Les députés approuvent le projet de loi visant à constitutionnaliser l’IVG

Publié le 25 Jan, 2024

C’est par une citation du roman L’Evénement d’Annie Ernaux que le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, a choisi d’ouvrir l’examen du projet de loi visant à inscrire dans la Constitution « la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse » (cf. IVG : « le Gouvernement ne sait pas ce qu’est une liberté, et ce qui la distingue d’un droit »). Il s’agit du récit d’un avortement clandestin en 1964. Le ministre évoque « toutes ces femmes qui ont vécu dans leur chair l’interdiction de l’avortement » et proclame qu’« il n’y a pas de démocratie digne de ce nom lorsque la moitié de sa population ne peut s’émanciper ». Le ton est donné : corde sensible et grandiloquence.

Un débat idéologique déconnecté de la réalité actuelle

Après le ministre de la Justice, Aurore Bergé, ministre chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les Discriminations, Guillaume Gouffier Valente, député Renaissance et rapporteur du projet de loi, Sacha Houlié (Renaissance), président de la commission des lois, et Véronique Riotton (Renaissance), présidente de la délégation au droit des femmes, prendront la parole. Tous parlent avec « émotion » d’un moment « historique », citant à l’envi Simone Veil, Gisèle Halimi ou Simone de Beauvoir, évoquant et invoquant « nos mères », « nos grands-mères », « nos filles », « nos petites-filles », multipliant des témoignages personnels. Face à l’enthousiasme de ces derniers, la députée Pascale Bordes (RN) dénote au perchoir : « en plus d’être inutile et inapproprié, ce texte est un artifice qui ne permet même pas de résoudre la question de l’accès à l’avortement. C’est une opération de communication pour masquer l’insondable état de notre système de santé ».

Les femmes qui souffrent d’avoir avorté ne sont, elles, pas évoquées, ni celles pour qui cela n’a pas été véritablement un « choix ». Pourtant, la réalité des femmes qui ont avorté sous la pression, notamment en raison de motifs économiques, affleure. Y compris dans les propos de ceux qui entendent inscrire l’IVG dans la Constitution. Ainsi, Marie-Charlotte Garin (EELV) évoque des avortements « parce que la vie est trop chère, trop dure pour construire une famille », des femmes enceintes qui « ne le veulent pas, ne le peuvent pas »[1].

Des femmes avortent parfois aussi sous la pression de leur conjoint, de leur famille. Aux députés qui proposent de s’assurer que le consentement de la femme est libre, le rapporteur répond que le « V » de IVG garantit que l’acte est bien « volontaire ». Le garde des Sceaux précise que ces pressions sont sanctionnées par le Code pénal. On lui demande des chiffres : combien de plaintes déposées ? de poursuites pénales engagées ? Le rapporteur promet de se renseigner.

L’IVG menacée en France ou la démocratie ?

Autre argument invoqué par les promoteurs du projet de loi : les choix législatifs internationaux. L’annulation de l’arrêt Roe vs. Wade est dans toutes les bouches, comme l’encadrement de l’avortement en Hongrie, en Pologne, en Italie, ou au Portugal.

A cette occasion, ils s’offusquent que certains Etats imposent aux femmes souhaitant avorter d’écouter les battements du cœur « du bébé », « de l’enfant »[2]. Guillaume Gouffier Valente regrettera l’usage dans le débat l’usage du terme « vie à naître ».

Pour les promoteurs de la constitutionnalisation de l’IVG, il existerait un risque en France. Les « anti-choix », « pro-vie » ou « anti-droits » représentent à leurs yeux une menace (cf. Avortement, fin de vie : des projets de lois « hors sujet et hors sol »). Véronique Riotton va jusqu’à dire qu’ils sont aussi dans l’hémicycle : « Expliquez aux Français que votre volonté c’est de créer un droit à la vie à naître. Quel choc en lisant vos amendements. Vous incarnez cette menace. Vous êtes la preuve qu’il faut constitutionnaliser l’IVG ». Le débat dérive alors sur une obstruction parlementaire qui serait menée par la petite dizaine de députés présents et auteurs des amendements. Emilie Bonnivard (LR) rétorque : « je ne peux entendre qu’il y ait des collègues qui disent que 100 amendements c’est une honte, [que c’est de l’obstruction], alors qu’on parle d’une modification de la Constitution ». Ce sont Marc Le Fur, Anne-Laure Blin, Patrick Hetzel, Xavier Breton, Philippe Gosselin (LR), Emmanuelle Ménard (NI), 6 députés présents jusqu’au bout, qui ont permis de préserver le débat.

