Projet de loi fin de vie : comprendre la copie rendue par la commission spéciale

23 Mai, 2024

Les travaux de la commission spéciale relative à la fin vie ont pris fin vendredi 18 mai tard dans la soirée (cf. Euthanasie, suicide assisté : la commission spéciale adopte le projet de loi « le plus permissif au monde »). Les députés ont mis une semaine pour amender le texte du projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et à la fin de vie issu du Conseil des ministres (cf. Euthanasie, suicide assisté : sur quoi vont plancher les députés lors de leur 1ère lecture du projet de loi ? ). Seuls 137 amendements sur les plus de 2 000 déposés ont été adoptés (cf. Fin de vie : l’examen des amendements débute, les débats sont lancés). Gènéthique décrypte pour vous le projet de loi qui sera soumis à l’ensemble des députés en séance publique à partir du 27 mai.

Ce qui qu’il faut retenir de la copie rendue par la commission spéciale

Le contenu du projet de loi n’a sur le fond pas changé : il transgresse l’interdit de tuer et légalise la mort administrée (cf. Euthanasie ou suicide assisté : « une brèche dans un rempart de sagesse »). L’esprit lui aussi n’a pas changé : la dérive est entérinée, les verrous sont illusoires (cf. Fin de vie : ce projet « rompt une digue essentielle, un principe structurant de notre société voire de notre civilisation »).

Les députés de la commission spéciale ont opté pour les modifications suivantes, rendant le projet de loi plus transgressif que toutes les législations en vigueur sur le sujet (cf. Fin de vie : « nul pays au monde ne prévoit un tel laxisme qui ouvre la porte à toutes les transgressions imaginables ») :

  • La personne de confiance intervient désormais dès la conception du plan personnalisé d’accompagnement prévu à l’article 3 du projet de loi. Le risque de l’abus de faiblesse a été soulevé, mais non traité.
  • Les directives anticipées reviennent en force au sein de la première partie du projet de loi, désormais intitulée «relative aux soins d’accompagnement, aux soins palliatifs et aux droits des malades ». En effet, ce sont elles qui, à l’article 4, recueillent la demande d’« aide à mourir » de la personne, et prévaudront même lorsque cette dernière « perd conscience de manière irréversible » (cf. Troisième jour de débat : feu vert à l’euthanasie des personnes inconscientes). Autrement dit, les députés en commission spéciale ont tout bonnement voté la possibilité pour une personne de procéder à l’euthanasie, même dans le cas où celle-ci ne peut plus exprimer sa volonté. Quid alors de la condition d’accès prévue à l’article 6 du même texte relative à la nécessité pour la personne de manifester sa volonté de manière « libre et éclairée » ? La contradiction est flagrante, mais pourtant assumée (cf. Fin de vie : un texte qui « s’est résigné aux mensonges »).
  • La « volonté libre et éclairée » n’est pas la seule condition à avoir été balayée. Là où il était nécessaire de voir son pronostic vital engagé à « court ou moyen terme », le texte parle désormais d’une « affection grave et incurable en phase avancée ou terminale ». Une condition encore plus largement interprétable que la notion de court et moyen terme, qui elle-même était difficilement appréciable médicalement (cf. La Commission spéciale adopte l’« aide à mourir », sans la conditionner à un pronostic vital engagé).
  • Le délai de réflexion qui « ne peut être inférieur à deux jours» peut désormais être écourté. En effet, « ce délai peut être abrégé à la demande de la personne si le médecin estime que cela est de nature à préserver la dignité de ce dernier telle que celui-ci la conçoit ». Ainsi, alors même qu’un délai de réflexion de deux jours était sans substance, si la personne estime qu’il en va de sa dignité de demander immédiatement une euthanasie, elle pourrait lui être accordée.
  • Une personne volontaire désignée par la personne demandant une « aide à mourir » peut pratiquer l’euthanasie. Il a été précisé que cette personne doit être « âgée d’au moins dix-huit ans», et « apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée. Elle ne peut recevoir aucun paiement, qu’elle qu’en soit la forme, en contrepartie de l’administration de la substance létale ». L’article précise par ailleurs que « la personne volontaire qui procède à l’administration de la substance létale est informée par le professionnel de santé présent de son droit à bénéficier de séances d’accompagnement psychologique ». Enfin, l’article précise que « l’administration est effectuée par cette personne, sous le contrôle du professionnel de santé ». Un article qui en dit long. Ces conditions étaient absentes dans le projet de loi originel, preuve manifeste de l’irresponsabilité des auteurs du texte qui n’avaient pas pensé à exclure les mineurs ou la rémunération d’un tel acte. En outre, l’impact évident du fait d’administrer la mort est reconnu, au point de devoir prévoir d’emblée un accompagnement psychologique.
  • Un délit d’entrave à l’« aide à mourir » a enfin été créé à l’article 18 bis. Désormais il est prévu qu’ « est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur l’aide à mourir par tout moyen». En d’autres termes, une personne tentant de convaincre une autre de ne pas porter atteinte à sa vie est passible d’emprisonnement. Tenter de sauver quelqu’un de se tuer ne relève-t-il pourtant pas du devoir de non abandon, de la prévention au suicide (cf. Effet Werther : « En légalisant le suicide assisté et l’euthanasie, on banalise le suicide ») ? Ne fonde-t-il pas le délit de non-assistance à personne en danger  déjà prévu par le Code pénal ? Ceux qui ont porté ce « délit d’entrave » l’ont fait, sans surprise, en parallèle et en cohérence avec celui relatif à l’avortement (cf. Le Conseil Constitutionnel juge conforme le délit d’entrave mais émet deux réserves). L’introduction d’un délit d’incitation à l’« aide à mourir » a lui été rejeté.

