Le 17 mai était la dernière journée de débat pour l’examen du projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie. Un défi pour les députés : voter plusieurs centaines d’amendements en une seule journée. La cadence s’est nettement accélérée, mais n’a pas empêché de vives discussions sur des thématiques fondamentales dans le texte.
La matinée a été consacrée à l’article 8, qui définit la procédure d’examen de la demande d’« aide à mourir » jusqu’à la prescription de la substance létale. L’après-midi et la soirée ont, elles, vu l’adoption des 12 articles suivants. Le temps passant, le calme est peu à peu revenu, entre volonté d’en finir, résignation, déception. En soirée, les débats ont été moins houleux.
Plusieurs députés sont revenus sur les débats d’hier, qui ont conduit à la suppression du critère du pronostic vital engagé à « court ou moyen terme » (cf. La Commission spéciale adopte l’« aide à mourir », sans la conditionner à un pronostic vital engagé ). Ainsi, Annie Genevard (LR) a souligné que « la journée d’hier a été une journée noire : pronostic vital supprimé, demande d’euthanasie inscrite dans les directives anticipées, moyen terme remplacé par un terme plus vague, “phase avancée”, euthanasie par un proche maintenue, volontariat du soignant rejeté ». Son collègue Thibault Bazin (LR) la rejoint dans ses inquiétudes.
L’« aide à mourir » plus accessible que n’importe quel autre acte médical
A l’occasion du débat sur le recueil de l’avis d’un autre médecin, Yannick Neuder (LR) s’est inquiété. « Il est plus difficile de poser une valve cardiaque que d’avoir recours à “l’aide à mourir” » s’indigne le médecin et député. Si les amendements visant à préciser que le médecin consulté ne doit pas avoir de lien hiérarchique avec le patient décideur n’ont pas reçu l’avis favorable de la rapporteur, l’amendement CS790 de Laurent Panifous (LIOT) a tout de même été adopté. En outre, l’amendement CS2017 de la rapporteur Laurence Cristol (Renaissance) a remporté la faveur de la commission. Il précise que le médecin consulté doit être « spécialiste de la pathologie du patient ».
Comme toujours depuis le début de l’examen du projet de loi lundi dernier (cf. Euthanasie, suicide assisté : la commission spéciale de l’Assemblée nationale débute ses travaux), la tendance a été à l’élargissement, et à la facilitation du recours effectif à l’« aide à mourir ». Il s’agit de « respecter le patient », mis au centre de ce projet de loi, et d’éviter « d’infantiliser la personne en fin de vie » plaide Emeline K/Bidi (GDR – Nupes). Désormais, l’examen du patient demandeur n’est même plus obligatoire pour que le médecin rende sa décision. C’est le fruit de l’amendement CS2016 proposé par la rapporteur Laurence Cristol (Renaissance), « pour ne pas complexifier inutilement la procédure » explique-t-elle. Un point vivement critiqué par Thierry Frappé (RN). Dans la même dynamique, les échanges ont fusé sur la place de la personne de confiance dans la décision d’« aide à mourir ». Elle n’a toutefois pas trouvé grâce aux yeux de la commission.
Pas de protection supplémentaire pour les majeurs protégés
De nombreux amendements visaient à voir inscrit dans le texte un rôle décisionnel pour la personne en charge de la protection du majeur, une opposition possible de sa part, ou encore l’éventualité d’un recours auprès du juge des contentieux. Tel fut le cas notamment de ceux déposés par les députés LR Yannick Neuder, Thibault Bazin ou Philippe Juvin. Laurence Cristol (Renaissance) y répond en précisant que la saisine d’un juge ne lui semble pas nécessaire, « alourdit la procédure » pour les majeurs protégés, serait une entrave à l’accès à l’« aide à mourir », ou encore créerait une discrimination. Elle considère que le projet de loi prévoit une procédure pour vérifier la volonté libre et éclairée, donc qu’une telle saisine n’est pas nécessaire.
Sandrine Rousseau (Ecologistes – Nupes) a exprimé sa volonté de permettre aux patients malades psychiatriques d’avoir accès à l’« aide à mourir ». Son amendement a toutefois été rejeté, sous prétexte que c’est déjà possible si le discernement n’est pas totalement altéré. Julie Laernoes (Ecologiste – Nupes) en a profité pour remettre sur la table le sujet de l’accès à l’« aide à mourir » pour les mineurs (cf. Fin de vie : un projet de loi qui « permet de mettre un pied dans la porte », avant les prochaines étapes). Amendement heureusement rejeté, et pas même discuté, qui a reçu un avis « très défavorable et très ferme » du Gouvernement.
