Le Sénat rejette l’extension des délais d’IVG

Publié le 21 Jan, 2021

La proposition de loi visant à étendre le délai d’IVG de 12 à 14 semaines de la député non inscrite Albane Gaillot (ex-EDS) ne devait pas arriver au Sénat. Pourtant, introduite par la sénatrice de l’Oise, Laurence Rossignol, à l’occasion d’une niche parlementaire du parti socialiste, elle a fait l’objet d’une discussion générale mercredi 20 janvier. Les sénateurs ont voté une motion de rejet qui a été largement adoptée à 201 voix pour et 142 voix contre.

La proposition de loi comporte plusieurs articles. Elle vise à étendre le délai d’IVG de 12 à 14 semaines, à supprimer le délai de deux jours de réflexion en cas de détresse psycho-sociale, à supprimer la clause de conscience spécifique des médecins et personnels soignants, enfin, elle doit étendre aux sages-femmes la pratique des IVG instrumentales jusqu’à la dixième semaine. Ce dernier article a cependant été adopté en catimini, à titre expérimental, à l’occasion du projet de loi de financement de la Sécurité Sociale. Son application demandera du temps. Elle impose de mettre en place une formation spécifique de ces dernières et que des questions de sécurité soient résolues : qui interviendra en cas de complications ?

L’avortement : un échec des politiques sanitaires

Une fois de plus, la discussion générale a montré que l’avortement était loin de faire consensus et que les zones de fractures étaient importantes.

Florence Lassarade a précisé que « le palier de 12 semaines n’a pas été déterminé par hasard, c’est à cette période que l’embryon devient un fœtus » . Elle rapporte par ailleurs qu’à 14 semaines, il est possible à 99% de déterminer le sexe du bébé (cf. Allongement du délai pour avorter : le risque des avortements sélectifs).

Dans son intervention, le sénateur Pierre Charon considère que « l’allongement du délai légal est la manifestation d’un échec des politiques sanitaires » (cf. La santé d’un pays se mesure-t-elle à son taux d’avortement ? et L’avortement, une guerre d’usure ?). En effet, « le constat du nombre d’IVG est accablant ». Dans ce sens, la contraception, longtemps présentée comme un moyen d’éviter les avortements, montre ses limites. C’est ce qu’explique Laurence Rossignol elle-même : « 3 IVG sur 4 sont pratiquées par les femmes sous contraception ». Colette Mélot insiste : « 230000 avortement en 2019, c’est beaucoup trop ! » (cf. En 2019, on compte une IVG pour 3 naissances en France).

Agir par la prévention ?

« Plus de 45% des femmes avortent pour raisons matérielles », précise Stéphane Ravier qui interroge : « Comment notre pays a pu abandonner les femmes de France en demande de maternité ? » (cf. Que devient le droit de la femme de ne pas avorter ?). De fait, une fois de plus, la proposition de loi botte en touche sur les questions de prévention qui sont pourtant au cœur de ce que devrait être une politique de santé publique cohérente dans ce domaine (cf. L’obligation des Etats de prévenir le recours à l’avortement et 216 700 IVG en 2017 : A quand une politique de prévention ?). Cet aspect de la question semble cependant soucier un plus grand nombre de sénateurs.

Comme plusieurs sénateurs, Corinne Imbert, qui défendra la motion de rejet, prône une meilleure information et une meilleure prévention. Alors que 95% des femmes avortent avant la 10e semaine, la sénatrice explique que « mieux accompagner les femmes est un défi plus important que l’allongement des délais pour avorter ». Pierre Charon ajoute que « l’idée d’un avortement pour raison médicale jusqu’à 9 mois a choqué l’opinion publique » (cf. Loi de bioéthique : sous couvert de détresse psychosociale, les députés détournent l’IMG) et il s’inquiète : « Nous sommes en train de vivre une dérive dans la pratique des IVG ».

Défense de la clause de conscience des médecins

A propos de la clause de conscience, Raymonde Poncet-Monge estime que « la clause spécifique fait de l’avortement un acte à part » et que, comme telle, elle « culpabilise les femmes », mais reprenant les arguments d’autres sénateurs, Corinne Imbert note que c’était un compromis au moment du vote de la loi Veil et demande : « Acceptons qu’il le demeure. Surtout quand il s’agit de pratiquer des avortements à 16 semaines d’aménorrhée ». Avant elle, Laurence Lassarade a plaidé en ce sens : « L’IVG n’est ni un acte anodin, ni un acte ordinaire pour les praticiens » (cf. IVG : la clause de conscience des professionnels de santé en danger). Elle ajoute : « Il n’empêche pas l’IVG comme le montre le nombre d’IVG pratiquées en France ».

A l’issue de la discussion, alors que le ministre Adrien Taquet annonce un avis de sagesse du gouvernement, ce qui signifie que le gouvernement ne donne pas de consigne de vote ni dans un sens, ni dans l’autre, Laurence Rossignol, sans le dire clairement, plaide en faveur de la motion de rejet. Ou intervient comme si celle-ci était acquise : « Moi aussi j’aurais aimé débattre, mais le plus important pour moi c’est que la navette se fasse, pour que ce texte aboutisse ». Elle souhaite que la proposition de loi « reparte à l’Assemblée nationale », pour qu’un « groupe inscrive cette proposition de loi dans sa niche ». L’objectif étant de voir cette proposition de loi adoptée. Envers et contre tout.

Le texte retourne sans modification à l’Assemblée nationale, mais avec un refus clair du Sénat de légiférer en ce sens. Nul doute qu’un groupe parlementaire la reprendra à son compte et qu’elle sera débattue. Selon une dépêche AFP envoyée le jour même,  « le groupe des députés LREM a déjà annoncé sa volonté de l’inscrire à nouveau à l’ordre du jour ». Pour autant, comment cette loi, alors que les précédentes ont largement démontré leur inefficacité, pourra-t-elle servir la cause des femmes ?

Photo : PIxabay

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