais peur d’une intervention chirurgicale, et pensais que la méthode médicamenteuse était préférable.

La sage-femme n’a pas fait le point avec moi sur les dates limites. Elle m’a demandé si je ne voulais plus d’enfants (j’en ai trois), je lui ai répondu : « non, ce n’est pas ça, mais cela va être difficile financièrement et professionnellement ; en plus mon mari n’est pas bien en ce moment ». Elle n’a pas essayé de creuser mes raisons, ne m’a pas posé de questions sur ces points. Je lui ai aussi dit que je pensais être trop vieille (44 ans). Elle m’a seulement répondu « pourtant, vous avez réussi à tomber enceinte ».

Elle aurait pu me dire que je paraissais en forme, que de nombreuses femmes de mon âge avaient de beaux bébés, non, rien de plus. Je lui ai aussi dit que j’avais peur d’avoir un enfant trisomique. A cela, elle m’a répondu « on pourra vous faire une IMG ». Pensait-elle vraiment me rassurer en me disant cela ? Elle ne m’a pas rassurée quant à la possibilité d’avoir un enfant « normal » et dans mon état, cela n’a fait que conforter ma peur panique.

« Pas préparée à ce que j’allais en fait voir et qui m’a traumatisée »

La sage-femme m’a demandé quelle méthode je préférais. Je ne savais pas bien, je lui ai dit : « a priori la méthode médicamenteuse car c’est moins invasif ». Cela me semblait une évidence, mais elle a insisté en me disant : « c’est vous qui choisissez ». Je n’ai pas compris à quoi elle faisait allusion, pourquoi elle insistait. Elle m’a dit qu’il était possible qu’en prenant le médicament, j’expulse chez moi.

Je verrais alors une « boule cotonneuse », ce serait le signe que j’ai « expulsé ». Elle ne m’a pas dit, pas préparée à ce que j’allais en fait voir et qui m’a traumatisée.

« Aucun outil pour réfléchir »

Elle a donc entendu le mot peur plusieurs fois, elle a vu l’anxiété sur mon visage. Je ne lui ai pas dit que je ne voulais pas d’enfant, juste que j’avais peur. Elle n’a pas fait le travail qu’une psychologue aurait dû faire : dégonfler les angoisses en les analysant, aller au fond des choses. Car pour prendre une décision importante dans la vie, quelle qu’elle soit, il est important de prendre du recul.

Elle n’a pas fait le point avec moi sur les dates limites, elle ne m’a pas dit que j’avais encore le temps de réfléchir. Elle ne m’a pas proposé de rencontrer quelqu’un d’autre. Elle ne m’a donné aucun outil pour réfléchir, « choisir ».

Elle m’a seulement tendu la carte d’une gynécologue, probablement pour m’assurer une contraception fiable par la suite.

Pourquoi ne m’a-t-elle pas tendu une liste de sites internet ou de numéros d’écoute téléphonique qui peuvent prendre le relais quand le personnel hospitalier n’est pas formé pour cela ? Votre service ne veut-il pas aider les femmes ?

« Solitude face à ce choix »

Recevoir une liste de gens véritablement à l’écoute aurait pu m’aider, aurait pu aider mon mari.

Car c’est là l’élément déterminant qui a manqué : la place laissée à l’homme. Quand le père n’est pas loin, pourquoi ne pas le faire venir pour en parler avec lui ? Est-ce parce que la loi veut faire peser toute la responsabilité sur la femme ? La responsabilité de l’homme a pourtant été engagée aussi, c’est son enfant à lui aussi. Pourquoi votre service ne permet-il pas une véritable réflexion à deux ? La femme se sentirait soutenue. Elle se sentirait moins seule. Pourquoi ne pas proposer un entretien au père aussi ? En effet, j’ai ressenti énormément de solitude face à ce « choix », c’est-à-dire face à mes peurs.

La gynécologue qui m’a examinée ensuite n’a pas non plus fait le point sur les dates. Elle a insisté sur la contraception, a parlé des différentes méthodes, m’a proposé la pose d’un stérilet lors de ma prochaine visite, et a confirmé mes impressions quant au caractère moins « invasif » de la méthode médicamenteuse, sans s’étendre. J’ai donc programmé l’IVG pour « la première date possible ».

« Comme si j’allais à l’abattoir »

Quand je suis partie de chez moi un samedi matin, c’était comme si j’allais à l’abattoir. J’étais totalement incapable d’écouter mes propres signaux de détresse. J’avais besoin d’aide, j’avais eu besoin d’aide, mais étais restée isolée dans mon angoisse.