Refus d’importantes modifications par respect pour l’« équilibre » du texte
Très peu d’amendements ont été adoptés. Le groupe LFI a soutenu différents amendements souhaités par l’ADMD afin de voir la procédure simplifiée, raccourcie et précisée pour faciliter l’accès de l’« aide à mourir » au patient. Face à eux, la rapporteur Laurence Cristol et Catherine Vautrin, ministre de la Santé, ont tenu la ligne de l’« équilibre » trouvé dans ce projet de loi qu’elles disent « humaniste » (cf. « La société a besoin de repères solides : ne détruisez pas ceux qui fondent encore la solidarité »). « On parle quand même de vie et de mort » a souligné Catherine Vautrin pour justifier ces délais, dans un sursaut de réalisme. Les délais de réflexion de 15 jours, au maximum, pour que le médecin rende sa décision, et de de 2 jours, minimum, pour que le patient confirme sa décision n’ont pas bougé. Il faut noter que le médecin peut tout de même revenir sur sa décision dans ce délai, selon l’article 12 du projet de loi. En revanche, l’amendement d’Anne Bergantz (MoDem) modifiant l’alinéa 2 de l’article 9 a été adopté. Le délai de réexamen de la volonté libre et éclairé du patient se fait désormais après 12 mois sans confirmation, plutôt que 3 mois comme prévu dans le projet initial. Cet assouplissement n’a pas manqué de provoquer de vives réactions chez Thibault Bazin notamment. Il proposait pour sa part plutôt de raccourcir ce délai à 1 mois.
Les députés ont par ailleurs voté la possibilité de recueillir les avis des médecins consultés à distance. Cela n’a pas manqué de questionner certains d’entre eux : est-ce vraiment de la collégialité ? Au contraire, la téléconsultation pour examiner la volonté libre et éclairée du patient n’a pas été retenue malgré l’amendement CS1519. A plusieurs reprises, il a été rappelé que ce projet de loi était pour le patient : « la souffrance doit être notre guide », affirme ainsi René Pilato (LFI – Nupes).
La date, l’heure et le lieu de l’injection létale ont aussi donné lieu à de vifs débat entre les députés. A ceux qui souhaitaient voir préciser par le patient l’heure exacte de l’injection, et ceux qui argumentaient pour une injection à domicile, la ministre de la Santé n’a pas manqué de rétorquer son habituel : « faites confiance au corps médical ».
Les tiers impliqués et engagés par la volonté du patient
La discussion de l’article 10 a été l’occasion pour Thibault Bazin de reposer la question de la clause de conscience des pharmaciens. Il est soutenu sur ce point par Sandrine Dogor-Such (RN) qui explique qu’« il peut être traumatisant » pour les pharmaciens de délivrer une substance létale (cf. « Aide à mourir » : « Un même acte, actuellement puni jusqu’à 30 ans de prison, deviendrait une obligation pour les pharmaciens »). Christophe Bentz (RN) avance, lui, qu’il n’est pas souhaitable de distinguer les professions médicales pour cette clause de conscience car celle-ci « n’est pas professionnelle mais humaine ». Cependant, la question est rapidement évacuée au motif que l’implication de ces professionnels de santé n’est pas assez « directe » pour légitimer la mise en place d’une clause de conscience. Pourtant, comme le rappelle Annie Genevard, elle existe à l’étranger.
Quant à l’article 11 alinéa 7, il n’a pas été modifié, au nom de la « liberté du patient », malgré les réticences de certains députés comme Thibault Bazin et Gilles Le Gendre (Renaissance). La possibilité est donc maintenue de désigner une personne pour procéder à l’injection létale, « si le patient n’est pas en mesure d’y procéder physiquement ». Cette personne peut être un proche volontaire ou le médecin. Le proche volontaire pourra tout de même bénéficier de séances d’accompagnement psychologique : un droit qui provoque des pathologies psychologiques, voilà qui n’a pas l’air d’interroger la commission. Le professionnel de santé, quant à lui, doit garder une « vision directe » sur le patient, pour des raisons de sécurité, tout en gardant l’intimité de la personne en fin de vie.
Les modalités d’administration du produit létal ne sont en revanche pas définies par la loi.
