Les soins palliatifs ne peuvent être ni la caution, ni l’alternative des protocoles de l’acte létal, affirme Emmanuel Hirsch, professeur émérite d’éthique médicale à l’université Paris-Saclay, dans une tribune publiée par Le Monde. Il dénonce la rupture éthique et déontologique que le projet de loi sur la fin de vie légitimera.
Accompagner la personne pour lui permettre de vivre parmi nous les temps ultimes de son existence, c’est lui témoigner une reconnaissance qui préserve son sentiment d’appartenance à la communauté humaine. C’est mobiliser nos solidarités et les compétences nécessaires afin de la prémunir contre toute forme de souffrance ou d’indignité. Accompagner, c’est résister, avec elle et ses proches, à la tentation du renoncement anticipé, aux négligences et aux maltraitances, aux mentalités de l’abandon, ou du consentement à la mort donnée par compassion (cf. « Etre regardés, soulagés, accompagnés, mais pas tués »).
« Accompagner une personne, ce ne sera jamais abréger sa vie »
Accompagner une personne, ce ne sera jamais abréger sa vie. L’Etat ou le législateur n’y changeront rien, y compris en se trompant par un usage dévoyé du sens des termes qu’ils veulent imposer, comme s’il s’agissait de nous rassurer dans le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie (cf. « Une forme de nihilisme désormais présent au sein même de l’Etat » : après l’IVG, Emmanuel Macron reprend le dossier de la fin de vie). Les « soins d’accompagnement », les « droits des malades » n’ont pas comme option l’assistance médicale à mourir. Les soins palliatifs ne sont ni la caution, ni l’alternative des protocoles de l’acte létal. Etablir ce constat, c’est clarifier la rupture éthique et déontologique que la loi légitimera (cf. Projet de loi sur la fin de vie : « une voie pavée de tromperies »).
Depuis les années 1980, la philosophie de l’accompagnement et de l’engagement soignant est mise en œuvre en dialogue avec la personne par les professionnels et les membres d’associations intervenant en soins palliatifs. Ils ont réhabilité « l’humaniste du soin » dans un contexte où la médecine hospitalière, impuissante à guérir, s’exonérait de ses devoirs auprès de la personne laissée à sa mort, ou à qui a été administré un « cocktail lytique » pour sa « délivrance » (cf. Fin de vie : « ne dévoyons pas les soins palliatifs »).
Les soins palliatifs ont lancé dans notre pays une culture de l’accompagnement qui concilie le souci de la personne, de ses droits fondamentaux, avec l’exigence d’un soin relationnel attentif. S’accorder à ses besoins est une forme d’assistance humaine qui confère au soin un sens dont aucun raisonnement sérieux n’autoriserait à concevoir la moindre communauté de pensée avec les pratiques du suicide médicalement assisté ou de l’euthanasie (cf. Fin de vie : « médecine de l’accompagnement » ou « médecine de la mort donnée » ?).
« Un homicide médical légalisé »
Dans les établissements sanitaires ou médico-sociaux, au domicile également, l’expertise des soins palliatifs s’est développée aux marges des pratiques conventionnelles, rétives à l’approche de la personne malade dans son autonomie décisionnelle au-delà de sa maladie. La « démocratie en santé », instituée dans la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, s’inscrit dans cette vision d’un renouveau de l’éthique du soin soucieuse de reconnaître à la personne une dignité qu’aucune considération ne saurait bafouer (cf. Pour une fin de vie digne de l’humaine dignité).
« L’accompagnement des malades et de la fin de vie », auquel est consacré le projet de loi, propose deux conceptions opposées de la « réponse aux personnes, aux malades et à leurs aidants, à leurs familles et à leurs proches ». Le « modèle français » promu par le gouvernement vise à proposer une forme de continuité dans l’accompagnement alternatif des soins palliatifs ou de l’assistance médicale létale. Les soins qui accompagnent la personne malade jusqu’au terme de sa vie relèvent d’une éthique de la responsabilité et divergent des procédures légalisées d’une assistance médicalisée au suicide ou à l’euthanasie.
Que l’on décide d’y consacrer une prochaine loi est un choix de société. Mais que chacun assume en conscience sa position sans invoquer l’accès universel aux soins palliatifs comme condition de l’acceptabilité d’un homicide médical légalisé contraire, et non pas alternatif, à l’éthique des soins palliatifs.
« Le dernier acte de soin doit être un soin »
Que certains médecins considèrent en conscience leur engagement jusque dans la responsabilité de consentir à abréger la vie d’une personne sur demande justifie que des repères soient posés, tant les équivoques risquent d’être préjudiciables à l’intérêt direct de la personne malade (cf. Fin de vie : attention au message envoyé aux personnes vulnérables). Le dernier acte de soin doit être un soin. L’aide à mourir n’a rien d’une pratique soignante (cf. 800.000 soignants s’opposent à l’euthanasie).
Il est évident que le dispositif d’accès universel aux soins palliatifs est d’une complexité organisationnelle et d’un coût sans rapport avec la simple décision administrative. Celle-ci ambitionnant de doter les professionnels de santé des procédures permettant d’accéder à l’usage d’une substance létale après avoir validé la recevabilité administrative d’une demande d’aide à mourir.
« Détournement de l’euthanasie »
Au moment où le service public hospitalier vit une crise qui limite l’accès à la prévention et au suivi médical, où les professionnels des soins palliatifs sont démotivés par des annonces paradoxales qui les inquiètent, au point que nombre d’entre eux envisagent de renoncer (cf. Fin de vie : 22 % des médecins en soins palliatifs se disent prêts à démissionner), est-il crédible d’affirmer qu’avec les moyens financiers dégagés sur les prochaines années en faveur de la démarche palliative chaque citoyen aura la possibilité d’exercer son droit optionnel aux soins palliatifs ou à l’aide à mourir ? (cf. Plan décennal sur les soins palliatifs : « il faudrait être naïf pour s’y fier »)
Il est inexact d’affirmer qu’aucun déterminant idéologique, normatif, socio-économique ou d’accessibilité aux soins et aux sollicitudes du quotidien n’influence une législation favorable à l’aide à mourir. L’application de la loi relative à l’aide médicale à mourir adoptée au Canada en juin 2016 est l’une des démonstrations d’un détournement de l’euthanasie à la régulation de circonstances humaines et sociales sans rapport avec la fin de vie (cf. Canada : atteinte d’un cancer, les médecins lui proposent l’AMM). Les précarités sociales y exposent certains malades dans l’incapacité d’assumer leurs frais de santé à la proposition d’une euthanasie (cf. Canada : méconnaissance des soins palliatifs et euthanasie des sans-abris ?).
Il ne s’agit pas d’opposer la culture euthanasique à la culture palliative, même si ce qui les distingue concerne une idée divergente de nos devoirs d’humanité. Toutefois, il est tendancieux d’affirmer que l’évolution législative décidée parviendra au même respect des droits des personnes sollicitant l’accès à l’accompagnement des soins palliatifs ou au protocole de l’aide médicale à mourir (cf. « Les pratiques euthanasiques rendent moribonds les soins palliatifs »). Le geste létal d’un médecin rompt un soin. Il ne l’achève pas.
Cette tribune a été reproduite ici avec l’accord de son auteur.