Embryoïdes : l’ABM propose une « troisième voie » pour « encadrer » les recherches

Publié le 11 Oct, 2023

Suite à la multiplication des travaux sur le sujet (cf. « Embryons de synthèse » humains : les annonces se multiplient) et à la veille des rencontres de la biomédecine, l’Agence de la biomédecine (ABM) a publié un avis adopté par son Conseil d’orientation relatif à la recherche sur les « embryoïdes ».

Une « troisième voie »

Le développement de la recherche sur les embryoïdes, aussi appelés « embryons de synthèse » ou « modèles embryonnaires » suscite de nombreuses questions éthiques (cf. Recherche sur l’embryon : l’ISSCR joue sur les mots). Ces embryoïdes ne sont pas issus de la fusion de gamètes mais produits à partir de cellules souches, embryonnaires[1] ou iPS. Dès lors quel statut leur accorder ?

Le Conseil d’orientation de la biomédecine propose une « troisième voie » au législateur : « entre celle concernant les CSE et les cellules iPS, qui serait trop permissive, et celle concernant les embryons, qui serait trop contraignante » (cf. Recherche sur l’embryon humain : une autorisation de l’ABM annulée pour ne pas avoir donné la priorité à la recherche sur l’animal)[2].

Les préconisations de l’ABM

Ainsi, l’ABM préconise d’autoriser la culture des « embryoïdes intégrés »[3] jusqu’à 28 jours, tout en se prononçant contre l’extension de la culture d’embryons au-delà de 14 jours [4]. Le Conseil d’orientation justifie cette limite par le développement du cerveau et « la période d’apparition du ressenti de la douleur, voire de la conscience », pour lesquelles « les données actuelles la situent au-delà de la 20ème semaine, plutôt vers la 24ème » (cf. Mini-cerveaux cultivés en laboratoire : un problème de conscience ?).

Au-delà de 14 jours, l’Agence pointe « la nécessité d’une vigilance proportionnellement accrue pour les protocoles » de recherche sur les « embryons de synthèse ». Pourtant, elle rappelle en parallèle que le développement de l’embryon, « du zygote à la naissance », est un véritable continuum « dont toute segmentation revêt un caractère artificiel ».[5] En serait-il autrement pour les embryoïdes, pourtant fabriqués afin de constituer des « modèles » de l’embryon ?

En outre, « les embryoïdes humains doivent être utilisés exclusivement pour des objectifs de recherche scientifique », estime l’Agence de la biomédecine. « Leur implantation in vivo doit demeurer proscrite. »

Le Conseil d’orientation invite aussi à actualiser les formulaires d’information et de consentement, notamment pour les personnes acceptant de donner des cellules somatiques avec l’objectif de générer des cellules iPS, puisque celles-ci pourraient servir à fabriquer des embryoïdes.

Une « alternative éthique » à la recherche sur l’embryon ?

« Les modèles embryonnaires étant formés à partir de cellules souches et ne nécessitant pas la destruction récurrente d’embryons, ils sont souvent présentés comme une alternative éthique à l’usage des embryons pour la recherche », indique l’avis.

Il est heureux que l’ABM reconnaisse la « destruction récurrente d’embryons » comme un problème éthique. La promotion de la recherche sur l’embryon, et le nouveau régime de recherche sur les CSEh, qui implique la destruction d’embryons, étant leur être même au début du développement, semblent toutefois indiquer le contraire (cf. [Infographie] : ce que contient la loi de bioéthique 2021).

Mais l’avis indique qu’« il [est] admis qu’en l’état actuel des connaissances », « après amélioration des protocoles [les embryoïdes] pourraient acquérir la capacité de former un fœtus, voire un nouveau-né ». « On peut supposer qu’au vu des progrès scientifiques rapides observés dans ce domaine, les embryoïdes animaux auront acquis dans un futur proche des propriétés qui ne permettront plus de les distinguer des embryons conçus naturellement », note encore l’ABM. Pourquoi dès lors devraient-ils avoir un statut différent des embryons ? Le principe de précaution, mentionné par le Conseil, ne devrait-il pas conduire à la plus grande prudence ?

Un statut qui dépend de l’intention ?

Selon le Conseil de l’ABM, « l’origine de la genèse » des embryoïdes n’étant pas la fusion de gamètes, il ne peut pas s’agir d’embryons. Lors du troisième sommet mondial sur l’édition du génome humain, un chercheur japonais, le professeur Katsuhiko Hayashi, de l’université de Kyushu, a annoncé être parvenu à fabriquer des ovocytes à partir de cellules de souris mâles (cf. Des souriceaux nés de deux « pères »). Un processus qui a impliqué la technique de reprogrammation des cellules iPS et a donné naissance à sept souriceaux qui « semblaient en bonne santé ». Ces souris ont eu « une durée de vie normale » et une descendance à l’âge adulte. N’étaient-ils pas de vrais souriceaux ?

