Le 1er mars dernier, le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation a publié le décret d’application de la loi bioéthique du 2 août 2021 relatif à « la recherche sur l’embryon humain, les cellules souches embryonnaires humaines (CSEh) et les cellules souches pluripotentes induites humaines (iPS) ».
Depuis 1994 et les premières lois de bioéthique, le cadre légal de la recherche sur les embryons et les cellules souches n’a cessé de se relâcher : établissant d’abord un principe ferme d’interdiction, le législateur a peu à peu introduit des exceptions, avant d’ensuite instituer un régime d’autorisation sous conditions. La loi du 2 août 2021 est la dernière étape en date de cet « assouplissement » qui différencie cette fois le cadre en fonction du « support » de la recherche (embryon, CSEh et iPS) et de son objet. Ainsi est établie une distinction entre recherche sur l’embryon et recherche sur des cellules souches embryonnaires humaines. Mais les travaux utilisant des CSEh impliquent la destruction d’un embryon. Le problème éthique est donc identique.
La traduction formelle de la « PMA pour toutes »
D’abord, et inévitablement, le décret prend acte formellement des modifications issues de la loi de bioéthique du 2 août 2021.
En effet, la partie réglementaire du Code de la santé publique ajoute désormais systématiquement après la mention du « couple », celle de la « femme non mariée » et de « personnes à l’origine de l’embryon »[1]. Il s’agit de rendre ces dispositions cohérentes avec l’autorisation du recours à la PMA quand deux femmes le réclament (qui ne peuvent pas être un « couple à l’origine de l’embryon », un tiers donneur étant indispensable) et pour les femmes seules.
La fin du contrôle a priori des recherches
Le décret confirme l’effacement du contrôle a priori de l’Agence de la biomédecine (ABM) sur ces recherches, quel qu’en soit le « support » (embryons, CSEh ou iPS).
Concernant la recherche sur l’embryon[2], l’Agence de la biomédecine est toujours chargée de délivrer une autorisation pour les protocoles de recherche. Néanmoins, cette autorisation est donnée après un contrôle restreint : l’Agence ne doit plus tenir compte des diplômes et de l’expérience de l’équipe, des locaux, du matériel et des équipements. Elle ne doit plus « s’assurer » de la faisabilité du protocole, mais en « attester »[3] seulement. Le terme « attester » ne renvoie plus à une considération de preuve, mais davantage à un simple constat, à une faisabilité suffisante : le contrôle de l’Agence est donc tout à fait relativisé.
Cet effacement du contrôle de l’ABM est encore plus explicite concernant les recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines (CSEh)[4]. Ces dernières ne font plus l’objet d’une autorisation, mais sont simplement soumises à déclaration de l’établissement chargé de la recherche. La déclaration donne lieu à un accusé de réception, si les conditions (de finalité médicale ou visée d’amélioration de la science, pertinence scientifique, principes fondamentaux des articles 16 à 16-8 du Code civil[5]) sont remplies. A défaut d’opposition de la part de l’ABM dans un délai de 2 mois, la recherche peut débuter. L’ABM n’est pas même tenue au recueil de l’avis du conseil d’orientation, sauf dans certains cas. En effet, lorsque la recherche qui utilise des CSEh a pour objet la différenciation des CSEh en gamètes, l’obtention de « modèles de développement embryonnaire » in vitro (cf. Embryoïdes, blastoïdes, MEUS : des embryons créés pour la recherche) ou l’insertion de cellules dans un embryon animal dans le but d’un transfert chez la femelle (cf. Projet de loi bioéthique : « Oui, les chimères ont raison d’effrayer »), l’ABM doit recueillir l’avis du conseil d’orientation, et le délai d’opposition est étendu à 4 mois.
La recherche sur cellules souches pluripotentes induites humaines est quant à elle soumise au même régime que les CSEh[6]. Pourtant les enjeux éthiques sont nettement différents puisque les recherches sur des iPS n‘impliquent pas la destruction d’embryons (cf. Les cellules iPS, alliées des chercheurs).
Le régime d’importation et d’exportation est toujours soumis à autorisation après avis du conseil d’orientation, mais le régime de conservation suit celui de la recherche elle-même : autorisation pour la conservation d’embryons et déclaration pour la conservation de CSEh et d’iPS.
Un contrôle a posteriori à l’efficacité douteuse
Le contrôle a posteriori prévu par le décret n’est pas de nature à assurer le respect du cadre légal. En effet, ce contrôle a posteriori consiste en un rapport bisannuel qui doit être rédigé par les responsables de la recherche, ainsi qu’en un rapport final faisant état des résultats de la recherche pratiquée. Les éventuels contrevenants seraient-ils susceptibles de fournir eux-mêmes des éléments à charge ? Et en cas de violation des dispositions légales par les responsables de la recherche, la procédure est longue et vraisemblablement peu efficiente (mise en demeure, suspension de la recherche pour 3 mois, interdiction après mise en demeure et transfert des embryons ou des CSEh vers un autre organisme).
Pas de contrôle par l’ABM… ni par aucun acteur extérieur
Si l’ABM contrôle de moins en moins ces protocoles de recherche, le décret ne permet pas non plus aux tiers intéressés de pouvoir facilement s’y opposer. En effet, l’accès à ces autorisations ou déclarations est rendu beaucoup plus difficile. : Les autorisations, auparavant publiées au Journal Officiel de la République, dont la parution est quotidienne, seront désormais publiées au Bulletin Officiel du ministère chargé de la santé qui est un bimensuel. Quant aux déclarations, elles ne font pas l’objet d’une publication, excepté dans les rapports de l’Agence de la biomédecine. Deux fois par an donc. Un pas de plus pour des recherches en toute impunité.
[1] Articles R. 2151-4, R. 2151-5 et R. 2151-11 du Code de la santé publique
[2] Articles R. 2151-1 à R. 2151-12 du Code de la santé publique
[3] Article R. 2151-2 du Code de la santé publique
[4] Articles R. 2151-12-1 à R. 2151-12-6 du Code de la santé publique
[5] Article L. 2151-6 du Code de la santé publique
[6] Article R. 2151-12-7 du Code de la santé publique
Photo : iStock