Projet de loi sur la fin de vie : « une voie pavée de tromperies »

12 Mar, 2024

Dans une tribune publiée par le Figaro, Erwan Le Morhedec, avocat, essayiste et auteur de Fin de vie en République Avant d’éteindre la lumière s’oppose au projet de loi sur l’« aide à mourir » présenté par Emmanuel Macron (cf. « Une forme de nihilisme désormais présent au sein même de l’Etat » : après l’IVG, Emmanuel Macron reprend le dossier de la fin de vie). Il dénonce une « voie pavée de tromperies », dans la méthode, le vocabulaire utilisé par le chef de l’Etat, comme les annonces faites.

Emmanuel Macron avait la présomption de définir une « voie française » de la fin de vie. Triste voie s’il en est, pavée de tromperies. Tromperie sur la méthode, tromperie dans les termes, tromperie dans les annonces. Nous voilà bien loin des conditions d’élaboration des lois Leonetti et Claeys-Leonetti, qui avaient pu recueillir l’unanimité des parlementaires. Cette loi maximaliste ne sera jamais, comme feint de le croire le président de la République, un « texte de rassemblement » (cf. Fin de vie : une « loi de rassemblement » qui suscite la colère). C’est un texte qui divisera les Français, les familles et les cœurs. Il est profondément triste, au-delà même du contenu du texte, que la France se singularise ainsi sur un sujet d’une rare gravité, qui demande nuance, respect et sincérité.ge

« Un texte maximaliste »

Il y a tromperie dans le vocabulaire car, en procédant à une redéfinition des termes, Emmanuel Macron prétend que le texte ne prévoit ni l’euthanasie, ni le suicide assisté, alors même qu’il instaure les deux. Il le dit lui-même quelques lignes plus loin : le projet de loi dispose qu’une substance létale peut être administrée par la personne elle-même, et c’est un suicide assisté, ou par un tiers, et c’est une euthanasie. Il est faux de prétendre, comme il le fait, que le suicide assisté soit nécessairement inconditionnel. La Suisse pose des conditions, même larges. Il est faux d’affirmer que l’euthanasie ne requiert jamais le consentement : en la légalisant explicitement, la Belgique n’a pas autorisé un acte fait sans l’accord de la personne.

Tromperie sur la méthode. Pendant des mois, Emmanuel Macron n’a eu de cesse d’esquiver toute question sur le sujet, mettant en scène ses doutes prétendus et ses incertitudes intimes pour, in fine, promouvoir un texte maximaliste (cf. Fin de vie : le président de la République « assume de prendre le temps »). Il a organisé des dîners à l’Élysée, recevant des soignants, conviant les cultes, affectant de profondes interrogations et s’assurant de donner à chacun le sentiment d’avoir été écouté pour, au bout du compte, faire la démonstration qu’ils se sont exprimés en vain (cf. Diner à l’Elysée sur la fin de vie : « un sujet intimidant » ?). Emmanuel Macron, et les ministres en charge, au premier rang desquels Agnès Firmin Le Bodo, ont affirmé travailler sur ce texte en co-construction avec les soignants. La réalité est qu’aucun texte n’a jamais été mis sur la table des discussions, et que les organisations de soignants n’ont plus eu de réunion avec l’exécutif depuis plus de six mois (cf. Projet de loi sur la fin de vie : soignants et parlementaires veulent faire entendre leurs voix). Aucune de leurs observations, pas même la timide demande de disjonction des volets euthanasie et soins palliatifs dans la loi (cf. « Aide active à mourir » et soins palliatifs doivent être dissociés exhortent des députés), n’a été retenue. Le texte franchit toutes leurs lignes rouges. Officiellement admirés, ils sont concrètement méprisés.

« Plus rapide de trouver un médecin pour mourir que pour être soigné »

Tromperie, encore, que d’affirmer que le texte prévoit des « conditions strictes ». Alors même que des propositions précédentes avaient suscité la consternation par la précipitation avec laquelle elles engagent le processus, le projet de loi fait pire encore. « A partir du moment où la demande est posée, il y a un minimum de deux jours d’attente pour tester la solidité de la détermination », ose Emmanuel Macron. Cette phrase surréaliste est au choix spécieuse ou ignorante.

J’ai pu, personnellement, rencontrer en soins palliatifs à trois reprises une femme qui s’était rendue en Belgique, avait consulté un médecin, rempli un dossier d’euthanasie, puis était revenue pour ne plus en parler (cf. « Aide active à mourir » : les psychologues inquiets). Notre dernière rencontre s’est faite autour d’une bouteille de muscadet. Comme avec elle, j’ai entendu le récit de la vie d’un homme de 90 ans, qui est entré en demandant au médecin de faire en sorte que « ça aille vite »,puis a fini par quitter le service, a rencontré son arrière-petit-fils, et m’a laissé sur ces mots : « la vie continue » (cf. Consentement et fin de vie : consentir à mourir ?). De telles situations sont le quotidien des services de fin de vie. Alors, 48h pour « tester la solidité de la détermination »… En Belgique, lorsqu’il est établi que le décès n’interviendra manifestement pas à brève échéance, un délai d’un mois entre la demande et l’acte est prévu par la loi. En France, ce sera bouclé en quinze jours. Il sera ainsi plus rapide, chez nous, de trouver un médecin pour mourir que pour être soigné.

