Euthanasie pour “dépression incurable” : la CEDH ne soulève qu’un problème de procédure

Tom Mortier a porté plainte suite à l’euthanasie de sa mère, Godelieva de Troyer, décédée en 2012 alors qu’elle avait 64 ans. Godelieva de Troyer souffrait de « dépression chronique » depuis 40 ans. C’est d’ailleurs le motif invoqué pour autoriser son euthanasie : une « dépression incurable ». L’affaire a été portée devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Tom Mortier affirme que la Belgique a violé la Convention européenne des droits de l’homme en ne protégeant pas correctement le droit à la vie de sa mère[1]. La Cour vient de rendre sa décision[2].

« Des défaillances procédurales dans le contrôle » #

La mère de Tom Mortier s’est adressée à l’un des promoteurs de l’euthanasie en Belgique[3]. Bien qu’étant oncologue et que Godelieva de Troyer souffre de problèmes psychiques, il a accepté de l’euthanasier au terme du premier entretien. Un médecin par ailleurs coprésident de la Commission fédérale chargée d’examiner a posteriori les dossiers d’euthanasie. Tom Mortier a découvert l’euthanasie de sa mère le lendemain de la procédure, lorsque l’hôpital lui a demandé de prendre les « dispositions nécessaires ».

Pour la Cour, il y a eu des « défaillances procédurales » dans le contrôle a posteriori de l’euthanasie de la mère du requérant. Un constat fait à l’unanimité. La Commission ne pouvait pas en effet se prononcer de manière indépendante sur la légalité de cet acte, dans la mesure où la décision portait sur un dossier impliquant son coprésident, le professeur D., qui ne s’est pas récusé.

Pas de remise en cause de l’acte #

« La Cour estime que les dispositions de la loi relative à l’euthanasie constituent en principe un cadre législatif propre à assurer la protection du droit à la vie des patients tel qu’exigé par l’article 2 de la Convention » précise l’arrêté.

Ainsi, avec une majorité de cinq voix contre deux, les juges ont estimé que l’euthanasie de Godelieva de Troyer avait respecté le droit belge. La mère de Tom Mortier aurait en effet fait « état d’une souffrance psychique constante et insupportable qui ne pouvait plus être apaisée et qui résultait d’une affection grave et incurable ».

La Belgique pouvait donc autoriser cette euthanasie, selon la Cour. Choisissant d’affirmer à une femme dépressive que sa vie était sans issue (cf. Pays-Bas : consulté pour une demande d’euthanasie, un médecin guérit un malade psychiatrique).

Des voix discordantes parmi les juges #

L’euthanasie de cette femme dépressive a suscité le débat au sein de la Cour.

Ainsi la juge María Elósegui estime « qu’il y a aussi eu violation de l’article 2 de la Convention à raison du cadre législatif relatif aux actes préalables à l’euthanasie ». En effet, elle pointe le fait que les deux rapports nécessaires à l’autorisation de cette euthanasie ont été rédigés par des psychiatres qui étaient membres d’une association fondée et présidée par le docteur D.[4] Quand le psychiatre qui la suivait depuis 20 ans a été écarté de la procédure. Pour ce dernier, la dépression dont Godelieva de Troyer souffrait n’était pas incurable. Dès lors « les conditions requises pour qu’une euthanasie pût être pratiquée n’étaient donc pas réunies ».

« Dans le dossier de l’affaire, on observe une différence entre l’avis médical des médecins qui connaissaient la patiente et celui du Gouvernement, qui, dans ses observations, juge incurables la dépression et toute forme de maladie mentale », pointe la juge espagnole. « Compte tenu de la grande hétérogénéité des avis médicaux, je me demande si la patiente était réellement pleinement autonome, consciente et libre de ses choix », écrit-elle.

L’autonomie comme principe suprême ? #

« Invoquer le principe d’autonomie sans tenir compte des trois autres principes de la bioéthique ne tient pas d’un point de vue juridique », affirme par ailleurs la juge Elósegui. Dans le cas d’espèce, la mère du requérant étant seule et isolée, l’un de ses médecins « s’est permis de considérer qu’une prise de contact avec les enfants de l’intéressée n’avait plus de sens ». Ce qui signifie « qu’au bout du compte, c’est le médecin qui décide à la place du patient », pointe-t-elle.

De son côté le juge Georgios A. Serghides affirme « qu’aucune forme d’euthanasie, ni aucun cadre législatif entourant pareille pratique – quelles qu’en soient la qualité ou les “garanties” associées – ne peut préserver le droit à la vie consacré par l’article 2 de la Convention ». En effet, « le but de l’euthanasie est de mettre fin à la vie, tandis que celui de l’article 2 est de la préserver et la protéger », rappelle-t-il.

Pour le juge chypriote, « la vie de chaque être humain est unique, précieuse, irremplaçable et digne d’être respectée par tous, même l’État, et maintenir ou préserver la vie humaine ne doit pas dépendre de quelque manière que ce soit de la marge d’appréciation laissée aux Etats membres ». Car « privé de sa vie, son bien le plus cher et le plus précieux, un individu ne peut exercer aucun autre de ses droits fondamentaux ou en jouir, et ces droits se trouvent alors vidés de leur substance ».

Complément du 17/10/2022 : La Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie a officiellement réagi vendredi à l’arrêt rendu par la CEDH. La Commission « prend acte des manquements soulevés par la CEDH dans le contrôle post-euthanasie tel que prévu par la loi belge », mais estime qu’« il revient au législateur d’y remédier » (Source : RTBF, Belga (14/10/2022).

 

[1] ADF (02/10/2022)

[2] Mortier c. Belgique (requête n o 78017/17)

[3] Nommé dans l’arrêt le professeur D. ou le docteur D.

[4] LEIF (LevensEinde InformatieForum)

Source : Gènéthique Magazine (04/10/2022)