Fin de vie : l’examen des amendements débute, les débats sont lancés

13 Mai, 2024

Après la phase d’auditions, dès l’après-midi du 13 mai, les membres de la commission spéciale vont entamer les débats et consacrer une semaine à examiner, un à un, les 1 869 amendements enregistrés sur le projet de loi relatif à la fin de vie.

« C’est plus que ce que l’on imaginait » indique la députée Renaissance, Laurence Cristol, co-rapporteure du texte. Parmi ceux-ci, 882 ont été proposés par des membres des groupes Les Républicains (LR) ou du Rassemblement national (RN), pour la plupart opposés à l’euthanasie et au suicide assisté. Les députés Renaissance ont, quant à eux, rédigé 281 amendements.

Les 71 membres de la commission spéciale seront amenés à modifier le texte issu du Conseil des ministres (cf. Euthanasie, suicide assisté : sur quoi vont plancher les députés lors de leur 1ère lecture du projet de loi ?), en décidant d’accepter ou de rejeter les amendements proposés par les députés. Une phase capitale. Les « garde-fous » sont déjà pris d’assaut par les militants de la « mort choisie » pour qui le texte ne va pas assez loin. Les valeurs du soin seront-elles préservées ?

« Ne pas énoncer les choses relève de la tromperie »

Avant le début de cette nouvelle étape, Catherine Vautrin, la ministre de la Santé, a reçu le 7 mai au matin les rapporteurs du texte, ainsi que la présidente de la commission spéciale, Agnès Firmin Le Bodo, pour une réunion de travail. « Nous serons extrêmement vigilants, car il s’agit d’un sujet de vie et de mort » tente de rassurer la ministre. « Ma mission, c’est de maintenir l’équilibre du texte » insiste-t-elle une fois encore. Un texte qu’elle estime « proche du modèle de l’Oregon ». Un « modèle » idéalisé malgré ses dérives (cf. Suicide assisté : l’Oregon, un « exemple » aussi pour les dérives).

Tous les volets du projet de loi, y compris son titre, font l’objet d’amendements.

La commission spéciale devra ainsi commencer par se pencher sur la question sémantique. Alors que le Gouvernement a choisi de parler d’« aide à mourir », et non de suicide assisté et d’euthanasie, plusieurs députés LR et RN, mais aussi Pierre Dharréville (Nupes) ou Dominique Potier (Socialistes), ont déposé des amendements pour demander à ce que ces deux termes figurent explicitement dans le texte (cf. Fin de vie : un texte qui « s’est résigné aux mensonges »). « Le sujet de la fin de vie est trop important pour faire l’objet d’euphémismes et de périphrases » s’indignent-ils. « La loi doit être claire, précise et intelligible » souligne Patrick Hetzel (LR), vice-président de la commission spéciale et auteur de plus de cent amendements. « Ne pas énoncer les choses relève de la tromperie quand on élabore un texte de loi. Ce flou a aussi des conséquences concrètes, notamment dans la distinction d’accès au suicide assisté et à l’euthanasie » (cf. Projet de loi sur la fin de vie : « une voie pavée de tromperies »).

Aucune garantie de développement effectif des soins palliatifs

Même si le premier titre concernant le développement des soins palliatifs vient répondre au constat unanime du manque en la matière (cf. Soins palliatifs : la Cour des comptes présente son rapport), près de 400 amendements portent sur cette partie du projet de loi.

Comme de nombreux professionnels de santé, des députés demandent que le texte revienne à la notion de soins palliatifs, un terme consensuel dans le monde médical, et supprime le nouveau terme de « soins d’accompagnements ». Une source de confusion qu’ils dénoncent (cf. « Soins d’accompagnement » : médecins et infirmiers opposés au changement de terminologie). Alors que le président de la République a récemment appelé de ses vœux « l’appropriation de la culture palliative », l’urgence est de faire connaitre les soins palliatifs, et de les doter enfin des moyens nécessaires, non de les dévoyer (cf. Euthanasie et soins palliatifs : des pratiques antinomiques pour les médecins).

