Chimères : des chercheurs chinois font naître un macaque fluorescent

Publié le 10 Nov, 2023

Une équipe de chercheurs chinois a fait part de la naissance d’un singe « chimérique ». Contenant « une forte proportion de cellules dérivées d’une lignée de cellules souches de singe », l’animal est issu de cellules provenant de deux embryons génétiquement distincts de la même espèce : le macaque cynomolgus. Ce type d’expérience, déjà mené chez le rat ou la souris, n’avait pas encore abouti chez d’autres espèces, dont les primates non humains. Ces travaux ont été publiés dans la revue Cell [1].

71 embryons, 12 gestations, 6 naissances, 1 chimère

Pour arriver à leurs fins, les chercheurs ont développé neuf lignées de cellules souches à partir de cellules prélevées sur des embryons au stade de blastocyste, âgés de sept jours. Ils ont ensuite placé les lignées cellulaires en culture pour leur donner une plus grande capacité à se différencier en différents types de cellules. « Chez les primates, il faut que les cellules souches soient amenées à un état qu’on appelle naïf, dans lequel elles sont capables de s’intégrer efficacement à l’intérieur de l’embryon où on les injecte », explique John De Vos, professeur au CHU de Montpellier.

Après avoir vérifié la pluripotence des cellules, les scientifiques les ont marquées avec une protéine fluorescente verte afin de pouvoir déterminer quels tissus s’étaient développés à partir des cellules souches chez les animaux qui avaient survécu.

Ils ont enfin sélectionné des cellules souches à injecter dans des embryons de singe au stade de la morula, c’est-à-dire âgés de de quatre à cinq jours. Après avoir « travaillé » sur 71 embryons, 40 ont été implantés dans des macaques femelles, ce qui a donné lieu à 12 grossesses et 6 naissances vivantes.

Un macaque « chimérique »

L’analyse a confirmé qu’un singe né vivant, et un fœtus mort au cours de son développement, étaient « en grande partie chimériques ». En effet, ils présentaient des cellules développées à partir des cellules souches dans l’ensemble de leur corps. Les deux étaient de sexe masculin.

Les chercheurs ont utilisé la protéine fluorescente verte pour déterminer quels tissus contenaient des cellules dérivées des cellules souches injectées. Ils ont également utilisé le séquençage génétique et d’autres tests pour confirmer la présence de tissus dérivés de cellules souches dans différents organes.

Les scientifiques ont pu retrouver des cellules dérivées de cellules souches dans le cerveau, le cœur, les reins, le foie et le tractus gastro-intestinal des animaux. Chez le singe vivant, la contribution des cellules souches dans les différents types de tissus allait de 21 % à 92 %, avec une moyenne de 67 % pour les 26 types de tissus testés. Les chiffres étaient plus faibles chez le fœtus de singe.

En outre, chez les deux animaux, ils ont confirmé la présence de cellules dérivées de cellules souches dans les testicules et dans les cellules qui se transforment en spermatozoïdes.

Le seul singe « chimérique » à être né n’était pas en bonne santé. « Souffrant d’hypothermie et de problèmes respiratoires, il a dû être euthanasié au bout de 10 jours seulement ».

Une étape

Jusque-là, les chercheurs travaillant à la naissance de singes chimériques ne produisaient que de « rares embryons » comptant de 0,1 % à 1 % de cellules nouvelles. Aucune naissance n’avait été obtenue. « Jusqu’à cet article dans Cell, cet objectif était de la science-fiction, affirme Pierre Savatier, chercheur à l’Inserm. Là, ils ont découvert un milieu de culture particulier qui donne aux cellules souches de macaque la capacité de coloniser l’embryon avec une très grande efficacité. »

« Cette étude nous permet d’approfondir notre compréhension du potentiel de développement des cellules souches pluripotentes chez les espèces de primates », explique Miguel Esteban, chercheur à l’Académie chinoise des sciences et au BGI (cf. CyDENT : un éditeur de base « made in China »). « À l’avenir, nous essaierons d’améliorer l’efficacité de cette méthode pour générer des singes chimériques en optimisant les conditions de culture des cellules souches, les cultures des blastocystes où les cellules souches sont insérées, ou les deux », ajoute Qiang Sun de l’Académie des sciences.

Modéliser des maladies

Pour Zhen Liu de l’Académie chinoise des sciences, auteur principal de l’étude, « ce travail pourrait nous aider à générer des modèles de singe plus précis pour l’étude des maladies neurologiques ainsi que pour d’autres études biomédicales » (cf. Débats éthiques autour d’embryons chimériques singe-homme).

En effet, « s’il est aussi possible en théorie de modifier directement un embryon animal avec la technique des ciseaux génétiques Crispr-Cas9 », cela « engendre des mutations non voulues et d’autres défauts qui nécessitent de modifier des centaines d’embryons avant d’obtenir une lignée animale propre », indique Pierre Savatier. Cela « entraîne un coût exorbitant avec des singes ».

« Malgré des pressions de plus en plus en fortes par certains lobbys en Europe contre l’expérimentation animale, en particulier sur les primates, il reste aujourd’hui impossible de se passer d’animaux pour de nombreuses recherches biomédicales », affirme le chercheur (cf. Projet de loi bioéthique : « Oui, les chimères ont raison d’effrayer »)

 

[1] Live Birth of Chimeric Monkey with High Contribution from Embryonic Stem Cells, Cell (2023). DOI: 10.1016/j.cell.2023.10.005.

Sources : Medical Xpress, Cell Press (09/11/2023) ; Le Figaro, Cyrille Vanlerberghe (09/11/2023)

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