Une évolution inéluctable ?

Les évolutions récentes ont toujours été dans le même sens : suppression du délai de réflexion, allongement du délai légal, remboursement intégral, autorisation pour les sages-femmes de pratiquer des IVG instrumentales, instauration d’un délit d’entrave (cf. De la loi “Veil” à la loi “Gaillot”). Seule la clause de conscience spécifique à l’IVG reste en vigueur. Elle semble représenter un problème pour plusieurs députés qui évoquent une « double clause de conscience ». Pourra-t-elle demeurer si l’avortement devient une « liberté » garantie ?

Emmanuelle Ménard (NI) rappelle que la clause de conscience spécifique à l’IVG a été créée par la loi Veil, et qu’elle est de valeur législative, contrairement à la clause générale qui est de valeur règlementaire et prévoit des exceptions. La députée évoque les débats passés où « toute la gauche réunie » entendait l’abolir. Serait-elle finalement hors d’atteinte ? Anne-Laure Blin (LR) n’aura cessé de soulever cette préoccupation, sans obtenir de réponses de la part du Gouvernement.

Xavier Breton (LR) prévient aussi : la constitutionnalisation de l’avortement est un pas vers l’allongement, puis la suppression des délais, et de la clause de conscience. Le député interroge le Gouvernement et la majorité : sont-ils, comme le planning familial, favorables à la suppression complète de tout délai pour avorter ? (cf. « Fest’IVG » : un évènement pour financer les IVG hors délai). Malgré une question maintes fois renouvelée, il n’obtient pas de réponse. « Vous êtes les larbins du planning familial » s’indigne-t-il.

Animés par cette crainte, différents députés ont déposé des amendements de suppression de l’article unique du projet de loi. Tous sont rejetés, par 198 voix contre 27, et 5 abstentions [3].

Une remise en cause de la loi Veil ?

De nombreux députés se complaisent à citer Simone Veil, qui aurait ouvert la voie. Pourtant, elle affirmait que « l’avortement est toujours un drame ». « Je ne suis pas de ceux, de celles qui redoutent l’avenir », a-t-elle aussi déclaré, comme le rappelle le garde des Sceaux.

Eric Dupond-Moretti, loin de la logique du « moindre mal », se dit inquiet et réclame une protection « suffisamment souple » pour que « le législateur puisse continuer son œuvre ». Même s’« il ne s’agit pas de consacrer un droit absolu, sans limite », veut-il rassurer. Pourtant, Aurore Bergé annonce déjà : « ce texte n’est pas un point final, c’est un moment de la République pour mettre à l’abri une liberté précieuse avant de reprendre la marche ».

Le groupe Les Républicains appelle quant à lui à préserver « l’équilibre de la loi Veil »[4]. Olivier Marleix, président du groupe et présent à un moment du débat, confortera cette démarche. Philippe Gosselin explique l’importance de « la conciliation avec l’article 16 du code civil qui fonde la dignité de la personne humaine et mérite d’avoir un rang constitutionnel ». Mais les amendements visant à inscrire la « protection de la vie à naître » dans la Constitution seront tous rejetés. Patrick Hetzel interroge le Gouvernement : « Si vous assurez que l‘équilibre est maintenu, pourquoi refusez-vous ces amendements ? »

Constitutionnaliser une pensée woke ?

Des députés à la gauche de l’hémicycle profitent de ce débat pour aller toujours plus loin, manifestant explicitement le fond de leur pensée. Ainsi, certains demandent le remplacement du terme de femme par « personne en situation de grossesse », pour y intégrer aussi les personnes transgenres. Le garde des Sceaux lui aussi conforte cette pensée, puisqu’il a précisé dans son propos préliminaire que cette liberté garantie ne serait pas conditionnée par l’état civil de la personne.

