Suicide assisté : l’Oregon, un « exemple » aussi pour les dérives

5 Oct, 2023

Dans un article publié dans BMJ Supportive & Palliative Care [1], des chercheurs dressent un bilan de la légalisation du suicide assisté dans l’Oregon. « Souvent cité comme un exemple stable » de législation sur le suicide assisté, les chercheurs ont voulu voir s’il y avait eu des changements au cours des 25 années de pratique. Pour ce faire, ils ont analysé les données des rapports annuels publiés entre 1998 et 2022 par l’autorité sanitaire de cet Etat américain.

Une croissance de 13% par an

La loi sur « la mort dans la dignité »[2] est entrée en vigueur en 1997 dans l’Oregon. Elle autorise les résidents en phase terminale [3], âgés de plus de 18 ans, à ingérer des produits létaux prescrits par un médecin. Pourtant, depuis 2010, plusieurs diagnostics ne mettant pas en jeu le pronostic vital ont été retenus : « l’arthrite, les complications d’une chute, une hernie et l’anorexie mentale » (cf. Colorado : un psychiatre propose l’aide médicale à mourir en cas d’anorexie mentale « terminale »).

Entre 1998 et 2022, 2 454 personnes sont décédées après un suicide assisté. Leur moyenne d’âge était de 72 ans. En 1998, 24 prescriptions de substances létales ont été rédigées et 16 patients sont décédés. En 2022, les chiffres sont passés à 431 prescriptions pour 278 décès. Ainsi, en moyenne, le nombre de prescriptions a augmenté de 13% chaque année, tandis que le nombre annuel de « décès assistés » a cru de 16%.

Des complications non documentées

Les chercheurs déplorent le fait de ne pas avoir pu vérifier les données, car l’Oregon détruit tous les dossiers sources un an après chaque rapport annuel.

Les chercheurs relèvent que les informations sur les « complications cliniques », « y compris sur les personnes dont le décès a été prolongé ou qui ont repris conscience » (cf. Euthanasie : une mort douce ?), étaient « souvent absentes ». Ces données manquaient en effet pour 206 des 278 « décès assistés » en 2022, soit près des trois-quarts des dossiers. Les médecins n’étant pas tenus d’être présents lors de l’administration des substances létales, « les rapports dépendent des informations fournies par les personnes présentes à ce moment-là ».

En outre, des « informations clés » sur la manière dont les décisions sont prises ou sur les raisons qui les motivent, « l’efficacité des médicaments létaux utilisés », et la mesure dans laquelle les patients ont pu bénéficier de soins palliatifs [4] « n’étaient même pas collectées ». Ils n’ont pas non plus pu recueillir de données détaillées sur les demandes rejetées.

Au cours de la période, la proportion de personnes ayant une assurance maladie privée a chuté de 65% à 20%. En 2022, 80% d’entre eux avaient une assurance maladie publique [5].

Le cancer moins souvent invoqué, la peur d’être un « fardeau » en augmentation

Le cancer est le diagnostic le plus fréquent qui conduit à une demande de suicide assisté. Néanmoins, de 80% des cas les cinq premières années de la légalisation, il n’a été invoqué que par 64% des patients en 2022.

La crainte d’être un « fardeau » est, elle, en augmentation. Mentionnée par 30% des personnes au début de la légalisation[6], elle est citée dans 46% des cas en 2022.

Le délitement de la relation patient médecin

Les demandes d’évaluation psychiatrique ont également baissé « de façon constante ». Ainsi, au cours des trois premières années d’application de la législation, les médecins ont demandé une évaluation psychiatrique dans 28% des cas en moyenne. En 2003, ce chiffre était tombé à 5% et, en 2022, seulement 1% des patients ont fait l’objet d’une évaluation psychiatrique.

En outre, l’étude a montré que la durée de la relation médecin-patient a diminué au fil du temps, passant de 18 semaines en moyenne en 2010 à 5 semaines en 2022. Cela « peut avoir rendu plus difficile l’identification des facteurs traitables influençant le désir de mourir » pointent les chercheurs.

« Bien que l’Oregon produise régulièrement des rapports détaillés sur les décès, il existe des lacunes considérables dans les données de tous les Etats américains. Plus important encore, il n’existe aucune forme de contrôle de la qualité de la consultation au cours de laquelle la décision a été prise de prescrire des médicaments létaux », concluent les chercheurs.

 

[1] Oregon Death with Dignity Act access: 25 year analysis, BMJ Supportive & Palliative Care (2023). DOI: 10.1136/spcare-2023-004292

[2] Death with Dignity Act

[3] Le pronostic vital doit être inférieur à 6 mois.

[4] En 2022, 92% des personnes ayant demandé à recourir au suicide assisté étaient inscrites dans un centre de soins palliatifs, la moyenne pour la période 1998-2020 étant de 91 %. Mais « aucune information n’était disponible sur les services fournis, ni par qui, ce qui rend difficile d’évaluer si des soins palliatifs adéquats ont été reçus avant la mort assistée », expliquent les chercheurs.

[5] Medicare ou Medicaid

[6] Moyenne sur les 5 premières années

Source : Medical Xpress, British Medical Journal (03/10/2023)

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