Chimères : Quels risques éthiques ?

Publié le 23 Déc, 2022

Depuis la révision de la loi de bioéthique de 2021, des cellules souches humaines, embryonnaires ou pluripotentes induites, peuvent être insérées, sur la base d’une simple déclaration, dans un embryon animal, pouvant être transféré ensuite chez la femelle (cf. Projet de loi bioéthique : « Oui, les chimères ont raison d’effrayer »). Le contraire est interdit par l’article L2151-2 du code de la santé publique qui prohibe l’introduction dans un embryon humain de cellules en provenance d’une autre espèce.

Au niveau européen, une directive de l’Union européenne de 1998 interdit « toute utilisation industrielle et commerciale des embryons humains ». En revanche, elle ne donne aucune indication en matière de recherche sur les embryons. La Commission ne finance pas les recherches impliquant la destruction d’embryons et l’isolement de nouvelles lignées de cellules souches embryonnaires humaines, mais, autorise le financement de projets utilisant des cellules souches embryonnaires issues de ces procédés.

Quant à la Société internationale pour la recherche sur les cellules souches (ISSCR), elle recommande l’interdiction de transfert d’un embryon chimère chez l’humain ou le singe ainsi que les recherches impliquant la reproduction des chimères ou la formation de gamètes humains (cf. Recherche sur l’embryon : plus aucune limite ?).

Différentes alternatives ?

« Les problèmes éthiques que posent les chimères ne résident sans doute pas tant dans les objectifs thérapeutiques visés que dans les moyens d’y parvenir et les risques encourus » selon le rapport de l’Institut européen de bioéthique sur le sujet.

Les cadres législatifs pour l’expérimentation sont peu nombreux et diffèrent selon les pays de telle sorte que les chercheurs fixent eux-mêmes leur « degré de chimèrisme » (cf. Des embryons chimères singe-homme créés en Chine). Cependant, le cadre légal et une délibération publique sont nécessaires (cf. Chimères animal-homme : « Une folie menée au nom de la liberté de la recherche »). Avant que des chimères animal-homme ne dépassent le cap de la naissance, il faudrait établir « un statut moral et juridique clair », pointe l’Institut.

Il insiste sur la nécessité de respecter le principe de proportionnalité, mis en place par Herméren [1], qui repose sur quatre piliers dont l’importance de l’objectif, la pertinence des moyens, l’option la plus favorable et la non-excessivité. En l’espèce, les chimères contribueraient à une connaissance plus précise du développement embryonnaire, permettraient de rechercher des traitements (cf. Des chimères souris-homme pour étudier des tumeurs cérébrales) et pourraient être utilisées pour des greffons (cf. Chimères : vers des reins humains fabriqués sur commande ?, Des chimères pour pallier le manque de greffons pulmonaires ?). Or, d’autres alternatives sont envisageables comme le don d’organes entre humains, les organes de synthèses ou les prothèses et des dispositifs de dialyse ou d’oxygénation portable. De plus « l’incertitude quant à la réussite de l’expérimentation et le risque élevé de rejet ne sont-ils pas suffisants pour s’y opposer ? » s’interrogeait Elio Sgreccia dans son manuel de bioéthique [2] à propos de la xéno-transplantation.

Des préoccupations éthiques

Un rapport que vient de publier le Hastings Center « sur l’éthique du franchissement des frontières entre espèces »[3] souligne « des préoccupations éthiques » en dépit des « énormes avantages » espérés par certains (cf. Embryons chimères animal-homme : « Ces recherches posent la question de l’avenir de notre humanité »).

D’après cette analyse, « le bien-être animal est une question éthique primordiale [qui] devrait être au centre de l’analyse éthique et politique ainsi que de la gouvernance et de la surveillance de la recherche chimérique ». L’Institut européen de bioéthique s’interroge aussi car « produire expressément des créatures dépourvues de leur propre équilibre naturel, n’est-ce pas traiter ces êtres vivants de façon indigne ? »(cf. Chimères hommes-animaux : des associations de défense des animaux s’insurgent)

Quant à l’homme, « il est moralement obligé vis-à-vis de cette humanité et n’en dispose pas arbitrairement ». Or, le rapport produit par le Hastings Center indique que les chimères « soulèvent la possibilité de dommages uniques ou nouveaux résultant de l’insertion et du développement de cellules souches humaines chez des animaux non humains, en particulier lorsque ces cellules se développent dans le cerveau et le système nerveux central » (cf. Les chimères, une pratique séduisante mais dangereuse). Un risque « de représentation humaine chez l’animal » dont s’inquiète l’Institut européen de bioéthique (cf. Les chimères singes-hommes des chercheurs source d’inquiétude, Débats éthiques autour d’embryons chimériques singe-homme).

Le rapport du Hastings Center déplore aussi « une communication publique minime » et la nécessité d’un « langage précis et accessible » (cf. Projet de loi bioéthique : « Oui, les chimères ont raison d’effrayer »).

 

[1] G. Herméren, « The principle of proportionality revisited : interpretations and applications », Med. Health Care. Philos, 2012, n°15, pp. 373-82.

[2] Manuel de Bioéthique, Les fondements et l’éthique biomédicale, « le cas de la xénotransplantation », ed. Mame EDIFA, 2004.

[3] Josephine Johnston et al, Clarifying the Ethics and Oversight of Chimeric Research, Hastings Center Report (2022). DOI: 10.1002/hast.1427

Sources : Institut européen de bioéthique (08/2022) ; Phys.org, Hastings Centre  (12/12/2022) – Photo : Pixabay

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