Depuis la présentation devant l’ISSCR [1] de Magdalena Zernicka-Goetz, biologiste du développement à l’université de Cambridge (cf. Des « embryons de synthèse » humains fabriqués à partir de CSEh), plusieurs autres équipes ont annoncé avoir développé des « embryons de synthèse » humains [2]. Certains avec des structures extra-embryonnaires [3], d’autres qui ont manifesté un rythme cardiaque.
Pour les scientifiques, il s’agirait d’étudier le développement de l’embryon humain, pour mieux comprendre les malformations congénitales et évaluer la sécurité des médicaments utilisés pendant la grossesse.
La multiplication des travaux
Ainsi, différentes équipes viennent de faire des annonces sur le sujet.
La première étude en date, celle de l’équipe de Magdalena Zernicka-Goetz, a fait l’objet d’une pré-publication [4]. La deuxième équipe lancée dans la course est celle de Jacob Hanna, biologiste à l’Institut Weizmann. Ses travaux ont également fait l’objet d’une pré-publication [5]. Lui aussi explique avoir cultivé un « modèle embryonnaire » à partir de cellules souches embryonnaires humaines (CSEh), jusqu’à un stade équivalent à 14 jours après la fécondation.
Dans les deux cas, les chercheurs ont laissé leurs « structures embryonnaires » s’« auto-assembler » à partir de CSEh, dont certaines avaient été « converties » en cellules semblables à celles formant le placenta ou la vésicule vitelline [6]. Ils ont « interrompu leurs expériences » au bout de 14 jours.
Les deux équipes avaient publié des travaux similaires chez la souris l’année dernière, obtenant un début de formation du cœur et du cerveau (cf. Des « embryons de synthèse » de souris développés dans un utérus artificiel ; Des « embryons de synthèse » de souris obtenus à partir de cellules souches).
« iDiscoides » et « E-assembloïdes »
De son côté, Ali Brivanlou et ses collègues de l’université Rockefeller de New York ont présenté des « modèles » d’embryons humains qui révélant des « signatures de gastrulation [7] » équivalentes à environ 12 jours après la fécondation [8].
Une équipe de l’université de Pittsburgh dirigée par Mo Ebrahimkhani, a, elle, utilisé des cellules souches pluripotentes induites (iPS) génétiquement modifiées pour former des tissus embryonnaires et extra-embryonnaires dans des « amas de cellules » qu’ils ont appelés « iDiscoides ».
Enfin, une équipe chinoise dirigée par Tianqing Li de l’université des sciences et technologies de Kunming, a créé ses « E-assembloïdes » en « mélangeant » des cellules souches embryonnaires humaines « fraîchement prélevées » et des cellules extra-embryonnaires.
Avec les « modèles embryonnaires », les « embryons de synthèse » et les « embryoïdes », les termes se multiplient. Pour mieux cacher l’embryon ?
Un « embryon de synthèse » avec un rythme cardiaque
Jitesh Neupane, de l’Institut Gurdon de l’université de Cambridge, indique quant à lui avoir obtenu des « embryons de synthèse » dotés de certaines des cellules et des structures qui apparaissent généralement au cours des troisième et quatrième semaines de grossesse [9].
« J’ai pris ma lame au hasard sous le microscope et quand j’ai vu le [battement de cœur] pour la première fois, j’ai eu peur, honnêtement », raconte le chercheur. « J’ai été bouleversé. Les gens sont émus lorsqu’ils voient des battements de cœur. »
Ce dernier « modèle d’embryon » contient des cellules cardiaques qui battent, une caractéristique qui apparait généralement au 23e jour chez un « embryon naturel », et des « traces de sang rouge », qui apparaîtraient au cours de la quatrième semaine. En revanche, ces « structures » n’étaient pas dotées des prémisses d’un cerveau et, comme elles n’avaient pas les précurseurs du placenta et de la vésicule vitelline, qui sont « cruciaux pour guider le développement », elles ont commencé à « s’écarter de la voie de développement naturelle » au fil du temps.
Ces résultats n’ont pas encore été publiés sous quelque forme que ce soit.
Des annonces à confirmer ?
La culture de « modèles d’embryons » à des stades de développement de plus en plus avancés est devenue une « course très compétitive ». Il reste à voir si les affirmations des nouvelles études, dont aucune n’a encore fait l’objet d’un examen par un comité de lecture, seront validées par des publications.
Pour Alfonso Martinez Arias, biologiste du développement à l’université Pompeu Fabra de Barcelone, les résultats décrits par l’équipe de Magdalena Zernicka-Goetz ne peuvent en « aucun cas » être considérés comme « analogues à de véritables embryons » de 14 jours. Pour lui, l’organisation fait défaut. La surexpression de certains gènes nécessaires à la production des types de cellules extra-embryonnaires pourrait « brouiller le comportement des cellules ».
En revanche, « la similitude avec l’embryon naturel est remarquable, presque troublante », estime le biologiste du développement Jesse Veenvliet, de l’Institut Max Planck, à propos des travaux de Jacob Hanna.
Une nouvelle définition de l’embryon ?
Dans la plupart des pays les « modèles d’embryons » ne répondent pas à la « définition officielle » de l’embryon. Ils ne sont donc pas soumis aux « restrictions » qui s’y appliquent en matière de recherche. Des restrictions qui plus est devenues toutes relatives depuis qu’on a voulu dissocier recherche sur les cellules souches embryonnaires et recherche sur l’embryon, oubliant au passage que le prélèvement de CSEh conduit à la destruction de l’embryon, et depuis que l’ISSCR a renoncé à la « règle des 14 jours », un consensus international qui interdisait aux chercheurs de cultiver des embryons au-delà de ce délai (cf. Recherche sur l’embryon : plus aucune limite ?).
