Avis du CCNE : en marche vers “l’aide active à mourir” ?

Le Comité consultatif national d’éthique a rendu public son avis n°139 intitulé « Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité »[1]. Voté en comité plénier le 30 juin 2022 après une auto-saisine un an auparavant, il ne fait toutefois pas l’unanimité au sein de ses membres.

Les soins palliatifs et l’« aide active à mourir » mis sur un même plan #

Dans son avis, le Comité fait deux recommandations majeures : renforcer les mesures de santé publique dans le domaine des soins palliatifs et poser les bases d’« une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir [2] ». Le CCNE recommande également la mise en place d’un débat national, en précisant le rôle des différentes instances. Il donne ainsi un appui à la promesse d’une convention citoyenne du candidat Emmanuel Macron qui devrait voir le jour dès le mois d’octobre, pour une durée de six mois (cf. « Convention citoyenne » sur la fin de vie : une consultation en trompe l’œil ?).

Ainsi, le CCNE semble mettre sur un même plan euthanasie et soins palliatifs, reprenant par-là la rhétorique des associations militantes, et étant sourd aux alertes maintes fois réitérées par les soignants (cf. Claire Fourcade : « Je suis médecin, la mort n’est pas mon métier »). Pourtant l’antagonisme est fondamental. Le « modèle belge » l’a montré : l’autorisation de l’euthanasie a pris le pas sur la mise en place d’une politique ambitieuse en matière de soins palliatifs (cf. Claire Fourcade : « Le débat public doit se fonder sur des données fiables et dénuées de toute instrumentalisation »)

En matière d’« aide active à mourir », le Comité veut poser un « cadre ». Seraient concernées « les personnes majeures atteintes de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances physiques ou psychiques réfractaires, dont le pronostic vital est engagé à moyen terme [3] ». Souffrances physiques et psychiques sont déjà au menu, sans omettre les personnes handicapées : « Laisser en dehors du champ de la loi ceux qui ne sont physiquement plus aptes à un tel geste soulèverait un problème d’égalité des citoyens qui constitue en lui-même une difficulté éthique majeure », estime le CCNE.

Une suite déjà jalonnée ? #

Mais ce ne serait qu’un début. Ainsi l’avis recommande d’évaluer la loi « dans un délai maximum de cinq ans après sa mise en œuvre ». Et de la « réévaluer ultérieurement ». Le CCNE ne s’en cache pas, ce n’est que le commencement. Certaines « questions complexes » n’ont pas été traitées dans cet avis, telles que « l’aide active à mourir lorsqu’elle est demandée par une personne mineure ou par une personne souffrant de troubles psychiques ou cognitifs altérant mais n’empêchant pas sa capacité à exprimer son avis » (cf. Euthanasie : la Belgique, un « modèle » ?).

Il soulève également le cas des « personnes dans l’incapacité d’exprimer leur volonté, dépendantes de traitements qui les maintiennent en vie ». « Lorsque l’arrêt de ces traitements est décidé au titre d’une obstination déraisonnable et au terme d’une procédure collégiale, il arrive que le décès, attendu, ne survienne pas dans un délai légal correspondant à la notion de court terme et que la personne présente des signes d’inconfort voire de souffrance, réfractaires aux traitements mis en œuvre. » Autrement dit, on ne meurt parfois pas assez vite, notamment lorsqu’une sédation continue maintenue jusqu’au décès est mise en place, accompagnée d’un arrêt de l’alimentation et de l’hydratation (cf. Vincent Lambert : « C’est aussi la loi française qui sera jugée, en ce qu’elle permet l’euthanasie déguisée des personnes handicapées »).

Un sujet loin de faire consensus, même au sein du CCNE #

Mais alors que la société serait prête, que des sondages s’en feraient l’écho, le constat est clair : le sujet ne fait pas consensus (cf. Euthanasie : « ne pas se laisser enfermer dans le piège du choix truqué entre mourir ou souffrir »). Même au sein du CCNE. En effet, huit de ses membres[4] ont fait ajouter une « réserve » à cet avis. Partageant le constat, ils diffèrent sur la réponse. Selon eux, aucune « évolution législative » n’est pas envisageable sans avoir, d’abord, mis en œuvre « un accès aux soins palliatifs et un accompagnement global et humain pour toute personne en fin de vie ». Et analysé précisément les demandes d’« aide active à mourir ».

Car le risque est grand. Et il implique toute la société. « Nous nous inquiétons d’une revendication d’autonomie du sujet qui tendrait à dénier que cette évolution, à la jonction de l’intime et du collectif, ne nous concerne pas seulement en tant qu’individu mais en tant que parties d’un corps social et interroge plus largement le rapport de ce corps à la mort et à la vie », expliquent-ils. « Quel message enverrait une telle évolution législative aux personnes gravement malades, handicapées ou âgées ? », interrogent-ils, pointant le risque de susciter « une forme de culpabilité, voire un complexe de vivre chez des personnes souffrant déjà d’une exclusion sociale » (cf. Euthanasie : « Ce prétendu droit m’enlève ma dignité, et tôt ou tard, me désigne la porte »).