«  Conduire un fils à tuer son père »

Conditions strictes ? Le projet de loi prévoit que l’administration de la substance létale puisse être réalisée « par une personne volontaire »désignée par celle qui fait la demande. Un préprojet de loi qui a fuité en décembre était plus explicite (cf. Projet de loi sur la fin de vie : « le mépris affiché à l’égard de soignants désormais qualifiés de secouristes à l’envers) : cette personne volontaire peut être un proche ou même tout autre tiers, tel un militant associatif. Il n’existe nulle part ailleurs dans le monde une législation qui envisage qu’un proche puisse procéder à l’euthanasie d’un autre. Aucun pays n’a imaginé que le petit-fils puisse euthanasier sa grand-mère, le mari son épouse, le frère sa sœur. Il est inconcevable que notre pays ne perçoive pas les risques graves qu’une telle disposition fait encourir à des personnes affaiblies. Toutes les personnes qui interviennent dans le cadre de la fin de vie connaissent ces proches qui, même bienveillants, surinterprètent la volonté de la personne malade parce que la situation est insupportable… pour eux.

Il est prévu dans le texte que l’euthanasie pourra être réalisée à domicile. C’est déjà un risque à l’hôpital, mais qui pourra s’assurer, dans le huis clos du domicile, que le proche ne craquera pas et n’administrera pas de lui-même le produit à la personne, qui ne demande plus rien ? Qui s’en plaindra ? Qui alertera ? Ni le proche euthanasiant, ni la personne concernée, euthanasiée. Imagine-t-on, par ailleurs, la charge indicible qui pèsera sur ce proche ? La pression morale qui pourra peser sur lui pour accomplir ce geste ? Le traumatisme d’avoir refusé de le faire ou surtout, pire, d’avoir provoqué la mort de l’un des leurs ? Des soignants belges fondent en larmes en parlant de leur pratique. En France, des infirmières m’ont dit, 25 ans après, leur douleur d’avoir administré des cocktails lytiques. Dans quel esprit a pu germer l’idée de conduire un fils à tuer son père ?

500 personnes meurent tous les jours sans avoir eu accès aux soins palliatifs

Tromperie dans les annonces, encore. Car tout en clamant son admiration pour les soins palliatifs, tout en se fondant sur l’avis rendu par le Comité consultatif national d’éthique qui avait naïvement (au mieux) fait de leur développement un préalable (cf. Avis du CCNE sur l’euthanasie : une « révolte métaphysique »), Emmanuel Macron renvoie leur développement à l’adoption du projet de loi. Non seulement le renforcement des soins palliatifs ne sera donc, par définition, pas un préalable à la légalisation de l’euthanasie (cf. Pas de nouvelle loi avant de développer les soins palliatifs ?), mais il faudra attendre encore de longs mois de travaux parlementaires pour engager les maigres évolutions proposées (cf. Soins palliatifs : la promesse d’;« une petite révolution », mais pas de moyens). Hasard du calendrier, nous fêtons cette année le 25e anniversaire de la loi visant à garantir l’accès aux soins palliatifs, dont l’article 1 proclamait pieusement : « Toute personne malade dont l’état le requiert a le droit d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement ».

Aujourd’hui, selon la Cour des comptes, 500 personnes meurent tous les jours sans avoir eu accès aux soins palliatifs dont elles avaient besoin (cf. Soins palliatifs : la Cour des comptes présente son rapport). Certes, Emmanuel Macron annonce un investissement d’un milliard dans les soins palliatifs sur 10 ans, et le chiffre impressionne. Mais il représente 6 % d’augmentation du budget actuel, et compensera tout juste l’inflation, à supposer encore que l’Etat n’annule pas ces crédits comme il vient de le faire pour tant d’autres, solennellement engagés quelques semaines plus tôt.

« La mort n’est jamais là avant qu’elle n’advienne »

Emmanuel Macron dit avoir perçu une « colère rentrée » dans les services de soins palliatifs. Il prend la responsabilité de la faire éclater, chez eux et au-delà. Ce texte sera combattu. Car il ne pouvait y avoir pire négation de leur vocation (cf. Fin de vie : « médecine de l’accompagnement » ou « médecine de la mort donnée » ?), et pire inspiration pour une législation. Dans une formule orwellienne, Emmanuel Macron déclare que « cette loi de fraternité permet de choisir le moindre mal quand la mort est déjà là ». La fraternité ne s’exerce pas par la mort, le moindre mal reste un mal et non, la mort n’est jamais là avant qu’elle n’advienne ! Les personnes malades ne sont pas déjà mortes (cf. « Pleinement vivant » malgré un « corps qui me bloque »). Les malades ne sont pas des morts en sursis. Ils sont vivants (cf. « La lourdeur du jour, comme la joie des petits riens »), jusqu’au terme de leur vie et la seule fraternité que notre pays aurait dû s’enorgueillir de célébrer, c’est celle qui permet d’ajouter de la vie aux jours quand on ne peut plus ajouter de jours à la vie (cf. Fin de vie : « aider chacune et chacun à garder le goût de vivre ») .

 

Cette tribune a été intégralement reproduite ici avec l’accord de son auteur.

Photo : iStock

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