Certains chercheurs estiment dès lors qu’une « nouvelle définition de l’embryon » est « nécessaire pour clarifier les choses ». Pour d’autres, l’objectif des « embryons de synthèse » est clair : « contourner les contraintes qui pèsent actuellement sur la recherche sur les embryons ». Créer des embryons pour la recherche, les manipuler, sans plus de considération.
Car en les nommant « modèles », « structures » ou « synthétiques », les chercheurs s’autorisent à relayer l’éthique à l’arrière-plan. Il suffirait qu’il n’y ait pas de structures extra-embryonnaires pour rendre les expériences « éthiquement incontestables », comme l’affirme l’équipe de Jitesh Neupane. « Un point de vue soutenu par les directives internationales » qui « placent ce type de modèle embryonnaire dans une catégorie de risque similaire à celle des organoïdes cérébraux ou des tissus cardiaques humains cultivés en laboratoire » (cf. Un organoïde de cerveau humain implanté dans celui d’une souris réagit à la lumière).
« Nous avons cherché à développer un outil permettant de poser des questions spécifiques sur la deuxième semaine de développement de l’embryon humain, car l’utilisation d’embryons humains réels dans la recherche pose des problèmes éthiques et techniques », confesse Magdalena Zernicka-Goetz. Mais quel aspect trouve-t-elle le plus problématique ?
Car la recherche avance très vite : les scientifiques sont passés des expérimentations menées chez la souris à l’être humain en l’espace d’un an. Quand le législateur se penchera sur cette question, tentera-t-il de réguler ces recherches ou simplement de régulariser les transgressions ?
Complément du 29/06/2023 : Le 27 juin, l’équipe de Magdalena Zernicka-Goetz a publié ses travaux dans Nature [10]. Une recherche financée par le Wellcome Trust et Open Philanthropy. Le même jour, une équipe de l’université de Yale publiait aussi ses travaux sur le sujet, également dans Nature [11]. Berna Sozen, biologiste à l’université de Yale, indique envisager de « tester des médicaments sur des modèles d’embryons et de les exposer à des germes – des expériences qui ne peuvent pas être faites sur des femmes enceintes » (Sources : Phys.org, Laura Ungar (27/06/2023) ; Science daily (27/06/2023)).
Complément du 20/07/2023 : L’équipe de Tianqing Li vient de publier ses travaux sur les « E-assembloïdes » dans la revue Cell Research [12].
Complément du 06-07/09/2023 : Les travaux dirigés par Jacob Hanna ont été publiés dans la revue Nature [13]. L’équipe de l’Institut Weizmann affirme que son « modèle d’embryon », fabriqué à partir de cellules souches, « ressemble à un véritable embryon de 14 jours ». Il inclut une vésicule vitelline et une cavité amniotique. « Il a même libéré des hormones qui ont rendu positif un test de grossesse en laboratoire. » Leurs travaux se démarquent en cela qu’ils utilisent des « cellules modifiées chimiquement » et non génétiquement, soulignent les chercheurs. (Sources : BBC, James Gallagher (06/09/2023) ; AFP (07/09/2023))
Complément du 14/09/2023 : Une nouvelle étude sur les blastoïdes vient de paraitre dans la revue Cell Stem Cell [14]. Elle a été faite par des chercheurs de la Washington University School of Medicine à St Louis dans le Missouri.
[1] International Society for Stem Cell Research
[2] Science, Biologists create detailed lab replicas of early human embryos, Mitch Leslie (17/06/2023)
[3] Nature, Most advanced synthetic human embryos yet spark controversy, Philip Ball (16/06/2023)
[4] Weatherbee, B. A. T. et al. Preprint at bioRxiv: https://doi.org/10.1101/2023.06.15.545082 (2023)
[5] Oldak, B. et al. Preprint at bioRxiv https://doi.org/10.1101/2023.06.14.544922 (2023)
[6] Cette vésicule deviendra la vésicule ombilicale.
[7] Etape du développement embryonnaire au cours de laquelle les cellules commencent à se différencier
[8] Ils ont également déposé une pré-publication sur bioRxiv, le 17 mai.
[9] The Guardian, Model embryo with heartbeat replicates cells in early pregnancy, Hannah Devlin (18/06/2023)
[10] Bailey A. T. Weatherbee et al, A model of the post-implantation human embryo derived from pluripotent stem cells, Nature (2023). DOI: 10.1038/s41586-023-06368-y
[11] Monique Pedroza et al, Self-patterning of human stem cells into post-implantation lineages, Nature (2023). DOI: 10.1038/s41586-023-06354-4
[12] Ai Z, Niu B, Yin Y, Xiang L, Shi G, Duan K, Wang S, Hu Y, Zhang C, Zhang C, Rong L, Kong R, Chen T, Guo Y, Liu W, Li N, Zhao S, Zhu X, Mai X, Li Y, Wu Z, Zheng Y, Fu J, Ji W, Li T. Dissecting peri-implantation development using cultured human embryos and embryo-like assembloids. Cell Res. 2023 Jul 17. doi: 10.1038/s41422-023-00846-8
[13] Oldak, B., Wildschutz, E., Bondarenko, V. et al. Complete human day 14 post-implantation embryo models from naïve ES cells. Nature (2023). https://doi.org/10.1038/s41586-023-06604-5
[14] Karvas RM, Zemke JE, Ali SS, Upton E, Sane E, Fischer LA, Dong C, Park KM, Wang F, Park K, Hao S, Chew B, Meyer B, Zhou C, Dietmann S, Theunissen TW. 3D-cultured blastoids model human embryogenesis from pre-implantation to early gastrulation stages. Cell Stem Cell. 2023 Sep 7;30(9):1148-1165.e7. doi: 10.1016/j.stem.2023.08.005.