Enfin ces voix dissonantes interrogent sur le message envoyé aux soignants, dans un contexte de crise du système de santé. « La mise en place d’une aide active à mourir risquerait de représenter pour eux une abdication signifiant l’incapacité collective à prendre réellement en charge la fin de vie ». Parmi ses recommandations, le CCNE envisage une clause de conscience. Mais assortie d’« ‘une obligation de référer le patient à un praticien susceptible de donner suite à la demande du patient ».

 

[1] Cet avis a été rendu au terme d’un certain nombre d’auditions indiquées en annexe 2 de l’avis du CCNE :

Jacques Bringer et Claudine Esper : Président et Vice-Présidente du Comité d’éthique de l’Académie Nationale de Médecine

Marion Broucke, Infirmière en équipe mobile de soins palliatifs, AP-HP – GHU ParisSaclay ; MSc Recherche en médecine palliative

Alexis Burnod, Médecin urgentiste, département de soins de support, Institut Curie

Aline Chassagne et Danièle Leboul, Pôle Recherche, Maison médicale Jeanne Garnier et CIC CHU Besançon

Anne-Claire de Crouy-Chanel, Médecin en médecine physique et réadaptation, CHU Kremli-Bicêtre

Sarah Dauchy, Présidente du Conseil d’orientation stratégique du Centre National Pour les Soins Palliatifs et la Fin de Vie (CNSPFV), département médico-universitaire de psychiatrie et d’addictologie, AP-HP Centre-Université de Paris

Claire Fourcade et Elise Perceau-Chambard, Médecins en soins palliatifs, Présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) et membre du conseil scientifique de la SFAP

Véronique Fournier, Médecin de santé publique et cardiologue, centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin

Norbert Ifrah, Professeur d’hématologie et cancérologie, CHU d’Angers ; Président du Conseil d’administration de l’Institut National du Cancer (INCa)

Claude Jeandel, Médecin gériatre, CHU de Montpellier ; président du Conseil national professionnel de gériatrie ; Fondation Partage et Vie

Olivier Lesieur, Praticien Hospitalier en Réanimation Groupement Hospitalier La Rochelle, président de la commission d’éthique de la Société de réanimation de langue française (SRLF)

Didier Sicard, Professeur de médecine, Université Paris-Descartes, Président honoraire du CCNE

Sophie Moulias, Praticien hospitalier en médecine interne, gériatrie, CHU Ambroise Paré

Lionel Naccache et Marie-Germaine Bousser, Médecins neurologues, membres du CCNE

Fabrice Michel et Pierre-François Perrigault, Médecins anesthésistes, membres du comité d’éthique de la Société française d’anesthésie et de réanimation (SFAR)

François Salachas, Médecin neurologue, Unité Nerf périphérique, Sclérose Latérale Amyotrophique (SLA), Pitié Salpêtrière

Marie de Hennezel, Psychologue, psychothérapeute, écrivaine

Emmanuel Hirsch, Professeur d’éthique médicale, Université Paris Saclay, directeur de l’Espace éthique de la région Île-de-France

Corine Pelluchon, Philosophe, Professeure de philosophie, Université Paris-Est

Sadek Beloucif, Président du conseil d’orientation à la Fondation de l’islam de France, chef du service d’anesthésie-réanimation à l’hôpital Avicenne.

Monseigneur Pierre d’Ornellas, Archevêque de Rennes

Haïm Korsia, Grand Rabbin de France

Jean-Gustave Hentz, Praticien hospitalier émérite des hôpitaux universitaires de Strasbourg et président de la Commission éthique et société de la Fédération protestante de France.

Jonathan Denis et Anne Vivien, Président et Vice-Présidente de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD)

Tugdual Derville, Caroline Roux, Jeanne Bertin-Hugault, Délégué général et membres de l’association Alliance Vita ; SOS Fin de vie

Elisabeth Hubert, présidente d’HàD France, présidente de la Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile (FNEHAD)

Olivier de Margerie, Président de la Fédération Jusqu’à la mort accompagner la vie (JAMALV)

Philippe Petit, membre de l’Union Nationale des Associations de Familles de Traumatisés crâniens et de Cérébro-lésés (UNAFTC)

Catherine Deroche, Présidente de la Commission des affaires sociales du Sénat

Fadila Khattabi, Présidente de la Commission des affaires sociales de l’Assemblée Nationale

Jean Leonetti, Médecin cardiologue, député honoraire, auteur de deux lois sur la fin de vie (2005, 2016)

Strasbourg et président de la Commission éthique et société de la Fédération protestante

de France.

Jean-Louis Touraine, Professeur de médecine, député, à l’origine d’une proposition de loi

« portant sur la fin de vie dans la dignité »

Pascale Fombeur, Conseillère d’état, Présidente d’une chambre de la section du contentieux du Conseil d’Etat

François Stasse, Conseiller d’état honoraire, ancien directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris

Gilles Raoul-Cormeil, Professeur de droit privé et sciences criminelles, Université de Bretagne occidentale

Grande Loge Féminine de France

Grande Loge de France

Grand Orient de France

[2] Englobant euthanasie et suicide assisté

[3] C’est-à-dire quelques mois

[4] Gilles Adda

Michel Badré

Sophie Crozier

Annabel Desgrées du Loû

Emmanuel Didier

Sylvie-Anne Goldberg

Marion Muller-Colard

Dominique Quinio

Source : Gènéthique Magazine (13/09/2022)