Stratégie ou idéologie ? La commission spéciale ne supprime pas les garde-fous, elle déploie la logique

Certains commentateurs se sont inquiétés du texte issu de la commission spéciale, alertant sur la suppression de « garde-fous ». La présidente de la commission spéciale, et initiatrice du projet de loi, Agnès Firmin Le Bodo, a même expliqué qu’elle avait voté contre : « Le texte voté n’est pas celui souhaité »[1].

Toutefois, pour pouvoir supprimer des garde-fous, des verrous, encore aurait-il fallu qu’il en existe. En effet, c’est bien la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté visée par le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie qui crée la transgression, la rupture (cf. Projet de loi sur la fin de vie : « une rupture profonde dans ce qu’est l’éthique de l’engagement soignant »). Le texte issu du Conseil des ministre n’était pas, comme certains le disent, un texte « responsable », « équilibré », assorti de garanties. Il avait pour but de légaliser le droit de tuer. Par nature, il est la dérive. Par nature, la dérive est sans limite.

Certains voient dans le texte issu de la commission une stratégie qui voudrait que le texte soit volontairement ultra permissif afin que l’ensemble des députés le rendent plus « raisonnable » dans un second temps en séance. Cette tactique pourrait emporter l’adhésion du plus grand nombre ; rassurer les citoyens inquiets et les convaincre que le texte définitivement adopté est une bonne loi. C’est ainsi qu’on change le référentiel comme l’explique le psychiatre Raphaël Gourevitch [2] : « Demander l’invraisemblable pour obtenir l’inacceptable, c’est une tactique vieille comme le monde, mais dans le cas présent les promoteurs demandent l’invraisemblable et obtiennent l’inimaginable. De toute façon, retrouver l’équilibre quand on marche sur la tête c’est difficile. »

 

[1] Paris Normandie, Fin de vie. Pour la députée du Havre Agnès Firmin Le Bodo, « le texte voté n’est pas celui souhaité » (20/05/2024)

[2] Atlantico, Euthanasie : en marche vers un désastre législatif français ?, Raphaël Gourevitch et Erwan Le Morhedec (18/05/2024)

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