Greffes, PMA, recherche sur l’embryon, IA : l’OPECST auditionne l’ABM

Publié le 18 Jan, 2024

L’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques (OPECST), un organe commun aux deux chambres, auditionnait ce jeudi l’Agence de la biomédecine (ABM). L’Office est en effet missionné pour évaluer la mise en œuvre de la loi de bioéthique tous les 4 ans[1].

Marine Jeantet, directrice de l’Agence, assistée du Pr Michel Tsimaratos, son directeur scientifique, ont présenté un bilan des activités ainsi que leurs perspectives. La dernière audition datait de 2018.

Transplantations : une « pénurie » d’organes liée à différents facteurs

Le premier sujet abordé a été celui du don d’organes. La directrice de l’ABM a voulu alerter sur la « pénurie » actuelle : chaque jour on recense 15 greffes, mais également 23 nouvelles inscriptions sur la liste d’attente et 2,3 décès.

Face à cette situation Marine Jeantet déplore un taux d’opposition en augmentation, 36,1% en 2023 (cf. Dons d’organes en France : l’opposition augmente, les prélèvements Maastricht III aussi). Elle relève au passage qu’on peut observer une certaine corrélation avec la « colère sociale » : des « pics d’inscriptions » au registre national des refus de dons d’organes ont été observés au moment de la mise en œuvre de dispositions telles que la mise en place du pass sanitaire ou la réforme des retraites. Elle pointe également le « facteur religieux », indiquant vouloir y « travailler ».

La directrice de l’ABM soulève aussi la « situation dramatique des hôpitaux » qui a un impact sur la situation. « Il y a des CHU qui ont un tiers de leurs blocs qui sont fermés », relève-t-elle.

Parmi les pistes qu’elle envisage, « la valorisation financière » des prélèvements d’organes pour les établissements, sur le « modèle espagnol ». En revanche, la xénogreffe n’est pas une solution à la pénurie d’organes souligne le Pr Michel Tsimaratos : « pas suffisamment fiable » et « très chère », la technique étant « captive » d’une entreprise américaine (cf. Greffe de cœur de porc : décès du 2e patient transplanté).

PMA : une double « révolution »

En matière de PMA, la demande générée par l’instauration de la « PMA pour toutes » n’a « pas été tout à fait anticipée », fait remarquer Marine Jeantet. Une véritable « révolution » estime-t-elle. La demande a en effet été multipliée par huit, et « ne faiblit pas ». Ce « nouveau public »[2] représente 80 % de la liste d’attente sur les parcours d’AMP. Marine Jeantet insiste : « On ne s’attendait pas à ce que des femmes aussi jeunes fassent un parcours d’AMP […] On a quand même 7 % de femmes qui ont moins de 29 ans ».

En dépit de campagnes de communication « atypiques » (cf. L’ABM en campagne pour le don de gamètes), les gamètes manquent. La directrice de l’ABM envisage sans fard la « question de l’importation », si la situation venait à perdurer [3].

Autre « révolution » soulignée par Marine Jeantet, l’autorisation de l’autoconservation des ovocytes sans raison médicale. Pour la directrice de l’ABM, il s’agira à terme d’une « routine » à laquelle les femmes auront recours passé 30 ans, mais aussi d’une opportunité. Elle estime en effet que ces ovocytes pourraient alimenter le stock de gamètes si les femmes ne les utilisent pas pour elles-mêmes [4].

Face aux longues listes d’attente actuelles, qui poussent parfois les femmes à « s’expatrier en Espagne ou en Belgique », Marine Jeantet explique que l’ouverture de cette activité aux centres privés irait dans « le sens de l’histoire ». Elle se justifie en invoquant l’absence de la notion de « don », et en expliquant que les femmes se déplacent déjà à l’étranger, dans des centres privés, et que la procédure est prise en charge par l’Assurance maladie [5].

L’IA déjà déployée dans de nombreux domaines

Calculs de « score » pour l’allocation de greffons, analyse morphologique des embryons in vitro pour sélectionner le « meilleur » à implanter, séquençage du génome de l’embryon dans le cadre du dépistage prénatal, pour le Pr Michel Tsimaratos, l’intelligence artificielle est désormais « utilisée en routine ».

Il aborde aussi la question des neurosciences sur laquelle l’ABM effectue une « veille stratégique ». C’est « le moment où il faut prendre des décisions », prévient le professeur, évoquant la question des « neurodroits » (cf. Le Chili veut garantir les droits du cerveau).

Recherche sur l’embryon : entre élargissements et incompréhensions

Marine Jeantet annonce vouloir créer une « banque publique de cellules iPS ». Les structures actuelles sont toutes privées, affirme-t-elle, ce serait un moyen de « valoriser l’excellence de la recherche française » (cf. Recherche sur l’embryon : pour quoi ?).

La directrice de l’ABM se réjouit des dernières évolutions de la loi de bioéthique : les « ajustements » sont « plutôt intéressants ». Elle indique que 13 déclarations d’utilisation de cellules souches embryonnaires ont été instruites, ainsi que 7 déclarations de conservation. Sans recours à des experts extérieurs, la procédure est plus rapide. L’examen des dossiers est-il suffisant (cf. Embryons génétiquement modifiés : le Conseil d’Etat désavoue l’ABM) ?

La directrice de l’ABM attire aussi l’attention de l’OPECST sur le récent avis de l’Agence portant sur les « modèles embryonnaires » (cf. Embryoïdes : l’ABM propose une « troisième voie » pour « encadrer » les recherches). Il faudrait pouvoir « adapter la loi », sans la « lourdeur » d’une révision totale de la loi de bioéthique, demande-t-elle.

Par sa question finale, le premier vice-président de l’OPECST surprend. « Est-ce qu’on ne pourrait pas penser dès maintenant à une conservation de ses cellules souches embryonnaires pour chaque individu, pour qu’elles puissent l’accompagner tout au long de sa vie ? Et pourquoi pas 80 ans après sa naissance, que cela puisse bénéficier à l’individu en personne ? » Le directeur scientifique de l’ABM choisira de répondre sur la question des cellules souches présentes dans le sang de cordon, ne relevant pas que le député ignore que « ses » cellules souches embryonnaires sont devenues un embryon, puis un enfant, puis l’adulte qui participe à cette audition.

Dès lors on s’interroge : les parlementaires qui ont « assoupli » le régime de recherche sur l’embryon en 2021, n’exigeant plus qu’une simple déclaration pour les recherches sur les cellules souches embryonnaires, avaient-ils conscience de ce qu’ils votaient ?

Complément du 30/01/2024 : L’arrêté fixant pour 2024 le montant de la dotation des régimes obligatoires d’assurance maladie versé à l’Agence de la biomédecine est paru. Le montant est fixé à 53 440 000 €. En 2023, il était de 52 180 000 €.

 

[1] Le texte doit lui être révisé tous les 7 ans

[2] Femmes homosexuelles et femmes célibataires

[3] Actuellement, une femme qui a effectué une PMA à l’étranger et qui souhaite avoir un autre enfant issu du même donneur peut demander à faire importer ses gamètes.

[4] Marine Jeantet cite une étude qui indique que seules 40% des femmes y ont finalement recours (cf. PMA : beaucoup de femmes n’utilisent pas leurs ovocytes congelés)

[5] Elle précise que 50% des procédures de PMA sont effectuées au sein de centres privés.

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