Comme il l’avait déjà sollicité en juin 2023 dans une proposition de résolution (cf. Pas de nouvelle loi avant de développer les soins palliatifs ?), le groupe LR, porté par Philippe Juvin, lui-même auteur de plus 120 amendements, demande également la création d’un droit opposable aux soins palliatifs afin que tous les Français puissent en bénéficier dans un délai compatible avec leur état de santé, et quel que soit leur lieu de résidence ou de soins. En l’état, le texte n’offre aucune garantie de développement effectif des soins palliatifs, s’indignent les députés. Même si le plan décennal est « une première marche », encore faudra-t-il qu’il soit effectif et se traduise enfin concrètement (cf. Plan décennal sur les soins palliatifs : « il faudrait être naïf pour s’y fier »).

Des conditions qui posent problème

Comme il fallait s’y attendre, la plupart des amendements des députés de tous bords concernent le second titre du projet de loi consacré à l’« aide à mourir », le volet le plus « sensible » du texte. La suppression de ce titre est d’ailleurs envisagée par des amendements de tous bords politiques, dont ceux de Dominique Potier (Nupes), Pierre Dharréville (PS), Thibault Bazin (LR) ou Marie-France Lorho (RN).

Près de 400 amendements concernent la définition de l’« aide à mourir », et ses conditions d’accès.

Suivant la demande formulée par le Grand Maitre du Grand Orient de France lors de son audition par la commission, certains députés, comme Cécile Rilhac (Renaissance), n’ont pas hésité à remettre en cause la condition de majorité (cf. Fin de vie : un projet de loi qui « permet de mettre un pied dans la porte », avant les prochaines étapes). Ils sollicitent dès maintenant l’ouverture de l’euthanasie aux mineurs dès 16 ans, âge auquel ils peuvent demander à être émancipés ou à avoir une carte Vitale, voire dès 13 ans, âge de la responsabilité pénale dans certains cas. La députée Julie Laernoes (Nupes) propose quant à elle de créer un protocole dérogatoire, établi par la Haute Autorité de Santé (HAS), afin de ne pas les exclure de facto du dispositif d’« aide à mourir ». Ce protocole viserait a priori tous les mineurs, quel que soit leur âge.

« Il faut arrêter d’imaginer des choses qui ne se produiront pas. Il n’y aura pas de majorité pour voter un élargissement de l’aide à mourir aux mineurs », indique le rapporteur général de la commission spéciale, Olivier Falorni (MoDem). Aujourd’hui peut-être, mais qu’en sera-t-il demain une fois la porte de l’euthanasie ouverte ? (cf. Pays-Bas : l’euthanasie autorisée pour les enfants de moins de 12 ans)

Un autre point phare des débats sera sans doute la délicate question du « pronostic vital engagé à moyen terme », l’une des cinq conditions d’éligibilité à l’« aide à mourir ». Un point clé contesté par tous, et sur lequel les interrogations demeurent à l’issue des auditions. « Les plus farouches opposants comme les plus fervents défenseurs du texte sont quasi unanimes pour dire que cela pose problème » explique Olivier Falorni.

Pour certains, cette notion est trop vague et relative, alors que pour d’autres elle est au contraire trop restrictive. Certains députés sollicitent ainsi que le terme soit remplacé par l’expression de « phase avancée ou terminale » d’une affection grave et incurable, pouvant être notamment attestée par un « certificat d’incurabilité » comme le propose le député Gilles Le Gendre (Renaissance). D’autres, comme Olivier Falorni ou Laurence Maillart, co-rapporteur du texte (Renaissance), demandent que la condition du « court ou moyen terme » soit simplement supprimée afin de ne pas écarter certains malades atteints de pathologies neurodégénératives. Il s’agit là d’ailleurs de leur unique amendement.

Protéger les plus vulnérables

Le critère du discernement du patient fera lui aussi probablement l’objet de vifs échanges.

Le projet de loi ne prévoit pas qu’une demande d’euthanasie effectuée via les directives anticipées puisse être prise en compte si le patient devient inconscient par la suite. « Une rupture d’égalité » selon l’ADMD. Certains amendements solliciteront donc que la personne de confiance puisse réitérer la volonté du patient, comme le propose notamment Gilles Le Gendre (Renaissance). « Nous serons extrêmement prudents » indique Catherine Vautrin qui rappelle que la volonté du patient est « un des piliers du texte » (cf. Le « consentement indirect » : « Même la Belgique n’a pas osé »).

