Mercredi 26 mai, la Société internationale de recherche sur les cellules souches (ISSCR) a publié de nouvelles recommandations en termes de culture d’embryons humains in vitro. Pour les 45 membres de l’ISSCR[1] à l’origine de ces recommandations, la limite de 14 jours en vigueur actuellement « doit être allongée pour faire progresser les connaissances ». Aucune nouvelle limite n’est proposée.
En France, le projet de loi de bioéthique en cours de discussion par le Parlement prévoit d’allonger la durée autorisée pour la culture des embryons in vitro de 7 à 14 jours. Dans une version intermédiaire, le Sénat avait donné son accord pour une durée de 21 jours.
L’origine de la règle des 14 jours
En 1982, le gouvernement britannique constitua une commission d’enquête sous la présidence de Mary Warnock. Elle était chargée d’ « examiner les progrès récents et potentiels dans le domaine de la médecine et de la science concernant la fécondation et l’embryologie humaine, d’étudier la politique et les garanties qui devraient être instituées, en évaluant notamment les répercussions sociales éthiques et juridiques de ces progrès », et de faire des recommandations.
Dans le rapport publié en 1984, l’embryon humain aux premiers stades de son développement a été qualifié d’« être humain potentiel ». « L’un des points de référence dans le développement de l’individu est la formation de la gouttière primitive. La plupart des spécialistes la situe environ vers le 15ème jour après la fécondation », y lit-on.
Ainsi, le rapport s’appuie sur l’apparition de la ligne primitive, qui précède l’apparition de la formation du tube neural par la différenciation en trois tissus. Cette apparition indiquerait que les cellules destinées à construire l’embryon proprement dit se seraient désormais différenciées des cellules qui formeront les tissus placentaires et les enveloppes protectrices. Mais la ligne primitive ne représente que le point d’arrivée d’un processus ordonné de façon séquentielle, qui a commencé au moment de la formation du zygote. La ligne primitive n’apparait pas à l’improviste, séparée du processus de développement, mais fait partie au contraire de ce processus. Il est donc difficile de faire de cette apparition un stade principal, initial, dans le développement du futur enfant.
La pression des scientifiques
Se refusant à définir le statut de l’embryon humain, la Commission Warnock, dans une perspective pragmatique, a déterminé la manière dont il devait être traité. Dans son rapport, le Comité reconnaît l’impossibilité de fixer des « seuils » dans l’évolution continue de l’embryon humain[2], mais il conclut en disant que, considérant la variété des opinions existantes sur le statut éthique de l’embryon, il opte lui-même pour une « vue strictement utilitariste » : il adopte la limite des quatorze jours, favorisée par la British Medical Association, comme le seuil légal au-delà duquel on ne pouvait plus expérimenter sur l’embryon humain, ou prolonger le séjour d’un embryon humain in vitro.
Par définition, une vision utilitariste est vouée à évoluer au gré des attentes des utilisateurs. « Quand cette limite a été proposée il y a près de 40 ans, personne n’était capable de cultiver des embryons humains au-delà de 5 jours et quelques. Mais aujourd’hui, elle nous empêche d’étudier une période cruciale (du développement de l’embryon), entre 14 et 28 jours », appuie Robin Lovell-Badge, chercheur au Francis Crick Institute de Londres et responsable du groupe à l’origine de ces recommandations.
Au cours des derniers mois, la pression s’est faite plus forte avec l’annonce de chercheurs ayant annoncé avoir créé in vitro ce qu’ils ont nommé des « blastoïdes » humains, embryons humains à un stade précoce, sans passer par l’étape de la fécondation (cf. Embryoïdes, blastoïdes, MEUS : des embryons créés pour la recherche ; Des embryons humains créés à partir de cellules souches embryonnaires humaines), échappant ainsi au cadre légal de la recherche sur l’embryon humain.
Des limites qui n’en sont plus
Représentant un obstacle au développement des techniques de procréation médicalement assistée et de la recherche, le statut de l’embryon humain a été adapté aux « besoins ». Ainsi, en s’appuyant sur le refus de voir dans l’embryon préimplantatoire humain un véritable embryon devant être respecté et protégé, peuvent être acceptées les destructions embryonnaires liées à la pratique de la fécondation in vitro ou à la recherche, qui se cachent parfois derrière l’exploitation des CSEh[3]. Pourtant ces cellules sont bel et bien dérivées d’un embryon, et constituent son être aux premiers stades de son développement. Les utiliser implique donc la destruction de l’embryon.
Les nouvelles recommandations de l’ISSCR ouvrent la porte à la création d’embryons génétiquement modifiés « un jour si cela s’avère sûr et résout un problème médical important » (cf. Editer le génome : des conséquences imprévisibles ?). Et n’excluent pas la naissance de chimères animal-homme, après gestation par la femelle (cf. Débats éthiques autour d’embryons chimériques singe-homme). Une vision définitivement utilitariste qui ne peut que susciter les plus grandes craintes.
[1] International Society for Stem Cell Research
[2] « Ainsi, du point de vue biologique, il n’existe pas une étape spécialement repérable dans le développement de l’embryon au-delà de laquelle l’embryon in vitro ne devrait pas être conservé en vie. Nous sommes cependant convenus que c’était un domaine dans lequel une décision précise devait être prise pour répondre aux inquiétudes du public » (RW, 11.19)
[3] Cellules souches embryonnaires humaines
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