Des tiers privés de recours
Le projet de loi ne prévoit aucun moyen de recours par des tiers. Les proches ou même les professionnels de santé n’ont aucune possibilité de recours. Seul le patient peut intenter un recours, en cas de refus de l’« aide à mourir ». Un point qui ne manque pas d’interroger Thibault Bazin, cette personne n’étant plus là pour contester. La ministre de la Santé, Catherine Vautrin, répond à cette interrogation en évoquant la commission de contrôle et d’évaluation prévue, a posteriori, par le projet de loi, ainsi que l’importance de la liberté de la démarche pour la personne. Patrick Hetzel (LR) souligne que cette possibilité de recours des tiers est pourtant possible dans le cas d’arrêt des traitements. « La même chose ne serait pas reconnue pour l’euthanasie et le suicide assisté ? C’est très troublant » relève-t-il.
Rejet d’une pénalisation des pressions poussant au suicide
François Gernigon (Horizons) a proposé de clarifier le fait que toute pression de la part d’un tiers sur la personne demandant une euthanasie, constatée par un professionnel de santé, relève de la provocation au suicide, punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende selon l’article 223‑13 du code pénal. Sa proposition n’a pas été adoptée. Un rejet symptomatique d’une commission qui perd le sens de la vie (cf. Effet Werther : « En légalisant le suicide assisté et l’euthanasie, on banalise le suicide »).
Le délit d’entrave à l’« aide à mourir » : parallélisme nécessaire à l’IVG ?
L’amendement CS1918, déposé par la rapporteur Caroline Fiat (LFI – Nupes), visant à établir un « délit d’entrave à l’”aide à mourir” », sur le modèle de celui relatif à l’avortement, a en revanche été adopté sans difficulté. Ce qui était tu au début du débat est désormais exposé sans honte. Danielle Simonnet (LFI – Nupes) affirme ainsi qu’« il faut anticiper ». Elle soutient un « parallélisme des formes » entre « aide à mourir » et avortement. Patrick Hetzel s’empresse de réagir et, si parallélisme des formes il y a, il demande l’intégration d’un délit d’incitation à l’« aide à mourir », ce qui lui est refusé. Hadrien Clouet, (LFI – Nupes) n’hésite pas à affirmer solennellement : « s’il y a une aide, c’est qu’il y a un droit, s’il y a un droit, c’est qu’il y a un devoir social à l’exercer, s’il y a un devoir social, l’entrave n’est pas acceptable ».
Les verrous ont sautés : un texte inquiétant
Après un débat surréaliste sur la sensibilisation sur la fin de vie à l’école primaire, le projet de loi est adopté par les députés de la commission spéciale. Ce projet de loi est une « grande et belle loi républicaine » se réjouit le rapporteur général Olivier Falorni (Modem). Si on en croit les débats, cette « aide à mourir » deviendrait un droit, et même un devoir pour la société envers les personnes en fin de vie.
L’avenir ne présage rien de bon. Patrick Hetzel s’en désole. Il alerte sur la suppression de tous les verrous du texte : le pronostic vital engagé supprimé, l’euthanasie par un proche acceptée, l’euthanasie considérée comme un soin malgré l’avis contraire des soignants (cf. Fin de vie : les soignants « extrêmement choqués de ne pas être entendus »), le volontariat refusé. « Le désarroi et l’inquiétude des soignants sont immenses, ce texte est le plus permissif au monde et nous place dans la droite ligne du Canada » s’insurge-t-il (cf. Fin de vie : « Le Canada a fait des personnes handicapées une catégorie de personnes pouvant être tuées »). Une fois encore, l’éthique « à la française » n’a rien d’équilibré.
Complément du 21/05/2024 : Dans un communiqué de presse du 20 mai, 21 organisations soignantes alertent sur le projet de loi adopté par la commission spéciale, qui va bien au-delà des recommandations du CCNE ou de la Convention citoyenne.
Les professionnels de santé soulignent que plusieurs points de vigilance soulevés ont été ignorés. Parmi eux, le fait que l’administration de la substance létale puisse être faite n’importe où et sans contrôle, ce qu’aucun pays n’autorise.
« La boite de Pandore est ouverte », « ce projet de loi constitue un point de rupture majeur » alertent les soignants. Ils espèrent que les députés reviendront lors des débats en séance publique « sur des dispositions qui feraient porter de lourdes menaces sur les malades, les personnes en situation de handicap et les personnes âgées ».