Fin de vie : ce projet « rompt une digue essentielle, un principe structurant de notre société voire de notre civilisation »

25 Avr, 2024

Le 24 avril étaient auditionnés tour à tour devant la commission spéciale de l’Assemblée nationale chargée d’étudier le projet de loi sur la fin de vie, Sarah Dauchy, présidente du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV), et Giovanna Marsico, directrice du même centre, le Pr Franck Chauvin, le Dr Claire Fourcade, présidente de la SFAP, le Dr Michèle Lévy-Soussan, le Pr Valeria Martinez et des représentants des cultes à l’exception du grand rabbin de France, Haïm Korsia, qui a été empêché (cf. Euthanasie, suicide assisté : la commission spéciale de l’Assemblée nationale débute ses travaux). Parmi eux étaient notamment présents Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes et responsable du groupe de travail « Bioéthique » ainsi que Mgr Vincent Jordy, archevêque de Tours et vice-président de la Conférence des évêques de France (CEF) (cf. Fin de vie : les évêques appellent à la fraternité et non à la légitimation de l’euthanasie).

« La réalité du contenu du texte et son objectif doivent être clairs »

La plupart des personnes auditionnées mercredi ont fait part de leurs réticences face au projet de loi sur la fin de vie, même quand elles y sont favorables. Ainsi, Sarah Dauchy, présidente du CNSPFV, note trois points d’attention : l’égalité d’accès, le respect de l’autonomie et l’information. Elle propose un entretien avec un professionnel de santé psychique estimant que « la qualité des soins psychiques fait partie du soutien à l’autonomie du patient ». « La fréquence des troubles psychiatriques est trop importante pour laisser au hasard la possibilité de rencontrer un psychologue ou un psychiatre » poursuit-elle.

Un autre point d’attention soulevé lors des auditions porte sur le vocabulaire employé et notamment sur les « soins d’accompagnement » (cf. « Soins d’accompagnement » : médecins et infirmiers opposés au changement de terminologie). « Dans le terme de soins d’accompagnement il ne faut pas perdre ce qui fait la racine d’un acte de soins palliatifs : la capacité à anticiper le décès et la capacité à traiter correctement les symptômes » explique Sarah Dauchy. Une crainte émerge : l’effacement des soins palliatifs. « Avec le nouveau terme de “soins d’accompagnement”, le Gouvernement a décidé de mettre la lumière sur les soins d’accompagnement et non plus les soins palliatifs » regrette Giovanna Marsico. Quant à Claire Fourcade, elle rappelle que les soins palliatifs s’inscrivent dans un contexte mondial. « Il ne faut pas sortir des critères mondiaux. C’est important de conserver la capacité à être intégré dans un réseau de recherches et de réflexions mondiales » précise-t-elle.

De leur côté, les évêques ont pointé du doigt les termes vagues employés par le texte et, entre autres, le fait que l’ouverture au suicide assisté et à l’euthanasie ne soit pas explicite. « Il convient donc de bien nommer les choses, de les assumer pour s’assurer d’un débat éclairé. La réalité du contenu du texte et son objectif doivent être clairs », pointe Mgr Pierre d’Ornellas. Ils se sont également interrogés sur l’usage de la notion de « fraternité », qui assure la solidarité dans les droits économiques et sociaux et qui devrait plutôt permettre une vraie égalité d’accès aux soins palliatifs.

Claire Fourcade a également rappelé l’importance de la collégialité de la décision. Un point sur lequel l’Ordre des médecins avait insisté la veille lors de son audition (cf. Fin de vie : « On est en train de remettre en cause l’éthique et les valeurs du soin »). « La demande de mort est un cri de souffrance ou de peur qui doit toujours être écouté. C’est notre métier. Ne laissez pas le médecin engagé dans une relation de soin d’humain à humain décider et décider seul, de la vie ou de la mort d’un patient » s’est-elle exprimée. « Ne nous donnez pas cette toute puissance qui pourrait, car nous sommes humains, nous mettre en danger ou nous conduire à des pratiques non éthiques ».

Vers une « rupture anthropologique ».

Ce « projet fait basculer vers un modèle qui rompt une digue essentielle, un principe structurant de notre société voire de notre civilisation, celui de l’interdit de tuer qui se trouve entre autres au cœur du serment d’Hippocrate » a rappelé Mgr Jordy aux membres de la commission. « La dignité d’une société humaine consiste à accompagner la vie jusqu’à la mort et non à faciliter la mort » souligne-t-il. L’avocat Carol Saba, représentant la communauté orthodoxe, abonde, dénonçant « une sorte de dérapage éthique » (cf. « Etre regardés, soulagés, accompagnés, mais pas tués »).