Autre demande : que soit ajouté un « droit à la contraception » au « droit à l’avortement », comme un corollaire indispensable. « Quand on a défendu l’avortement, c’était pour éviter les complications médicales des avortements clandestins, mais on se disait aussi que la contraception allait se développer et qu’il y aurait une prévention plutôt qu’un acte qui n’est jamais simple, pour la personne qui le subit comme pour celui qui le réalise, remarquait le Pr Frydman dans un entretien récent [5]. Je n’arrive pas à m’expliquer pourquoi ça n’a pas eu lieu ». Car la contraception n’évite pas les avortements. Au contraire, elle entretient une même logique (cf. La contraception réduit le nombre d’avortements ? Réponse d’experts).

Finalement, tous ces amendements sont retirés. Mathilde Panot (LFI) appelle en effet à privilégier le compromis pour assurer l’inscription de l’avortement dans la Constitution, leur principal objectif.

L’avortement, une priorité ? Et l’eugénisme ?

« Est-ce là le meilleur usage de notre temps législatif ? » interroge Véronique Besse (NI), invitant à « transmettre aux futures générations l’idéal de la vie, pas celui de la mort ».

Les discussions auront été agitées. Et parfois teintées de manichéisme. En effet, la description d’un avortement à 14 semaines de grossesse évoquée par Marc Le Fur, reprenant les propos du gynécologue Israël Nisand, a suscité la réprobation de divers députés, quand les différentes manières de provoquer des avortements clandestins n’a pas soulevé d’indignation.

Patrick Hetzel soulèvera aussi le risque de l’eugénisme et la nécessité d’inscrire sa prohibition dans la Constitution [6]. Marc Le Fur y consacrera son amendement final, soutenu par Emilie Bonnivard, pourtant favorable à l’inscription à l’IVG dans la Constitution. Le député a voulu souligner le sort réservé aux personnes porteuses de trisomie « qui hélas disparaissent du fait de l’avortement alors qu’elles sont capables d’avoir une vie et de donner de l’amour autour d’elles ». Sa collègue réaffirme que « la diversité humaine fait notre richesse ».

Au terme de huit heures de discussions, animées de « slogans » opposés à des « arguments » comme le déplore Marc Le Fur, les quelques députés présents ont approuvé le projet de loi visant à inscrire l’avortement dans la Constitution, par 99 voix contre 13 et 2 abstentions [7]. Aucun amendement n’aura été retenu. Le vote solennel de l’ensemble du projet de loi interviendra mardi prochain, avant que le texte ne soit transmis au Sénat dont le président a fait part de sérieuses réticences (cf. IVG dans la Constitution : le Sénat, un « caillou » dans l’engrenage du projet de loi ?). La chambre haute avait voté une proposition de loi (cf. Avortement dans la Constitution : un sénateur fait cavalier seul), qu’en sera-t-il du projet du Gouvernement ? Réponse fin février [8].

 

[1] De même, Eric Dupond-Moretti indique que des femmes qui parfois voulaient un enfant ne le veulent plus à cause des « circonstances de la vie ».

[2] La première terminologie a été utilisée par Guillaume Gouffier Valente (Renaissance), la seconde par Louise Morel (Mouvement démocrate)

[3] Le scrutin public est disponible en ligne.

[4] Article 1 de la loi Veil : « La loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. Il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu’en cas de nécessité et selon les conditions définies par la présente loi ; L’enseignement de ce principe et de ses conséquences, l’information sur les problèmes de la vie et de la démographie nationale et internationale, l’éducation à la responsabilité, l’accueil de l’enfant dans la société et la politique familiale sont des obligations nationales. L’Etat, avec le concours des collectivités territoriales, exécute ces obligations et soutient les initiatives qui y contribuent. »

[5] Le Figaro, Professeur René Frydman: «La GPA est une aberration biologique, sociale, psychologique» (18/01/2024)

[6] Patrick Hetzel explique que lors de la saisine du Conseil constitutionnel au sujet de la loi de bioéthique, le Conseil avait estimé que le sujet de l’eugénisme relevait du Constituant (cf. Loi de bioéthique : « Les juges constitutionnels ne veulent pas jouer leur rôle »)

[7] Le scrutin public est accessible en ligne.

[8] L’examen par le Sénat devrait avoir lieu le 28 février pour respecter le délai de 4 semaines après le vote des députés.

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