Deuxième jour d’auditions pour la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie. Une journée « dense » comme l’a reconnu sa présidente Agnès Firmin Le Bodo.
Les médecins attachés à la clause de conscience, comme les infirmiers
Ce sont les ordres professionnels qui ont ouvert le bal des auditions ce mardi. « Le médecin ne doit pas donner délibérément la mort », réaffirme le Dr François Arnault, président du Conseil national de l’ordre des médecins. Le serment d’Hippocrate doit demeurer (cf. L’Ordre des médecins « pas favorable » à l’euthanasie). L’Académie de médecine, auditionnée en fin de matinée, indique quant à elle être prête à le faire évoluer « pas à pas » (cf. Avis de l’académie de médecine sur la fin de vie : « un passage en force inacceptable »).
Les infirmiers gardent eux aussi les digues. Sylvaine Mazière-Tauran, présidente du Conseil national de l’ordre des infirmiers, affirme que l’« aide à mourir » « percute notre code de déontologie qui demande d’être au service des malades, de protéger la vie ». « L’accompagnement à la mort est en contradiction avec le code de déontologie », souligne-t-elle (cf. Fin de vie : les infirmiers craignent « une fuite accentuée des soignants »).
Elle réaffirme donc le droit à la clause de conscience des infirmiers. Pour le Dr Arnault, cette clause est « incontournable ». Lors de la table ronde des fédérations hospitalières, le Pr Olivier Guérin, conseiller médical de la Fehap [1] indique souhaiter aussi que la clause de conscience puisse s’appliquer à l’échelle d’une équipe de soignants. En revanche, les pharmaciens ne la réclament pas. Comme l’a estimé le Conseil d’Etat dans son avis (cf. « Aide à mourir » : les pharmaciens et les établissements exclus de la clause de conscience), le Conseil national de l’ordre des pharmaciens, qui soutient le projet de loi, estime que le rôle pharmacien n’est pas « assez direct » pour risquer de heurter sa conscience. Pourtant, ne s’agit-il pas de fournir la substance qui mettra fin à la vie du patient ? Agissant sur « prescription médicale », le Conseil national de l’ordre des pharmaciens semble s’en laver les mains.
Les pharmaciens objecteurs risquent pourtant une sanction disciplinaire allant de l’avertissement à l’interdiction d’exercer, précise Carine Wolf-Thal, présidente de l’ordre des pharmaciens. Ce qui est déjà le cas avec le refus de délivrance de la pilule du lendemain, rappelle-t-elle.
Des avis « pour la forme »
Le Conseil économique, social et environnemental (CESE), comme la Haute autorité de santé (HAS) semblent avoir été auditionnés pour la forme. Quand le CESE rappelle son avis de 2023, favorable au projet de loi (cf. Fin de vie : nouvel avis du CESE en faveur de l’euthanasie et du suicide assisté), la HAS indique n’avoir pas vocation à « se substituer au débat sociétal ». Mais à y contribuer ?
Dans le cadre du projet de loi relatif à la fin de vie, la HAS a été saisie pour qu’elle établisse des recommandations de « bonnes pratiques » quant à l’utilisation des substances létales, et Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, l’a également saisie le 22 avril pour contribuer à éclairer la notion de « moyen terme ». Ces recommandations seront élaborées d’ici « fin 2024 ». Une échéance que déplore Gilles Le Gendre, député Renaissance. Les Parlementaires n’en auront en effet pas connaissance au moment des débats alors qu’elles portent sur des éléments capitaux.
Une table ronde sur les enjeux éthiques pour clore la journée
La dernière audition de la journée a rassemblé cinq intervenants interrogés sur les enjeux éthiques : le Dr François Blot, médecin réanimateur, président du comité d’éthique de l’Institut Gustave Roussy, Valérie Depadt, maître de conférences en droit privé et conseillère de l’Espace éthique Ile-de-France, le Dr Véronique Fournier, fondatrice du centre d’éthique clinique de l’AP-HP, ancienne présidente du CNSPFV, le Pr Fabrice Gzil, professeur associé de philosophie et d’éthique à l’Université Paris-Saclay, co-directeur de l’Espace éthique Ile-de-France, ainsi que le Pr Emmanuel Hirsch, professeur émérite d’éthique médicale de l’Université Paris-Saclay.
Une table ronde quasiment à l’unisson. Même si Fabrice Gzil a fait part de réserves et invité à la prudence, seul Emmanuel Hirsch a fait entendre une voix véritablement dissonante.
Alors que le Dr Fournier appelle à supprimer dès à présent le critère de pronostic vital engagé à court ou moyen terme, une proposition « vertigineuse » selon la députée LR Annie Genevard, et que le Dr Blot se déclare favorable à des conditions « moins restrictives », Emmanuel Hirsch donne l’alerte. Déjà la veille, Jean-François Delfraissy, président du CCNE, présentait ce texte comme une « étape », rappelle le professeur. Emmanuel Hirsch, s’appuyant sur les révisions successives de la loi de bioéthique et l’expérience des pays ayant légalisé l’euthanasie, pointe la fragilité de l’encadrement.
Une « insulte » envers les professionnels de santé
Dans un contexte de crise du monde soignant, « la conséquence la plus évidente sera probablement de démotiver les professionnels qui sont le plus attachés à une conception humaniste du soin », prévient le professeur (cf. Fin de vie : 22 % des médecins en soins palliatifs se disent prêts à démissionner). « Envisager dans le contexte actuel, comme seule urgence de santé publique, de dépénaliser l’euthanasie et proposer le suicide assisté, a quelque chose d’une insulte » envers les professionnels de santé, dénonce-t-il.
Comme dans le projet de loi, il aura été bien peu question ce mardi de soins palliatifs, habilement renommés en « soins d’accompagnement » (cf. « Soins d’accompagnement » : médecins et infirmiers opposés au changement de terminologie), afin de laisser penser qu’il existerait un continuum entre soins palliatifs et « aide à mourir ». Certains professionnels auront toutefois tenté de rappeler leur importance. Mais ces auditions le montrent : l’objectif du projet de loi est la légalisation de l’« aide à mourir », pas le développement des soins palliatifs.
« Derrière cette loi, et je le dis avec gravité, on est en train de remettre en cause l’éthique et les valeurs du soin », alerte Emmanuel Hirsch. « Cela dit beaucoup de la vie de notre démocratie que d’être préoccupés comme d’une urgence absolue de la question de la fin de vie, là où les gens revendiquent d’abord d’exister dans notre cité » analyse le professeur d’éthique médicale.
[1] Fédération des Établissements Hospitaliers et d’Aide à la Personne privés solidaires