Khalid, entièrement paralysé à l’exception d’un doigt, nous transmet son désir de vivre. Il témoigne de la puissance de vie présente au cœur de la fragilité. Muriel Derome, psychologue en réanimation et neurologie pédiatrique à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches, raconte sa rencontre avec lui.
Ce témoignage est extrait du livre « Le courage des lucioles » de Muriel Derome. Il est publié aux éditions Philippe Rey.
Khalid a 20 ans et vit dans notre service depuis 17 ans. Ça fait si longtemps qu’il en est devenu l’emblème.
« Enfermé dans son corps »
Khalid est entièrement paralysé depuis ses 3 ans. La paralysie est si haute qu’il ne peut même pas parler. Même son visage est paralysé, et ne peut pas nous donner des indices sur son état émotionnel.
Il est resté enfermé dans son corps, sans pouvoir communiquer, jusqu’à l’été de ses 14 ans où une animatrice lui a appris à lire et à écrire grâce à un de ses doigts qu’il parvient à bouger. Il parvient alors à manier une souris, et ainsi à sélectionner des lettres ou des mots sur un écran d’ordinateur pour écrire ce qu’il veut nous dire.
La question se pose : peut-on être heureux de vivre quand on a besoin d’une machine pour le moindre geste ? Pour se déplacer, un fauteuil roulant, pour respirer, une trachéotomie, pour manger, une gastrostomie, pour parler, un écran d’ordinateur ?
« Je suis heureux »
J’arrive à son chevet et je l’interroge sur ce qui l’habite :
– Est-ce que tu te sens triste ? énervé ? joyeux ou en colère ? Est-ce que tu as peur ? Bref, comment tu te sens ?
– Je suis… heureux
Je m’attendais à tout sauf à ça ! Quelle surprise de lire ces mots. Il ajoute deux mots, pour finir la phrase : « … de vivre. Je suis dans la paix ».
Nous avons passé bien des séances à parler de la mort, des peurs et des angoisses, mais aujourd’hui Khalid veut absolument me dire à quel point il est heureux, pas juste d’être en vie, mais de vivre. Même si cette vie est à mobilité très réduite et peut sembler incomplète à beaucoup de gens, il se sent pleinement vivant.
« La fragilité c’est dans la tête »
Je lui demande alors s’il se sent fragile ? La réponse ne tarde pas à apparaître sur son écran : « Je dirais que la fragilité c’est dans la tête. Je ne vais pas dire que je suis superman, mais je suis plutôt bien. Mon mental me permet d’être bien comme ça. Après tout ce que j’ai eu, on est obligé ! »
Comme nous nous connaissons depuis plus de 15 ans, j’ose lui demander si on peut être heureux lorsqu’on est enfermé dans un corps entièrement paralysé. Sa réponse me surprend : « Mon frère comme il est timide, il n’aime pas parler avec les autres. Il est bloqué par sa timidité, mais il est heureux. Moi, c’est mon corps qui me bloque, mais ça ne m’empêche pas d’être heureux ».
« La vie est belle »
Et là le dialogue s’ouvre :
– Mais il y a aussi des moments difficiles ? Par exemple, est-ce que tu t’es déjà senti dévalorisé, humilié ?
– J’ai rien à prouver à personne. Et si je suis bien, c’est le principal.
– Qu’est-ce que tu dirais à des jeunes qui souffrent du regard des autres ?
– Fais ta vie, tu t’en fous des autres… sinon tu vas pas avancer.
– Est-ce que ça t’est arrivé de voir des gens qui te regardent comme un monstre ?
– Oui, logique ! Mais c’est leur problème. Moi, je sais que je ne suis pas un monstre. Je suis un humain comme les autres.
– Qu’est ce qui dans ta vie est le plus dur aujourd’hui ?
– Pas grand-chose
– Qu’est ce qui t’énerve le plus chez les gens ?
– Aucune idée
– Est-ce que ta peur de la mort est toujours là ?
– Nan
– Pourquoi ?
– La vie est belle. Chaque jour est différent avec toutes les émotions qui nous traversent. Les épreuves sont là pour révéler la beauté de la vie. C’est en regardant la beauté de la vie qu’on a moins peur de la mort.
Cet extrait est publié avec l’accord de l’auteur.