Je me suis rendue au service où j’ai pris le premier cachet. La jeune infirmière m’avait demandé si j’étais sûre de ma décision. Je lui ai dit oui, alors que je pensais non, j’ai voulu lui demander combien de temps j’avais encore, mais je ne l’ai pas fait, je me suis sentie emprisonnée dans un processus qui avait été lancé. Elle m’a fait signer un papier disant qu’au cas où on changeait d’avis, l’hôpital ne pourrait être tenu pour responsable des séquelles éventuelles du bébé causées par l’absorption du cachet. En effet, j’ai pensé revenir sur mes pas pendant le week-end, et puis j’ai pensé au papier qui parlait des séquelles.

« J’ai réalisé que j’avais tué leur frère »

Le lundi après-midi, je me suis rendue au 3° étage. On m’a donné une chambre, une infirmière y a déposé un cachet à mettre dans le vagin, avec l’instruction de ne pas rester dans la chambre, d’aller marcher. Il y avait un deuxième cachet sur la tablette, à prendre par voie orale, au cas où le premier ne serait pas suffisant.

J’ai donc été marcher, pendant longtemps, il ne se passait rien. Alors j’ai avalé le deuxième. Il était près de 17h je crois quand une infirmière m’a dit qu’il allait falloir que je parte. Je commençais à me sentir très mal, je lui ai dit que je pensais qu’il se passait quelque chose. En effet, j’ai « expulsé » dans la cuvette, et là j’ai été prise d’horreur, car c’est mon bébé que j’ai vu. J’ai « vu » aussi mes 3 autres enfants regardant dans la cuvette par-dessus mon épaule, et là j’ai réalisé que j’avais tué leur frère.

J’étais très mal, physiquement et psychologiquement. Une infirmière est venue et m’a demandé sur un ton méprisant : « vous avez expulsé Madame ? » J’ai répondu : « oui, je crois ». Elle m’a alors dit qu’il fallait que je parte car on ne pouvait plus me garder. J’étais sous le choc, et ses mots n’ont fait que mettre du sel sur ma plaie. Elle m’a fait me sentir comme une traînée qui devait déguerpir. J’ai répondu que dans l’état où j’étais, je ne pouvais pas. Je me suis assise pendant un moment avant de partir. Sentir le mépris de l’infirmière dans l’état de souffrance et de culpabilité où j’étais m’a fait beaucoup de mal.

« Comment vivre quand on a tué son enfant ? »

J’ai payé cher ma décision précipitée, j’ai haï mon esprit aveuglé et apeuré, j’ai perdu goût à la vie. J’ai beaucoup de colère envers le système tel qu’il est, et envers le service Choisir de l’hôpital de Limoges pour ses manquements et son manque d’aide et d’empathie. Pendant de longs mois, j’ai lutté pour ne pas me laisser aller. La flamme de vie en moi était presque éteinte. J’ai eu du mal à remonter la pente. Comment vivre quand on a tué son enfant ?

J’aimerais que mon témoignage évite à d’autres femmes de vivre ce que j’ai vécu et qu’il sauve des bébés qui, même s’ils ne sont pas désirés, ne méritent pas de disparaître précipitamment dans la peur. J’aimerais vous faire comprendre que votre service n’aide pas à « choisir », il ne fait qu’offrir une seule et unique « solution », terrible, à des peurs et des angoisses que vous ne savez apparemment pas prendre en charge.

« L’hôpital n’a pas su respecter le serment d’Hippocrate »

Le rôle d’un médecin est « avant toute chose, ne pas nuire ». Il me semble que l’hôpital n’a pas su respecter le serment d’Hippocrate envers moi et mon petit enfant disparu. Votre service connaît certainement les conséquences terribles d’une IVG sur les femmes, mais il les tait à toutes celles qui viennent.

« Con-sœurs », qui avez peur et qui croyez que l’IVG est une « solution » à vos problèmes matériels, familiaux, psychologiques, ne pensez pas que l’IVG résoudra ces problèmes, au contraire, elle les aggravera.

Allez chercher la solution à ces problèmes chez les psychologues, les travailleurs sociaux, les amis, les bénévoles, les églises, les médecins, … mais pas au centre Choisir.

(..) Si le personnel de Choisir n’a pas pu m’aider, d’autres auraient pu. »

 

Une réponse officielle a été apportée par le CHU de Limoges à cette lettre.

Ce témoignage a initialement été publié sur le site de l’ECLJ. Il est reproduit ici avec l’autorisation de l’ONG.

photo : iStock

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