« Aucune loi ne peut ni ne doit répondre au pourquoi de la mort. Elle peut en revanche garantir à chacun les meilleures conditions pour traverser cette épreuve constitutive de notre commune humanité », insiste Claire Fourcade. « Plus de 90% des médecins et des infirmiers ne veulent ni prescrire, ni préparer, ni fournir ni administrer un produit létal » a-t-elle indiqué sur la base d’un sondage réalisé auprès de la communauté palliative quelques jours avant son audition (cf. Fin de vie : 22 % des médecins en soins palliatifs se disent prêts à démissionner). Alors que l’on manque de médecins, « 22% des médecins de soins palliatifs et 17% des infirmières disent envisager de quitter leur poste si la loi était votée » (cf. Fin de vie : les infirmiers craignent « une fuite accentuée des soignants »).

« L’euthanasie implique de façon directe un tiers qui, jusqu’à ce jour, est toujours un soignant. Elle remet fortement en cause la relation de soin qui est un des fondements de la vie en société » regrette Claire Fourcade. « Cette relation est déjà rendue fragile par un système de santé à bout de souffle. Les soignants sont épuisés et peinent parfois à trouver du sens à leur mission. Ecoutez-les, préservez-les, protégez-les et ils pourront continuer à prendre soin » implore-t-elle.

Le co-président de l’Union bouddhiste de France, Antony Boussemart, ne voit pas la nécessité d’une nouvelle loi. La loi actuelle « est pleinement adaptée », « encore faudrait-il qu’elle soit pleinement connue et appliquée partout » a-t-il déclaré aux députés. Pour le médecin Sadek Beloucif, représentant la communauté musulmane, il s’agit d’« une loi inopportune » qui envoie « un message troublant pour les plus pauvres », ou sur « des vies qui ne vaudraient plus d’être vécues ». Quant à l’archevêque de Tours, il s’inquiète des « effets sociaux d’un tel projet ». « Comment le cadre tiendra-t-il mieux qu’ailleurs ? Comment éviter la banalisation qui poussera les personnes fragiles ou précaires à penser qu’elles sont de trop ? Comment éviter une dérive économique libérale où la fin de vie devienne la variable d’ajustement des comptes ? » interroge-t-il (cf. Fin de vie : attention au message envoyé aux personnes vulnérables). Le président de la Fédération protestante de France Christian Krieger a, lui, comparé ce texte au « domino majeur qui tombe », ouvrant la voie à une « rupture anthropologique ». Il a aussi insisté sur l’importance de développer les soins palliatifs.

Les représentants des cultes ont éprouvé des difficultés pour faire entendre la légitimité de leur point de vue devant les parlementaires. Caroline Fiat a notamment exprimé « non pas (son) désaccord mais (son) incompréhension quant à ces convictions cultuelles ».

« Les soins palliatifs ne sont pas un cahier de recettes de Bonne Mort »

Auditionné lors de la table ronde relative aux soins palliatifs, le Pr Franck Chauvin, professeur en santé publique, président de l’instance de réflexion stratégique chargée de préfigurer le plan décennal Soins palliatifs, prise en charge de la douleur et accompagnement de la fin de vie en France 2024 – 2034 a proposé une triple évolution (cf. Plan décennal sur les soins palliatifs : « il faudrait être naïf pour s’y fier »). Il envisage la réorganisation des soins palliatifs avec le renforcement par les soins primaires, une « réappropriation du décès par la société » et une spécialisation de la médecine palliative. La formation des soignants a été un sujet exprimé à plusieurs reprises par les personnes auditionnées.

« Les soins palliatifs ne sont pas un cahier de recettes de Bonne Mort. Ils sont une médecine qui place la relation humaine au cœur du soin. Ils sont un éloge du regard, de l’altérité, de la parole et du silence, des mains, de la lenteur et de l’équipe. Leurs pionniers sont venus dire le scandale de laisser mourir dans la douleur, la solitude ou la peur en même temps que le scandale de faire mourir » souligne Claire Fourcade face aux députés (cf. Fin de vie : « ne dévoyons pas les soins palliatifs »).

« Voyez autour de moi tous ceux qui, pas à pas, luttent pour redonner aux patients le pouvoir enlevé au médecin. Vous envisagez maintenant de leur donner le pouvoir de décider qui doit vivre et qui peut mourir, le pouvoir de dire l’incurabilité, le pouvoir de dire le temps qu’il reste à vivre, le pouvoir d’évaluer le discernement et la capacité à consentir, le pouvoir de prescrire, préparer, assister et même injecter la mort » s’est-elle indignée (cf. La prise en charge de la douleur, un autre parent pauvre de la médecine).

« Rééduquons la société à affronter ce moment de vie » conclut M. Antony Boussemart, co-président de l’Union bouddhiste de France.

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