Mais le Conseil d’orientation n’est pas à cours d’arguments : « l’embryon est jugé comme tel car il fait partie d’un projet parental initial ». « Même dans le cadre des embryons donnés à la recherche », car « il y a bien eu un projet parental initial ». Un « projet parental » qui ne suffit pourtant pas toujours aux yeux de la justice, même à quatre jours du terme d’une grossesse (cf. Un fœtus meurt dans un accident, « à 4 jours du terme, il n’existe pas »).

L’embryon toujours plus réifié

Selon le Conseil d’orientation, « l’intérêt scientifique des recherches » sur les « embryons de synthèse » est avéré. « Ces embryoïdes ouvrent pour la première fois la possibilité de connaitre et mieux comprendre le début du développement de l’embryon humain. »

Comprendre, avant de rentabiliser : « de nombreuses applications biomédicales peuvent être envisagées, indique l’ABM, meilleure efficience des techniques d’assistance médicale à la procréation ; essais pharmacologiques et toxicologiques ; meilleure compréhension des anomalies du développement et des avortements précoces, avec possibilité d’un traitement préventif ; mise au point de thérapies cellulaires, etc. »

« Le Conseil d’orientation insiste sur le fait que les réflexions et avis que l’on peut donner aujourd’hui ne sont valables qu’en considérant l’état actuel des connaissances et ne le seront probablement plus demain, a-t-il voulu préciser en préambule. Les réflexions devront évoluer en fonction de l’évolution des techniques. » Pour toujours plus libéraliser.

Complément du 19/10/2023 : Pour Jacob Hanna, dont les travaux sur le sujet sont les plus avancés (cf. « Embryons de synthèse » humains : les annonces se multiplient) : « C’est très limitant de n’aller que jusqu’à vingt-huit jours ». « Je pense que nous devons atteindre la fin des stades d’organogenèse à cinquante jours, indique-t-il. Cela nous donnera infiniment plus d’informations critiques. »

Un point de vue qui serait « assez isolé » selon Nicolas Rivron, de l’Institut de biotechnologie moléculaire de l’Académie des sciences d’Autriche, « un des pionniers de l’étude des embryoïdes, qui a été sollicité comme conseiller scientifique par l’Agence de la biomédecine » (cf. Obtenir un embryon à partir de cellules souches, une alternative faussement éthique).

La Commission européenne travaille à un guide de bonnes pratiques pour les chercheurs de l’UE. L’initiative Hybrida vise à le proposer début 2024.

D’ici là, les recommandations de l’ABM n’ont pas force de loi. Mais pour Nicolas Rivron, il n’est « pas urgent » que les Parlementaires se saisissent du sujet, « pour éviter de figer les choses ». « Un cadre est là, on va pouvoir retourner à la paillasse, pour progresser pas à pas », annonce-t-il. (Source : Le Monde, Hervé Morin (17/10/2023))

 

[1] CSE

[2] « Seule l’Australie assimile les recherches sur les modèles embryonnaires à celles sur les embryons, avec un encadrement plus strict », indique l’avis de l’ABM.

[3] Les « modèles intégrés » « forment toutes les parties embryonnaires et au moins une partie des différentes annexes extra-embryonnaires (lignée trophoblastique et lignée de l’endoderme primitif) suffisantes pour qu’il soit admis, en l’état actuel des connaissances, qu’après amélioration des protocoles ils pourraient acquérir la capacité de former un fœtus, voire un nouveau-né. Ces modèles intégrés, lorsqu’ils sont complets (blastoïdes) peuvent en effet s’implanter dans un utérus (chez la souris) ou dans des couches de cellules d’endomètre (chez l’humain) et ainsi initier un début de développement post implantatoire ».

[4] Les dernières recommandations éthiques de l’ISSCR ont levé l’interdiction de culture des embryons humains au-delà de 14 jours (cf. Recherche sur l’embryon : plus aucune limite ?). En France, cette limite demeure. Le Conseil d’orientation de l’ABM note toutefois « qu’au Royaume-Uni et aux Pays Bas, les discussions sont avancées et favorables à une extension, et qu’aux Etats-Unis, l’autorisation est déjà donnée dans l’état de New York pour cultiver les embryons au-delà de cette limite. De même, en Asie (Chine, Japon) la perception de l’embryon diffère de celle de beaucoup de pays, notamment européens, et une extension de la culture embryonnaire au-delà de la période de 14 jours pourrait s’envisager d’un point de vue socio-culturel. »

[5] « Du point de vue biologique, on peut dire que le zygote (produit de la fécondation) a toutes les potentialités biologiques pour évoluer en embryon, qui ensuite devient fœtus à la fin de la 8ème semaine (car on considère que l’organogenèse est achevée dans ses grandes lignes), lequel évolue jusqu’à la naissance. Le développement, du zygote à la naissance, constitue ainsi un continuum, dont toute segmentation revêt un caractère artificiel. »

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