De son coté, Annie Vidal, députée Renaissance, qui a déposé 40 amendements, alerte sur la situation de vulnérabilité des personnes porteuses de handicap mental, et demande qu’elles soient explicitement exclues du champ d’application de la loi. A l’étranger, des études ont montré les risques de dérives existant pour ces personnes (cf. Pays-Bas : des personnes euthanasiées seulement en raison de leur déficience intellectuelle). D’autres députés RN, comme Sandrine Dogor Such ou Marie-France Lorho, proposent eux de renforcer la procédure d’« aide à mourir » pour les personnes majeures sous mesure de protection juridique en sollicitant le juge du contentieux ou des tutelles.

Suivant l’exhortation de Marie de Hennezel lors de son audition (cf. Fin de vie : « soigner, ce n’est pas faciliter la mort programmée ! »), Annie Vidal a également déposé un amendement visant à établir un « délit d’incitation au suicide assisté » afin d’éviter les pressions psychologiques. Yannick Neuder (LR) propose sur ce point qu’un psychiatre puisse attester du caractère « libre et éclairé » du consentement du patient. Ces « garde-fous » seront-ils pris en compte afin de préserver les plus vulnérables ?

Epineuses questions de la « procédure »

La partie liée à la « procédure » d’« aide à mourir » et à son contrôle fera elle aussi l’objet de nombreux débats. Elle ne concentre pas moins de 840 amendements.

La question de la collégialité de la décision médicale est un point particulièrement épineux. De nombreux députés la réclament. Comment une décision aussi grave pourrait-elle être soumise à l’avis d’un seul médecin ? C’est pour cette raison que Justine Gruet (LR) propose qu’un comité d’éthique prenne cette décision. « Je comprends qu’un médecin dise que c’est une décision qu’il ne veut pas porter tout seul » admet la ministre de la Santé. Un début. Mais saura-telle aussi entendre les très nombreux soignants qui disent leur opposition à l’euthanasie ? (cf. 800.000 soignants s’opposent à l’euthanasie)

Le recours à un proche, point que seule la France a osé prévoir, suscite lui-aussi bien des interrogations. Cette possibilité pourrait être retirée du texte comme certains députés le demandent. « Je reconnais que c’est probablement très difficile pour les proches de réaliser cet acte. C’est un poids psychologique lourd à porter » reconnaît la ministre de la Santé.

Enfin, Astrid Panosyan Bouvet (Renaissance), Dominique Potier, comme bien d’autres députés, demandent la mise en place d’un contrôle a priori, réalisé par exemple par une commission qui comprendrait notamment un juriste et un professionnel de santé.

Préserver les soignants

Lors des auditions, les ordres professionnels ont rappelé leur attachement à la clause de conscience (cf. Fin de vie : « On est en train de remettre en cause l’éthique et les valeurs du soin »). Un point incontournable pour respecter les soignants.

Plusieurs députés suggèrent d’ailleurs d’étendre la clause de conscience à « tous les professionnels de santé concernés », parmi lesquels les pharmaciens, les infirmiers et les aides-soignants. D’autres proposent aussi d’instaurer une « clause de conscience collective » pour écarter l’euthanasie et le suicide assisté d’établissements de santé entiers. Ces mesures suffiront-elles à éviter des départs des soignants en cas de légalisation de l’euthanasie ? (cf. Fin de vie : 22 % des médecins en soins palliatifs se disent prêts à démissionner)

Des mesures que dénoncent les partisans de l’« aide à mourir » qui demandent, comme Marie-Noëlle Battistel (PS), que le médecin objecteur fasse le lien avec « un médecin pour lequel il s’est assuré de son accord à participer » et lui transmette le dossier. Anne Brugnera, députée Renaissance, n’hésite pas, quant à elle, à solliciter la création d’un « délit d’entrave à l’aide à mourir » puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.

Une nouvelle voie est par ailleurs proposée par Geneviève Darrieussecq, député MoDem, et Annie Vidal afin de préserver les soignants : la création d’une démarche de volontariat des soignants avec la formation et l’accompagnement des médecins à l’euthanasie et au suicide assisté. Une alternative à la clause de conscience afin d’éviter la division du monde médical et de simplifier les choses, espèrent-elles. N’est-ce pas là toutefois une première brèche qui fragilisera demain toute la médecine ? (cf. Euthanasie ou suicide assisté : « une brèche dans un rempart de sagesse »)

Une fois l’ensemble des amendements examiné, le texte modifié sera débattu dans l’hémicycle partir du 27 mai. Quelle médecine voulons-nous pour demain ? (cf. Fin de vie : « médecine de l’accompagnement » ou « médecine de la mort donnée » ?) Quel accompagnement saurons-nous offrir aux plus vulnérables ?

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